Karim Khan (ONU): «Il faut juger Daesh avec un tribunal à l'image de Nuremberg»
Un procès de
l'organisation État islamique à l'image de celui de Nuremberg au sortir de la
Seconde Guerre Mondiale en 1945: selon le responsable de l'enquête des Nations
unies sur les crimes djihadistes c'est la seule manière de démystifier
l'idéologie de l'organisation EI et de donner la parole aux victimes. Une
conviction nourrie par deux ans de travail de terrain en Irak. Depuis Bagdad,
Karim Khan, contacté par RFI, est revenu sur cette question.
RFI: Karim
Khan, vous travaillez depuis deux ans en Irak sur les crimes de l’organisation
État islamique. En quoi consiste votre mission ?
Karim Khan: Notre mission est avant tout
de rassembler des preuves, mais je suis convaincu que nous ne sommes pas là
uniquement pour constituer des archives. L'Irak et l'humanité toute entière ont
besoin d'un processus similaire à celui de Nuremberg. Ce procès a été un outil pour séparer les Allemands du poison fasciste et
de la criminalité qui ont déferlé sur l'Europe et le monde. Ça a donc permis de
différencier les nazis, des Allemands. Nous avons besoin d'un processus de ce
genre afin de faire valoir le droit des survivants à la justice. Que ceux qui
sont tenus pour responsables le soient sur la base de preuves solides et non
pas sur des spéculations et des commérages. Mais il y a aussi un besoin de
séparer Daesh et ses coupables du reste de la population, de la communauté
sunnite. Car si l'on ne met pas fin à cette responsabilité collective, on
continue ce cycle de violence qui ne terminera jamais.
Au cœur de ce cycle de violence, nombre d'ONG dénoncent
les exactions menées
par les forces irakiennes contre les populations sunnites accusées de
collaboration. Elles affirment également que plusieurs milliers de civils ont
été tués par les bombardements de la coalition. Est-ce que ce processus de
justice que vous conseillez de mettre en place reviendrait sur les actions de
chaque acteur ?
Contrairement à
d'autres acteurs, l'organisation État Islamique représente une menace pour la
paix et la sécurité internationale du point de vue du Conseil de sécurité des
Nations unies. Cela n'octroie pas d'immunité à d'autres groupes. Mais notre
équipe se concentre uniquement et indubitablement sur Daesh. C'est ce que le
Conseil [de sécurité] m'a demandé très clairement et c'est ce sur quoi nous
allons nous concentrer.
Mais alors concrètement comment organiser ce procès autour des crimes
commis par l'organisation État islamique?
Un processus tel que
Nuremberg peut prendre des formes diverses. Ce que j'entends avant tout par-là,
c'est la victoire de l'État de droit, le droit de chaque communauté visée de
voir les crimes commis contre eux punis. C'est aussi l'idée que certains crimes
sont tellement monstrueux qu'ils sont imprescriptibles. Il ne faut pas que le
flou des conflits empêche la loi d'être appliquée de manière claire et selon les
règles internationales. C'est pourquoi nous nous tournons vers tous les
tribunaux disponibles.
Malheureusement certains pays, comme la France, refusent ne serait-ce que
de rapatrier les enfants de
jihadistes français.
Il est donc difficile de les imaginer s'investir dans un tel processus ?
Nous travaillons sur
la base de la souveraineté de chaque État, de l'Irak comme des autres. Les
États doivent décider comment gérer le problème. Je ne représente pas le
Conseil de sécurité. Ce n'est pas moi qui ai créé ma mission. Notre travail est
de constituer des dossiers solides qui permettront à chaque tribunal qui
coopère avec nous d'analyser ces preuves en accord avec les normes
internationales et de déterminer la culpabilité ou l'innocence d'individus.
Mais nous avons besoin d'un effort collectif pour que les preuves ne restent
pas dans la poussière et soient utilisées dans des procès. L'État de droit est
la base de la stabilité de toute société et il doit être défendu correctement.
C'est sur cela que mon équipe travaille. Elle travaille dur et avec ses propres
ressources.