L’”imamat”… l’aspect du “califat” le plus extrémiste chez les chiites
L’« imamat »
représente chez les chiites l’autre aspect du « califat » chez les
sunnites, mais cet « imamat » a ses conditions qui sont peut-être
plus nombreuses que celle du « califat » chez les sunnites. Car le
« califat », c’est l’autorité publique qui vise à établir la religion
en mettant en pratique les sciences religieuses et les piliers de l’islam, en
imposant le djihad et les devoirs qui lui sont liés, comme l’organisation des
armées et du devoir de combat en donnant aux combattants une part du butin, en nommant
un cadi, en appliquant les peines corporelles, en mettant fin aux injustices,
en ordonnant le bien et interdisant le mal, et ceci à la place du Prophète
(bénédiction et salut sur lui), et il est clair que ce terme est compris,
surtout chez les gens du commun, comme le califat apparent, et l’autorité du
gouvernement et du pouvoir, qui est confirmée pour celui qui occupe la place du
Prophète, même si celui-ci ne l’a pas nommé.
Quant à
l’« imamat » chez les chiites, c’est le califat d’origine divine, qui
parachève et pérennise les fonctions du Prophète (bénédiction et salut sur
lui), mis à part la révélation. Ainsi, les chiites confèrent à la fonction de
l’imamat un rôle religieusement plus important que celui que donnent les
sunnites au « califat », car la mission essentielle de l’imam est
d’assurer la succession du Prophète (bénédiction et salut sur lui), dans ses
fonctions relatives à l’orientation des gens vers ce qui garantit leur
intérêt et leur bonheur dans ce bas monde et dans l’au-delà. Car l’imam est
celui qui leur interprète le Coran, leur explique les connaissances et les
prescriptions, ainsi que les objectifs de la loi islamique, protège la religion
contre l’altération et la manipulation, il détient l’autorité sur les gens dans
l’organisation de leurs affaires et de leurs intérêts, fait régner la justice
entre eux et les préserve de la division et de la divergence.
L’imamat, chez les
chiites imamites (duodécimains), c’est une autorité publique relative aux
affaires religieuses et profanes détenue par un individu au nom du Prophète
(bénédiction et salut sur lui) et par conséquent, lorsque les gens ont un chef
généreux, victorieux et juste, qui dissuade les obstinés et soumet les
arrogants, et rend justice aux opprimés face à leurs oppresseurs, l’harmonie
règne, les séditions se calment, la vie reprend son cours et les gens évitent
la corruption et pratiquent la vertu. En revanche, lorsque ce chef – dont les
caractéristiques ont été mentionnées – est absent, leur vie se corrompt, le fort
lèse le faible, ils se livrent aux péchés, le désordre règne, et la vertu
disparaît. Et cela est imposé par une raison parfaitement saine, selon leur
croyance.
L’imam Ali ibn Moussa
ar-Rida (765-818, 148-203 de l’Hégire), le 8e des douze imams chez
les chiites, affirme : « L’imam est le guide de la religion, celui
qui maintient l’ordre chez les musulmans, qui garantit la vertu dans ce bas
monde, et la puissance des croyants, l’imamat est le fondement de l’islam en
croissance, sa branche supérieure, grâce à l’imam sont distribués le butin et
les aumônes, sont appliquées les peines corporelles et les jugements, sont
protégées les frontières et les confins (du pays), l’imam permet ce que Dieu a
déclaré licite, et interdit ce qu’Il a déclaré illicite, il fait appliquer les
peines corporelles, défend la religion de Dieu, appelle à suivre la voie de son
Seigneur par la sagesse, la bonne exhortation, et l’argument convaincant, il
est le compagnon fidèle, le père tendre, le frère compatissant, celui qui
terrorise les gens, le représentant loyal de Dieu sur terre, sa preuve contre
Ses serviteurs, son calife dans Ses pays, celui qui appelle à Dieu, défend les
choses sacrées de Dieu, fortifie les musulmans et vexe les hypocrites, et
provoque la perte des mécréants ».
Les conditions de l’« imamat »
Les chiites imamites sont
tombés d’accord depuis le début de l’islam sur le fait que
l’ « imamat » est l’un des fondements de la religion, que la
croyance en l’imamat des douze imams après le Prophète de Dieu fait partie des
nécessités de la foi en l’islam évident, que l’imam et le calife des musulmans
sont désignés par Dieu et Son Prophète le maître des Envoyés, et que le
Prophète le plus noble a prescrit de son vivant le califat après lui.
Les chiites duodécimains
ont imposé à l’imam de faire partie de la descendance de l’imam al-Hussein fils
de l’imam Ali bin Abi Talib. Abou Jaafar Mohammad ibn Yaaqoub al-Kulayni
affirme à ce propos dans son livre « Oussoul al-Kafi » :
« L’opinion chez les chiites imamites est que l’imamat n’est accessible
qu’aux fils de notre maître l’imam al-Hussein ibn Ali ibn Abi Talib, qu’il est
confirmé chez ses descendants, et qu’il ne revient ni à un oncle ni à un frère,
ni à aucun autre proche après al-Hussein.
Les Sunnites, quant à
eux, n’ont pas imposé comme condition l’infaillibilité chez l’imam, et ont
autorisé l’imamat des corrompus. En effet, selon les spécialistes des
hadiths : « L’imam n’est pas destitué à cause de sa perversité, de
son iniquité, de son usurpation des biens, ou du fait qu’il frappe les gens,
porte atteinte aux innocents, viole des droits ou empêche l’application des
peines corporelles, et il ne faut pas se révolter contre lui ». Les
sunnites n’ont pas non plus imposé la condition d’« excellence » chez
l’imam, et ont permis de donner la priorité au « moins vertueux » par
rapport au « plus vertueux ».
Quant aux chiites
imamites, ils ont imposé des conditions à l’imam, la première et la plus
importante étant le fait qu’il soit mentionné par Dieu et Son Prophète, ce qui
signifie que l’on ne doit pas imposer chez lui d’âge déterminé, l’important
étant qu’il soit infaillible, qu’il soit jeune ou moins jeune, l’aîné des
enfants ou le cadet.
La seconde condition est
qu’il soit infaillible ; la troisième, qu’il regroupe les fondements des
perfections morales : « la science, la jurisprudence et le
courage » ; la quatrième est qu’il soit le meilleur de la nation pour
tout ce qui est considéré comme une perfection morale ; la cinquième
condition : qu’il soit exempt de tout défaut rebutant dans sa
constitution, dans son lignage et son origine, ou dans sa vie pratique, comme
lorsqu’il exerce des métiers modestes, comme la couture ; et la sixième
condition, c’est que Dieu lui ait accordé le privilège de réaliser des
prodiges, qu’Il manifeste pour lui lorsque cela est nécessaire pour que les
gens le croient.
Le gouvernement
usurpateur
Malgré la fondation de
plusieurs Etats chiites depuis le 3e siècle de l’Hégire (9e
siècle), dans lesquels l’imam était présent, comme les Zaydites du Tabaristan
et du Yémen ou les Fatimides du Maghreb, d’Egypte et de Syrie, la majorité
chiite s’en tint à une autre conception affirmant le caractère caché de l’imam,
et l’interdiction de fonder l’Etat avant son apparition, une conception qui lie
la croyance en l’imam qui descend du Prophète Mohammad (bénédiction et salut
sur lui) et la croyance en le Mahdi qui viendra à la fin des temps.
Les jurisconsultes et
autorités chiites ont ainsi considéré que les gouvernements établis sont des
gouvernements « usurpateurs du point de vue religieux » et que
les jurisconsultes et religieux n’auraient pas dû y participer ou collaborer
avec eux, bien que la réalité sur le terrain ait été différente de cela, ce qui
conduisit au retrait de l’imamisme de la scène politique, par croyance en le
caractère caché de l’imam, et à la possibilité donnée au gouvernement
usurpateur d’être formé.
Le gouvernement du
jurisconsulte
Les choses demeurèrent
ainsi chez les chiites jusqu’à l’arrivée du savant chiite Mohammad ibn Makki
al-‘Amili al-Jazini, connu sous le nom du « premier martyr »
(1333-1384), qui considéra qu’en l’absence de l’imam infaillible, c’était le
jurisconsulte qui exerçait ses fonctions à sa place de façon absolue, en gérant
les affaires religieuses et sociales, et assumant les responsabilités du cadi,
en appliquant les peines corporelles et organisant la prière du vendredi.
Et avec la fondation de
la dynastie safavide (1501-1736), les dirigeants de cet Etat s’appuyèrent sur
les jurisconsultes de Jabal Amil au Liban pour répandre la doctrine chiite
imamite, parmi lesquels Nour ad-Din Ali ibn al-Hassan surnommé « al-Amili
al-Karaki » (1466-1534), et lorsque le Chah Tahmasb 1er
(1514-1576), fils du Chah Ismaïl as-Safavi (fondateur de la dynastie safavide)
arriva au pouvoir, il donna à al-Karaki le titre de « représentant de
l’imam al-Mahdi caché », et donna l’ordre à toutes les personnalités de
l’Etat de lui obéir, de façon à conférer une légitimité religieuse à cet Etat.
Al-Khomeini et le
gouvernement islamique
Et avec le tandem
al-Karki-Tahmasb », l’idée du « représentant de l’imam »
commença à se développer dans la pensée chiite, au point que l’autorité chiite
et fondateur de la République islamique d’Iran fut influencé par la théorie du
« groupe des Frères » relative au pouvoir et à la fondation de l’Etat
islamique. Et le cadre dissident des Frères Tharwat al-Kharawawi dit dans son
livre « les imams du mal : les Frères et les chiites, une communauté
qui joue dans l’ombre » : « Le chercheur constatera
qu’al-Khomeini dans sa conception du gouvernement du jurisconsulte et dans son
livre « le gouvernement islamique », a été influencé par l’idée de
« souveraineté » (hakimiyya) chez Sayyed Qutb (théoricien des Frères
né le 9 octobre 1906 et mort le 29 août 1966).
On entend par
« gouvernement du jurisconsulte » dans la terminologie
jurisprudentielle la représentation du jurisconsulte, qui regroupe les
conditions d’imitation et d’autorité religieuse à la place de l’imam al-Mahdi
dans ses prérogatives et les choix qui lui sont confiés par Dieu par le biais
du Prophète Mohammad, dans la gestion des affaires de la nation musulmane et
l’accomplissement des missions du gouvernement islamique.
Et les articles 1 et 2 de
la constitution iranienne, élaborée par al-Khomeini après la victoire de la
Révolution islamique en 1979, indiquent que « le gouvernement des
affaires et de la nation en l’absence de l’imam al-Mahdi – que Dieu hâte son
avènement – est confié au jurisconsulte juste ». Ainsi, la conception du
gouvernement du jurisconsulte élaborée par al-Khomeini est la conception
évoluée de la théorie du « représentant de l’imam » et l’autre face
du « califat » chez les sunnites.