Publié par CEMO Centre - Paris
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Le Liban, terre de lait, de miel et d’ambiguïtés

dimanche 21/juillet/2019 - 12:46
La Reference
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Plus d’une fois, dans la Bible, le Liban y apparaît comme une « terre de lait et de miel ». Terre bénie des dieux, donc, surtout en abondance spirituelle. C’est pourquoi il est inconcevable de se dire officiellement athée au Liban. Faute de croyance personnelle, celle de votre famille ou du clan élargi s’identifiera sans doute dans l’une des 18 confessions reconnues par l’État et représentées à l’Assemblée nationale. Ces variations religieuses, principalement musulmanes et chrétiennes, ont du mal à concevoir une façon d’être au monde autrement que par la foi.

Dans ce petit pays entre mer et montagne, chacun prie son Dieu sans forcément connaître celui de son voisin, parfois à l’intérieur d’une même religion. Posez la question aux musulmans s’ils savent que la sublime épouse de George Clooney, Amal Alamuddin, est Libanaise d’appartenance druze ; le commun des mortels ne saura même pas que cette minorité religieuse, qui a son siège au Parlement, est une branche mystique de l’islam qui croit aux rites initiatiques et à la réincarnation.

Le danger ou la dolce vita libanaise

Ceux qui ont connu le Liban avant la guerre civile de 1975 parlent d’un pays multiethnique où la mixité allait de soi, car les gens se sentaient Libanais avant de se définir par une confession. Comme toute guerre civile, celle du Liban a fait des ravages et creusé des fossés qui semblent aujourd’hui infranchissables.

« Grâce à la guerre, c’est devenu plus clair. Chacun pour soi. Et c’est mieux comme ça », s’empresse de préciser Wassim, chauffeur d’Uber, qui adore son pays, mais qui a attendu le passeport français avant de se « réinstaller » définitivement sur la terre de ses ancêtres. « Juste au cas où. »

C’est ce sentiment de vivre au bord du précipice qui définit le mieux les Libanais. Si tout peut basculer à tout moment à cause d’un attentat politique, d’un conflit avec l’éternel ennemi Israël ou d’une guerre civile dont personne ne veut, mais qui étrangement fait écho dans les têtes de nouvelles générations nées après la guerre, cette adrénaline du danger constitue la dolce vita libanaise par excellence.

Malgré la pollution, l’envahissement de la capitale par les réfugiés syriens, l’embouteillage et la corruption politique dont tout le monde parle, il fait bon vivre à Beyrouth, sans doute parce que la conception orientale du temps sait bien étirer les heures autour des mille et une saveurs de narguilé et de plus d’une dizaine de petits plats (mezze) qui précèdent, pour le grand malheur du néophyte qui goûte à tout, les plats principaux où la viande crue (kebbé nayé) jouit d’une grande popularité.

Manque d’espace

Chaque quartier de Beyrouth a ses spécificités auxquelles il vaut mieux être initié par ceux qui connaissent les frontières invisibles d’une ville qui possède dans ses entrailles toutes les contradictions. Après l’incontournable promenade sur la Corniche et le rocher aux pigeons (Raouché), il vaut mieux être averti que derrière l’énorme affiche du premier ministre Saad Hariri (fils de Rafik Hariri, assassiné en 2005), qui ouvre les bras sur la ville, se trouve l’une des plus belles plages de la capitale, où on ne peut pas vraiment se baigner à « l’occidentale », et que derrière cette partie « sunnite » du bord de la mer, on peut tomber, sans le savoir, dans une rue « chiite » avec des affiches de leurs propres chefs.

Cette fluidité urbaine gagne la bataille contre la rigidité identitaire sans doute à cause du manque réel d’espace. Ce petit pays de 10 452 km2 contient sur son sol des récits identitaires plus grands que nature et, malgré la volonté politique d’exacerber les différences, il y a dans chaque Libanais un peu de l’autre, proximité physique oblige.

L’altérité s’affiche aussi dans la volonté de garder les traces de la guerre. À certains endroits stratégiques de la ville, les façades criblées de balles côtoient aujourd’hui des édifices habités par les Gap et Zara. On y trouve aussi Beit Beyrouth, le tristement fameux musée de la guerre, à l’angle de la rue Damas et de l’Indépendance, jadis appelé Maison jaune en raison de la couleur ocre de ses façades.


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