En Syrie, dans les camps de familles djihadistes
« La Croix » a pu se rendre dans les camps du Kurdistan syrien où vivent, dans des conditions difficiles, des milliers de familles. Certaines se radicalisent un peu plus.
Une tempête de poussière balaye les milliers
de tentes blanches du camp d’Al-Hol. Dans les allées, à perte de vue, une marée
noire de niqabs piétine des ordures qui jonchent le sol. Les regards sont
craintifs, les voix suppliantes, la foule oppressante.
Des groupes de femmes irakiennes et syriennes
errent, désemparées, hurlant le nom d’un mari, d’un frère, d’un fils dont elles
n’ont plus de nouvelles depuis la chute du califat, le 23 mars dernier.
Lors de la dernière bataille contre Daech, à Baghouz, dernier bastion du califat, il y
a plus de quatre mois, des milliers d’hommes se sont rendus aux forces
démocratiques syriennes – la coalition de milices dominée par les Kurdes – pour
échapper aux combats et aux bombardements de l’aviation internationale.
Immédiatement incarcérés dans les geôles du
Kurdistan syrien, région devenue de facto autonome du régime de Damas dans le chaos de
la guerre civile, ces prisonniers ne peuvent pas entrer en contact avec leurs
proches. « Je ne sais même pas si mon mari est encore
vivant, sanglote
Nawras (1), originaire de Fallouja, un ancien fief de Daech en Irak.
Dans la paume de sa main qu’un gant troué
laisse entrevoir, elle serre un morceau de papier froissé sur lequel est
griffonné un numéro de téléphone. Je vous en
supplie, appelez mon fils ! Je crois qu’il a été transféré dans une prison à Bagdad,
mais je n’ai aucun moyen de le contacter ici. »
« L’afflux massif de déplacés en
provenance de la région de Baghouz a pris de court les organisations »
Souk de fortune
Pour pallier ce manque, des commerçants des villages
voisins et des déplacés non affiliés à Daech ont ouvert des boutiques
d’alimentation, de fruits, de légumes et de vêtements. Un souk de fortune au
cœur du camp, dans lequel Djamillah, originaire de l’ouest de l’Irak, tient un
magasin de produits cosmétiques et de maquillage avec son mari.
« Lorsque
nous nous sommes installés ici, il y a un an et demi, la vie était supportable.
Mais depuis l’arrivée de milliers de personnes de Baghouz, certaines femmes djihadistes
font la loi. Elles nous menacent, disent que nos produits ne sont pas halals,
et nous interdisent de mettre de la musique. »
À quelques dizaines de tentes de là, des enfants
pataugent dans une flaque d’eau croupie ; d’autres se jettent des pierres en
riant, les dents noires. Une odeur de pourriture mêlée de sueur et d’excrément
se dégage des corps crasseux. L’un d’entre eux s’agrippe à nos vêtements, les yeux exorbités, le
crâne à moitié chauve, le visage émacié par des mois de diarrhée. « L’eau
qu’ils reçoivent est polluée, la nourriture avariée, se désole Ahmed, bénévole du Croissant-Rouge
kurde. Nous faisons face à des épidémies comme le choléra ou la tuberculose, et
personne ne nous aide. »
Dans la queue du centre de soins, une jeune mère de
19 ans perd son sang-froid : « Ma fille est en train
de mourir et personne ne s’en occupe.Les pays étrangers ont détruit nos maisons et nous ont forcés à venir dans
ce camp. J’aurais préféré rester avec Daech à Baghouz et mourir, plutôt que de
venir ici. » Dans ses
bras, sa petite fille de deux ans sanglote. Elle souffre de diarrhée et de
convulsions. « Si vous la laissez mourir, je vous jure que je me vengerai. Daech vous punira. »
À l’entrée du camp, trois pick-up blancs siglés du logo
de la Croix-Rouge stationnent. Nous ne croiserons pratiquement aucune autre
association internationale durant notre visite. « Il ne faut pas être dupe. Pour les organisations
humanitaires, aider ce type de population est extrêmement délicat, explique prudemment une responsable d’ONG qui souhaite
garder l’anonymat, cela représente un grand risque en termes de réputation
et de financement. Et c’est la même chose pour nos bailleurs de fonds. »
Contacté par La Croix, un autre travailleur humanitaire abonde : « Allez
expliquer à ceux qui vous financent que leur argent va aider des familles de
djihadistes. Personne ne
vous donnera un centime ! »