Publié par CEMO Centre - Paris
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Russie : l'opposant qui inquiète Poutine

jeudi 22/août/2019 - 09:06
La Reference
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Il n'a pas la notoriété de l'opposant Alexeï Navalny, mais il a son mordant et sa ténacité. Surtout, le Kremlin le craint tout autant. Voilà pourquoi Ilya Iachine, 36 ans, entame un troisième séjour derrière les barreaux après déjà deux condamnations à dix jours d'emprisonnement. Cette fois, il n'a pas eu le temps de humer l'air frais de Moscou. À peine libéré, il est remonté dans un car de police stationné à la sortie du centre de détention. « Vous êtes arrêté pour avoir incité les gens à participer à des manifestations illégales », lui lance alors un galonné. Iachine ne proteste même pas. « Je m'en fous complètement. Dans ce bus ou en prison, je suis plus libre que toutes ces sangsues cagoulées qui cognent sur la population », dit-il devant la caméra.

L'homme au physique osseux est un habitué des brimades. Depuis l'âge de 25 ans, il baigne dans la politique et combat le régime de Poutine. Il rédige même un mémoire de fin d'études sur « la méthodologie des protestations dans la Russie moderne ». Ses premières armes, il les fait à la tête du mouvement des jeunes du minuscule parti d'opposition Iabloko puis il rejoint Solidarité, une autre formation en lutte contre le pouvoir. Sa frimousse d'éternel étudiant émerge au premier rang de tous les cortèges. Car c'est au cours de l'hiver 2011 que sonne son heure de gloire. Des dizaines de milliers de Moscovites envahissent les rues pour protester contre les fraudes aux élections législatives. Et lui, Iachine, à la tribune, galvanise les foules. « Poutine connaîtra le même sort que Moubarak » (l'autocrate égyptien renversé par le Printemps arabe), prédit-il.

Une romance avec une star de la télévision

Sa soudaine renommée, il la doit aussi à un autre événement : sa romance avec Ksenia Sobchak, une célébrité de télévision, fille de l'ancien maire de Saint-Pétersbourg, jadis le mentor de Poutine. En ces jours de tumulte, Ilya et la blonde Ksenia défilent et bravent le froid, main dans la main. Une idylle vécue comme une offense par Poutine. Quelques mois plus tard, huit membres des forces spéciales débarqueront au domicile de celle dont la rumeur prétend qu'elle est la filleule du chef du Kremlin. Les deux tourtereaux bondissent du lit. La fouille et la séance d'humiliation dureront sept heures. « Tu aurais dû épouser un agent du FSB », lance un membre du commando.

Iachine, bientôt délaissé par Ksenia, retourne à ses activités politiques. Son protecteur s'appelle alors Boris Nemtsov, ancien vice-Premier ministre, devenu un farouche opposant à Poutine. Iachine travaille à ses côtés. Puis survient l'assassinat de Nemtsov en février 2015, à deux pas du Kremlin. Un choc pour Iachine. « Il savait qu'il pouvait être harcelé, mais il n'imaginait jamais qu'il pouvait être tué et se déplaçait toujours sans garde du corps. »

De nombreuses manifestations

Il n'empêche, Iachine tient bon. L'année 2017 porte enfin le symbole d'une victoire politique. Contre toute attente, son parti remporte la majorité des sièges de l'assemblée du district Krasnoselsky de Moscou. Iachine en prend aussitôt la présidence. Mais il nourrit d'autres ambitions. Les temps changent. Poutine voit sa popularité plonger et des élections régionales cruciales se tiennent début septembre. Avec une déconvenue prévisible pour les autorités. Au point que la plupart des candidats du parti présidentiel avancent masqués, sans étiquette. Pour Iachine, c'est le moment de tenter de conquérir la mairie de Moscou. Aux côtés d'une trentaine de candidatures indépendantes, il présente la sienne pour la future élection du conseil municipal. Toutes rejetées ! Motif ? Non-conformité des signatures recueillies. « Les citoyens décident qui les représente, pas les bureaucrates ! » hurle-t-il, juché sur le toit d'une voiture. Depuis le refus de la commission électorale, les manifestations se succèdent. Début août, 50 000 personnes se rassemblent à Moscou. Du jamais-vu depuis 2011. Les arrestations suivent au même rythme avec plus de 3 000 interpellations.

Lors de sa dernière comparution, Iachine affiche son habituelle décontraction. Il sort un ouvrage de ses affaires et en commence la lecture. Le titre ? Le Procès de Kafka. Soudain, il s'interrompt et s'adresse aux juges. « L'original est toujours meilleur que de pâles copies. »

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