Irak : un djihadiste français condamné à mort accuse la France
Condamné à mort début juin par le tribunal
central criminel d'Irak, Fodil Tahar Aouidate, un Français de 33 ans
originaire de Roubaix, est actuellement détenu dans la prison de Mouthana à
Bagdad avec ses compatriotes. Il a contacté Le Point par téléphone.
Le combiné est mis à sa disposition tous les dix jours par l'administration
pénitentiaire. Il accuse la France d'avoir organisé le transfert de ses ressortissants
de la Syrie vers l'Irak à qui elle aurait, selon lui,
sous-traité leur destin judiciaire.
« Je me suis enfui
le 22 avril 2018 de Deir ez-Zor alors sous contrôle de
l'armée de Bachar el-Assad avec
femme et enfants. J'avais rompu avec Daech. Au premier check-point, je me suis
rendu aux Kurdes. Comme d'autres, j'ai été torturé. Les Kurdes du YPG étaient
en contact avec des émissaires français. C'est à leur demande que nous avons
été tous regroupés dans une prison de la banlieue de Hassaka, au nord-est de la
Syrie. Une zone sous contrôle du YPG. Tout a été organisé par la France.
Si la France nous a fait transférer
en Irak, c'est parce qu'elle n'a pas de preuve contre nous
Après neuf mois de détention, en janvier 2019, et au lendemain d'une visite
de la Croix-Rouge, on a été transféré avec Brahim Nejara (originaire de Lyon, condamné à mort, NDLR) et Mourad Delhomme (originaire
de Meaux, condamné à mort, NDLR) dans la prison de Derrik, en Syrie, à la
frontière entre la Turquie et l'Irak. Là, on a eu peur d'être livrés à Bachar.
Ensuite, on a pris la route, escortés, mains attachées et yeux bandés, pour Bagdad. On entendait des voix françaises lors de ce transfert, ces voix donnaient des ordres à l'armée irakienne. À Bagdad, on arrive dans un centre de détention. En levant mon bandeau, j'ai vu des véhicules estampillés UN (United Nations, Nations unies, NDLR) dans la cour. Le premier interrogatoire se déroulait en présence de policiers français. Une traductrice s'adressait à nos « interrogateurs ». Après cette audition musclée, on a été transféré dans la prison de Mouthana, à Bagdad, près de l'aéroport. Nous y sommes régulièrement torturés : les gardiens branchent de l'électricité sur les lobes de l'oreille, certains en ont subi sur leurs parties génitales. Ils tournaient une manivelle et le courant était diffusé (la technique de la gégène avait été théorisée par Marcel Bigeard, dont les soldats l'avaient utilisée durant la guerre d'Algérie, NDLR). Le consul de France est venu au bout de trois mois de détention, on lui a parlé des tortures. Il n'a eu aucune réaction.
On est jugé en Irak alors que moi comme d'autres nous ne sommes jamais
entrés en Irak. L'Irak ne peut nous reprocher aucun délit ou crime commis sur
son territoire. Si la France nous a fait transférer en Irak, c'est parce
qu'elle n'a pas de preuve contre nous, elle n'a pas grand-chose pour nous faire
condamner. »
Plusieurs
procédures en France
Des revenants de cette zone de guerre ont été condamnés à 10 ans
de prison. Fodil Tahar Aouidate fait l'objet de plusieurs procédures ouvertes
en France, notamment pour association de malfaiteurs terroristes. Il est
également mis en cause comme recruteur. On peut considérer Fodil Tahar Aouidate
comme un « vétéran » de Daech. Parti de Roubaix en
juin 2013 pour la Turquie, il a rejoint le « califat »
quelques semaines plus tard avec femme et enfant. « J'ai rejoint Daech
sous l'influence de mon beau-frère qui était présent en Syrie avant moi, il me
vantait la possibilité de vivre sa religion sans problème. J'avais dit à ma
femme, on va en Turquie et, une fois arrivée, je lui ai fait part de mon
intention d'aller en Syrie, elle m'a suivi. » Manbij, Alep, Raqqa, Deir
ez-Zor, celui qui était commerçant ambulant dans le nord de la France a circulé
autour des centres névralgiques de l'État islamique.
Mais, selon lui : « Je n'ai jamais combattu. Quand on reste cinq
ans sous les bombes sans blessures, c'est une preuve que je n'ai pas été au
combat. » Malgré sa kalachnikov en bandoulière. La justice française lui
reproche son implication dans l'émigration de certains de ces coreligionnaires
de la France vers la zone de guerre. Selon le Renseignement français, une vidéo
de l'État islamique le montre se félicitant des attentats
du 13 novembre 2015 à Paris. D'après la sous-direction
antiterroriste (SDAT) de la police judiciaire, les enquêteurs ont retrouvé une
communication post-attentat entre le téléphone de l'épouse de Tahar Aouidate et
Hasna Aït-Boulahcen, la cousine d'Abdelhamid Abaaoud, le logisticien des
attentats du Bataclan et du Stade de France, qu'elle avait aidé à se réfugier
dans un appartement de Saint-Denis avant d'y trouver la mort à ses côtés lors
de l'assaut du Raid, cinq jours après la tragédie parisienne. Près d'une
vingtaine de membres de sa famille se sont retrouvés en Syrie à vivre sous le
régime de l'État islamique. Deux de ses sœurs, restées en France, font
actuellement l'objet d'une procédure pour avoir transféré les allocations
familiales notamment à leur frère. En première instance, l'une des deux a été
condamnée à de la prison ferme. Le procès en appel se déroulera
le 5 septembre.
Selon Nabil Boudi, l'avocat d'Aouidate : « La France a un rôle
ambigu dans ce dossier. Au moins la moitié des condamnés à mort n'ont jamais
mis les pieds en Irak. On peut considérer que la France cherchait un moyen de
ne pas les rapatrier. Seuls des Français ont été transférés à Bagdad. D'autre
part, d'autres djihadistes sont en outre détenus en Irak, ils ne font pas
l'objet d'une condamnation à mort. D'autres encore croupissent dans les geôles
kurdes et n'ont pas été expulsés. Ce qui pose des questions sur le traitement des 11 Français condamnés à mort. La France a versé de l'argent à l'Irak comme l'a
reconnu le président de la cour criminelle qui a jugé mes clients. »
Par la voix de son ministre des Affaires étrangères,
Jean-Yves Le Drian, ou de celle de la porte-parole du gouvernement, Sibeth
Ndiaye, la France considère que les condamnations des ressortissants français
en Irak sont conformes aux règles d'un procès équitable, tout en affirmant son
opposition à la peine de mort. Plusieurs accords militaires et financiers lient
Paris à Bagdad, mais les preuves d'une sous-traitance des procédures
judiciaires à un Etat autoritaire comme l'Irak manquent.