« Un homme intègre » : en Iran, la morale à l’épreuve
C’est un film d’après l’été, lorsque les
jours raccourcissent jusqu’à ce qu’on doute de l’existence du soleil. Un
homme intègre suit son héros, Reza, jusqu’au fond de l’hiver. Tourné
sans l’aval des autorités, puis interdit, le septième long-métrage de
Mohammad Rasoulof ne laisse entrer que peu de lumière, que ce soit à l’image ou
dans la vie de son protagoniste. Comment le pourrait-il ? Avec une
admirable obstination et une espèce de colère froide, au mépris des risques
qu’il encourt, le cinéaste continue de mettre en scène le système qui régit
son pays, l’Iran.
Si Un homme intègre est
avant tout une œuvre politique proche du désespoir, sa noirceur est aussi celle
d’un genre cinématographique. Comme les personnages de Wilder ou de Duvivier,
Reza est pris dans un piège dont chacun de ses mouvements resserre les mailles.
Mais à la différence de ces antihéros occidentaux prisonniers de leurs désirs
et de leurs pulsions, cet homme solitaire et intègre n’obéit qu’à une règle :
refuser le mal.
Mohammad Rasoulof a de plus intégré
certaines règles usuelles du cinéma iranien qui font d’Un homme intègre une
variante inédite du film noir. Conspirations criminelles et explosions de
violence abondent, mais restent hors champ, perceptibles uniquement par leurs
causes et leurs effets, exacerbant encore la sensation d’enfermement. Rarement
la combinaison des contraintes d’un système de censure et de l’ingéniosité d’un
cinéaste pour les contourner aura produit des effets aussi puissants.
Hiérarchie
sociale rigide
Quelque part en Iran, loin au nord de
Téhéran, Reza (Reza Akhlaghirad) élève des poissons rouges dans les bassins qui
entourent sa maison. Ancien professeur, chassé de l’enseignement pour avoir dit
ce qu’il ne fallait pas au mauvais moment, il vit avec sa femme, Hadis
(Soudabeh Beizaee), principale du collège de leur petite ville, et leur petit
garçon.
Les longues scènes d’exposition posent la
rigueur morale de Reza, comme celle où il refuse de soudoyer le directeur de la
banque locale pour obtenir une rallonge de crédit. Reza est comme ces fermiers
des westerns qui résistent aux barons du Far West. Mais aucun justicier ne
viendra à son secours. A chaque fois qu’il décide de livrer bataille, le
terrain, le moment lui sont défavorables.
Mohammad Rasoulof décrit Reza (à qui son
interprète prête une colère constante qui gomme les nuances du personnage) et Hadis
comme un couple aimant, sensuel, ce qui n’est pas facile si l’on respecte les
règles du jeu du cinéma iranien. Le jeune homme aime à siroter l’alcool de
pastèque qu’il fabrique à l’insu des gardiens de la révolution locaux en se
baignant dans une source d’eau chaude, ouvrant alors le film sur une dimension
intime, assez mystérieuse. A ce désir de vivre s’oppose un système qui n’est
pas tant fait pour la préservation de l’ordre religieux que pour celle d’une
hiérarchie sociale rigide.
Insensiblement d’abord, puis avec une
énergie de plus en plus évidente, Rasoulof accélère le rythme de son film pour
amener Reza au bord d’un choix aussi inévitable que cruel : restera-t-il
un homme intègre, affrontera-t-il ses ennemis sur leur terrain ? Dans la
forme, la réponse qu’apporte le scénario de Rasoulof est d’une habileté
étourdissante. Sur le fond, elle n’incite guère à l’optimisme.