Au Soudan, l’accord entre l’armée et la contestation ouvre la voie à une sortie de crise
Après deux jours de négociations difficiles, les deux camps se sont
entendus pour la signature d’une déclaration constitutionnelle qui prévoit de
remettre le pouvoir aux civils.
C’était la principale revendication du
mouvement de contestation qui secoue le Soudan depuis de nombreux mois :
obtenir que le pouvoir soit remis aux mains des civils.
Après deux jours d’intenses tractations, le
Conseil militaire qui dirige le pays et les chefs de la contestation sont
parvenus à un accord sur une déclaration constitutionnelle qui satisfait cette
demande.
C’est ce qu’a annoncé, samedi 3 août à
l’aube, le médiateur de l’Union africaine, Mohamed El Hacen Lebatt. « Les
deux délégations sont tombées pleinement d’accord sur la déclaration
constitutionnelle », a-t-il déclaré à la presse. Cet accord, qui sera
signé au cours d’une cérémonie, est le fruit de difficiles négociations sur la
transition politique entre l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC),
fer de lance de la contestation, et le Conseil militaire mis en place après la
chute du président Omar Al-Bachir le 11 avril. L’annonce a provoqué des
scènes de liesse dans l’une des principales avenues de Khartoum.
Les deux camps s’étaient déjà mis d’accord
début juillet sur la création d’un Conseil souverain, composé de cinq
militaires et de six civils, chargé de mener la transition pendant un peu plus
de trois ans. Les points encore en suspens portaient sur les pouvoirs de ce
Conseil souverain, sur le déploiement des forces de sécurité et sur l’immunité
de généraux impliqués dans la répression de la contestation, notamment la dispersion meurtrière du sit-in devant l’armée le 3 juin à
Khartoum.
Dix morts en une semaine
Au moins 127 manifestants avaient alors
été tués, selon le comité de médecins proches de la contestation. Une enquête
officielle a, de son côté, conclu à l’implication de membres des redoutées
Forces de soutien rapide (RSF), lesquelles ont nié toute responsabilité et
dénoncé une manipulation.
Les pourparlers entre les militaires et la
contestation, initialement prévus mardi 30 juillet, avaient été repoussés
après la mort de six personnes, dont quatre lycéens à Al-Obeid (centre), lundi
lors d’une manifestation contre les pénuries de pain et de carburants. Ces
décès ont suscité une vague de réprobation dans le pays. Jeudi, quatre
personnes réclamant justice lors d’un rassemblement à Omdourman près de
Khartoum, ont été tuées.
Le Conseil militaire a annoncé vendredi
l’arrestation de neuf paramilitaires des RSF accusés d’être impliqués dans la
mort des lycéens. « Une enquête a été ouverte sur les événements
d’Al-Obeid et sept membres des RSF ont été limogés et remis à la justice civile
pour être jugés », a déclaré le général Chamseddine Kabbachi,
porte-parole du Conseil militaire. Jeudi, « deux autres membres
des RSF ont été arrêtés, donc ils sont neuf au total », a-t-il
ajouté.
Les RSF accusées d’exactions au Darfour
Dirigées par Mohammed Hamdan Daglo, aujourd’hui
numéro deux du Conseil militaire, les RSF étaient un pilier du régime du
président Bachir, avant de contribuer à sa chute. Elles sont accusées de
terribles exactions, notamment pendant le conflit du Darfour (Ouest) déclenché
en 2003. Mercredi, le général Jamal Omar, aussi membre du Conseil
militaire, avait accusé des paramilitaires des RSF d’avoir « tiré
sur les manifestants » à Al-Obeid sans recevoir d’ordres en ce
sens, après avoir essuyé des jets de pierres. « Nous avons
identifié ceux qui ont tiré à balles réelles et entraîné la mort des six [manifestants] »,
avait-il affirmé.
En décembre 2018, des manifestations
avaient éclaté au Soudan contre le triplement du prix du pain dans
un pays à l’économie exsangue. Elles se sont ensuite transformées en
contestation du pouvoir. La répression de ce mouvement de contestation a fait
plus de 250 morts, selon un comité de médecins proche des protestataires.
Cette révolte inédite a entraîné la
destitution et l’arrestation par l’armée du président Omar Al-Bachir, porté au
pouvoir par un coup d’Etat en 1989 et réclamé par la Cour pénale
internationale de La Haye pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité
et génocide au Darfour. Inculpé de corruption, M. Al-Bachir doit être
jugé au Soudan à partir du 17 août.