Publié par CEMO Centre - Paris
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Irak : un djihadiste français condamné à mort accuse la France

jeudi 01/août/2019 - 01:20
La Reference
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Condamné à mort début juin par le tribunal central criminel d'Irak, Fodil Tahar Aouidate, un Français de 33 ans originaire de Roubaix, est actuellement détenu dans la prison de Mouthana à Bagdad avec ses compatriotes. Il a contacté Le Point par téléphone. Le combiné est mis à sa disposition tous les dix jours par l'administration pénitentiaire. Il accuse la France d'avoir organisé le transfert de ses ressortissants de la Syrie vers l'Irak à qui elle aurait, selon lui, sous-traité leur destin judiciaire.

 « Je me suis enfui le 22 avril 2018 de Deir ez-Zor alors sous contrôle de l'armée de Bachar el-Assad avec femme et enfants. J'avais rompu avec Daech. Au premier check-point, je me suis rendu aux Kurdes. Comme d'autres, j'ai été torturé. Les Kurdes du YPG étaient en contact avec des émissaires français. C'est à leur demande que nous avons été tous regroupés dans une prison de la banlieue de Hassaka, au nord-est de la Syrie. Une zone sous contrôle du YPG. Tout a été organisé par la France.

Si la France nous a fait transférer en Irak, c'est parce qu'elle n'a pas de preuve contre nous

Après neuf mois de détention, en janvier 2019, et au lendemain d'une visite de la Croix-Rouge, on a été transféré avec Brahim Nejara (originaire de Lyon, condamné à mort, NDLR) et Mourad Delhomme (originaire de Meaux, condamné à mort, NDLR) dans la prison de Derrik, en Syrie, à la frontière entre la Turquie et l'Irak. Là, on a eu peur d'être livrés à Bachar.

Ensuite, on a pris la route, escortés, mains attachées et yeux bandés, pour Bagdad. On entendait des voix françaises lors de ce transfert, ces voix donnaient des ordres à l'armée irakienne. À Bagdad, on arrive dans un centre de détention. En levant mon bandeau, j'ai vu des véhicules estampillés UN (United Nations, Nations unies, NDLR) dans la cour. Le premier interrogatoire se déroulait en présence de policiers français. Une traductrice s'adressait à nos « interrogateurs ». Après cette audition musclée, on a été transféré dans la prison de Mouthana, à Bagdad, près de l'aéroport. Nous y sommes régulièrement torturés : les gardiens branchent de l'électricité sur les lobes de l'oreille, certains en ont subi sur leurs parties génitales. Ils tournaient une manivelle et le courant était diffusé (la technique de la gégène avait été théorisée par Marcel Bigeard, dont les soldats l'avaient utilisée durant la guerre d'Algérie, NDLR). Le consul de France est venu au bout de trois mois de détention, on lui a parlé des tortures. Il n'a eu aucune réaction.

On est jugé en Irak alors que moi comme d'autres nous ne sommes jamais entrés en Irak. L'Irak ne peut nous reprocher aucun délit ou crime commis sur son territoire. Si la France nous a fait transférer en Irak, c'est parce qu'elle n'a pas de preuve contre nous, elle n'a pas grand-chose pour nous faire condamner. »

Plusieurs procédures en France

Des revenants de cette zone de guerre ont été condamnés à 10 ans de prison. Fodil Tahar Aouidate fait l'objet de plusieurs procédures ouvertes en France, notamment pour association de malfaiteurs terroristes. Il est également mis en cause comme recruteur. On peut considérer Fodil Tahar Aouidate comme un « vétéran » de Daech. Parti de Roubaix en juin 2013 pour la Turquie, il a rejoint le « califat » quelques semaines plus tard avec femme et enfant. « J'ai rejoint Daech sous l'influence de mon beau-frère qui était présent en Syrie avant moi, il me vantait la possibilité de vivre sa religion sans problème. J'avais dit à ma femme, on va en Turquie et, une fois arrivée, je lui ai fait part de mon intention d'aller en Syrie, elle m'a suivi. » Manbij, Alep, Raqqa, Deir ez-Zor, celui qui était commerçant ambulant dans le nord de la France a circulé autour des centres névralgiques de l'État islamique.

Mais, selon lui : « Je n'ai jamais combattu. Quand on reste cinq ans sous les bombes sans blessures, c'est une preuve que je n'ai pas été au combat. » Malgré sa kalachnikov en bandoulière. La justice française lui reproche son implication dans l'émigration de certains de ces coreligionnaires de la France vers la zone de guerre. Selon le Renseignement français, une vidéo de l'État islamique le montre se félicitant des attentats du 13 novembre 2015 à Paris. D'après la sous-direction antiterroriste (SDAT) de la police judiciaire, les enquêteurs ont retrouvé une communication post-attentat entre le téléphone de l'épouse de Tahar Aouidate et Hasna Aït-Boulahcen, la cousine d'Abdelhamid Abaaoud, le logisticien des attentats du Bataclan et du Stade de France, qu'elle avait aidé à se réfugier dans un appartement de Saint-Denis avant d'y trouver la mort à ses côtés lors de l'assaut du Raid, cinq jours après la tragédie parisienne. Près d'une vingtaine de membres de sa famille se sont retrouvés en Syrie à vivre sous le régime de l'État islamique. Deux de ses sœurs, restées en France, font actuellement l'objet d'une procédure pour avoir transféré les allocations familiales notamment à leur frère. En première instance, l'une des deux a été condamnée à de la prison ferme. Le procès en appel se déroulera le 5 septembre.

Selon Nabil Boudi, l'avocat d'Aouidate : « La France a un rôle ambigu dans ce dossier. Au moins la moitié des condamnés à mort n'ont jamais mis les pieds en Irak. On peut considérer que la France cherchait un moyen de ne pas les rapatrier. Seuls des Français ont été transférés à Bagdad. D'autre part, d'autres djihadistes sont en outre détenus en Irak, ils ne font pas l'objet d'une condamnation à mort. D'autres encore croupissent dans les geôles kurdes et n'ont pas été expulsés. Ce qui pose des questions sur le traitement des 11 Français condamnés à mort. La France a versé de l'argent à l'Irak comme l'a reconnu le président de la cour criminelle qui a jugé mes clients. »

                                              

Par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, ou de celle de la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, la France considère que les condamnations des ressortissants français en Irak sont conformes aux règles d'un procès équitable, tout en affirmant son opposition à la peine de mort. Plusieurs accords militaires et financiers lient Paris à Bagdad, mais les preuves d'une sous-traitance des procédures judiciaires à un Etat autoritaire comme l'Irak manquent.

 


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