Jugement des jihadistes étrangers en Irak : un tribunal mixte "donnerait l'impression d'une grande tutelle", d'après un avocat
La ministre de la justice Nicole Belloubet
a évoqué, mercredi 24 juillet sur franceinfo, un
projet de tribunaux "mixtes", franco-irakiens, pour juger les jihadistes étrangers en
Irak. Vincent Brengarth est l'avocat de plusieurs femmes détenues en Irak et en
Syrie. Parmi elles, Mélina Boughedir, condamnée en juin 2018 à vingt ans de
prison en Irak, et la jihadiste nantaise Margaux Dubreuil, retenue dans un camp
en Syrie. Invité sur franceinfo, l'avocat a expliqué que ce projet "donnerait l'impression d'une grande tutelle".
franceinfo : Le "tribunal mixte" est un bon
compromis selon vous ?
Vincent Brengarth : Ça donne
l'impression d'une improvisation de la part du gouvernement sur ce dossier.
Dans un premier temps, on avait dit qu'on s'orientait vers la création d'un
tribunal international. Puis, plusieurs mois après, c'est une solution qu'on
abandonne pour une solution un peu intermédiaire, ce fameux tribunal mixte.
Mais on ne voit pas véritablement ce que serait ce tribunal. Qui seront les
juges qui le composeront ? En vertu de quels droits pourront-ils juger ? Le
droit français ou le droit irakien ? Sachant que le droit irakien prévoit
l'application de la peine de mort, qui est contraire à notre ordre public. Ça
pose encore plus de questions qu'un tribunal international. Il a été écarté
pour des raisons financières, mais elles se posent actuellement pour un
tribunal mixte. La presse a révélé il y a plusieurs semaines qu'en échange de
la remise de ressortissants français aux autorités irakiennes, la France payait
plusieurs millions d'euros. Des sommes assez considérables, alors que les
juridictions françaises seraient parfaitement compétentes.
La mise en place d'un tribunal mixte est encore plus
complexe que celle d'un tribunal international ?
Oui, on essaye toujours de trouver une nouvelle invention
pour contourner ce qui est objectif. L'Irak ne permet pas d'avoir des procès
équitables, et soumet au risque de peine de mort. Le procès de Mélina Boughedir
a duré moins d'une heure. On a décidé en dix minutes de la condamner à la peine
de mort. Objectivement, on voit que ce sont des procès qui n'ont rien à voir
avec des procès conformes aux engagements internationaux.
Peut-on parler d'inflexion, puisque le Quai d'Orsay
disait jusqu'à maintenant que la justice irakienne était rendue dans de bonnes
conditions, et de façon équitable ?
Il y a quelques semaines, on disait que la juridiction
irakienne était parfaitement souveraine. Aujourd'hui, on vient leur dire qu'on
va placer des observateurs internationaux. On voit les problèmes que ça pose.
En termes diplomatiques, mais aussi en terme de coopération judiciaire. La
principale difficulté, c'est qu'on ne va pas demander à un juge français
d'apprécier des charges en vertu du droit irakien. Ça n'aurait strictement
aucun sens. Et ça donnerait l'impression d'une grande tutelle avec des juges
français qui pourraient parfaitement juger nos ressortissants en France, et qui
se déplaceraient en Irak pour juger les ressortissants qu'on ne veut pas voir
revenir sur le territoire.