Publié par CEMO Centre - Paris
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En Syrie, dans les camps de familles djihadistes

jeudi 01/août/2019 - 01:13
La Reference
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« La Croix » a pu se rendre dans les camps du Kurdistan syrien où vivent, dans des conditions difficiles, des milliers de familles. Certaines se radicalisent un peu plus.

 

Une tempête de poussière balaye les milliers de tentes blanches du camp d’Al-Hol. Dans les allées, à perte de vue, une marée noire de niqabs piétine des ordures qui jonchent le sol. Les regards sont craintifs, les voix suppliantes, la foule oppressante.

Des groupes de femmes irakiennes et syriennes errent, désemparées, hurlant le nom d’un mari, d’un frère, d’un fils dont elles n’ont plus de nouvelles depuis la chute du califat, le 23 mars dernier.

Lors de la dernière bataille contre Daech, à Baghouz, dernier bastion du califat, il y a plus de quatre mois, des milliers d’hommes se sont rendus aux forces démocratiques syriennes – la coalition de milices dominée par les Kurdes – pour échapper aux combats et aux bombardements de l’aviation internationale.

 

Immédiatement incarcérés dans les geôles du Kurdistan syrien, région devenue de facto autonome du régime de Damas dans le chaos de la guerre civile, ces prisonniers ne peuvent pas entrer en contact avec leurs proches. « Je ne sais même pas si mon mari est encore vivant, sanglote Nawras (1), originaire de Fallouja, un ancien fief de Daech en Irak.

Dans la paume de sa main qu’un gant troué laisse entrevoir, elle serre un morceau de papier froissé sur lequel est griffonné un numéro de téléphone. Je vous en supplie, appelez mon fils ! Je crois qu’il a été transféré dans une prison à Bagdad, mais je n’ai aucun moyen de le contacter ici. »

« L’afflux massif de déplacés en provenance de la région de Baghouz a pris de court les organisations »

Souk de fortune

Pour pallier ce manque, des commerçants des villages voisins et des déplacés non affiliés à Daech ont ouvert des boutiques d’alimentation, de fruits, de légumes et de vêtements. Un souk de fortune au cœur du camp, dans lequel Djamillah, originaire de l’ouest de l’Irak, tient un magasin de produits cosmétiques et de maquillage avec son mari.

« Lorsque nous nous sommes installés ici, il y a un an et demi, la vie était supportable. Mais depuis l’arrivée de milliers de personnes de Baghouz, certaines femmes djihadistes font la loi. Elles nous menacent, disent que nos produits ne sont pas halals, et nous interdisent de mettre de la musique. »

 

À quelques dizaines de tentes de là, des enfants pataugent dans une flaque d’eau croupie ; d’autres se jettent des pierres en riant, les dents noires. Une odeur de pourriture mêlée de sueur et d’excrément se dégage des corps crasseux. L’un d’entre eux s’agrippe à nos vêtements, les yeux exorbités, le crâne à moitié chauve, le visage émacié par des mois de diarrhée. « L’eau qu’ils reçoivent est polluée, la nourriture avariée, se désole Ahmed, bénévole du Croissant-Rouge kurde. Nous faisons face à des épidémies comme le choléra ou la tuberculose, et personne ne nous aide. »

Dans la queue du centre de soins, une jeune mère de 19 ans perd son sang-froid : « Ma fille est en train de mourir et personne ne s’en occupe.Les pays étrangers ont détruit nos maisons et nous ont forcés à venir dans ce camp. J’aurais préféré rester avec Daech à Baghouz et mourir, plutôt que de venir ici. » Dans ses bras, sa petite fille de deux ans sanglote. Elle souffre de diarrhée et de convulsions. « Si vous la laissez mourir, je vous jure que je me vengerai. Daech vous punira. »

 

À l’entrée du camp, trois pick-up blancs siglés du logo de la Croix-Rouge stationnent. Nous ne croiserons pratiquement aucune autre association internationale durant notre visite. « Il ne faut pas être dupe. Pour les organisations humanitaires, aider ce type de population est extrêmement délicat, explique prudemment une responsable d’ONG qui souhaite garder l’anonymat, cela représente un grand risque en termes de réputation et de financement. Et c’est la même chose pour nos bailleurs de fonds. »

Contacté par La Croix, un autre travailleur humanitaire abonde : « Allez expliquer à ceux qui vous financent que leur argent va aider des familles de djihadistes. Personne ne vous donnera un centime ! »


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