Dans l'histoire du Soudan, les femmes au premier plan de la contestation
Elles se sont battues à l'égal des hommes
pour la liberté lors des manifestations qui ont fait chuter Omar el-Béchir.
Malgré des rôles importants dans la société au cours de l'Histoire, elles
sont aujourd'hui encore discriminées…
Le
19 décembre 2018, à l'appel de l’Association des professionnels soudanais (SPA) qui compte de très nombreux jeunes et
femmes, les Soudanais descendent dans la rue pour
protester contre le gouvernement qui veut cesser de subventionner la farine et
tripler le prix du pain.
La
mobilisation est immédiate. Les femmes prennent très vite en charge la
logistique et l'organisation des manifestations. Cette contestation se
transforme rapidement en révolte contre Omar el-Béchir, alors âgé de 75 ans, et
au pouvoir depuis 30 ans. Il est renversé par un coup d’Etat militaire, le 11 avril 2019.
Quelques
jours plus tard, un Conseil militaire de transition est à la tête du pays,
soutenu par l'Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis et l’Egypte. "Les gens
ne veulent pas d'un conseil militaire de transition", mais
d'"un conseil
civil", réagit Alaa Salah,
une étudiante devenue l'icône du mouvement.
Les femmes y jouent un rôle prédominant
Des
sit-in pacifiques s'organisent devant le siège de l'armée dans la capitale
Khartoum. Elles "sont au premier rang. Ce sont les
leaders des protestations. (…) On est loin du cliché des femmes qui resteraient
en second plan, derrière un mouvement mené par les hommes. Ce sont les femmes
qui entonnent les chants de protestation et qui régulent ce qui est dit. Si les
chants comprennent des phrases sexistes ou discriminatoires, nous intervenons
et nous expliquons, sans animosité ou agressivité !",
rapporte Dalia el-Roubi sur France24.
On
n'hésite pas à les comparer aux "kandakas",
les reines nubiennes ayant marqué l’histoire de la région dans l’Antiquité en
raison de leurs tenues blanches. Elles font aujourd’hui entendre leurs
revendications, explique Ihsan Fagiri, médecin et cofondatrice du mouvement
soudanais Non à l’oppression des femmes.
Mais le 3 juin marque
un tournant sanglant dans l'histoire de la contestation pacifique. Des unités
paramilitaires composées d'ex-miliciens Janjawid, dirigées par la Force de
soutien rapide (RSF), chargent les manifestants. Un massacre qui fait des
dizaines de morts et des centaines de blessés.
Cette
répression ultra violente n'épargne pas les Soudanaises.
Sur les milliers de personnes incarcérées, 30% sont des femmes.
Elles subissent harcèlement psychologique, sévices corporels et viols.
Historiquement, les Soudanaises ont toujours participé
aux révolutions du pays
En
1946, Khalida Zahir est l’une des premières femmes
médecins du pays. Elle n'hésite pas à manifester pour s’insurger contre les
colons britanniques. Arrêtée et battue, elle est restée dans les mémoires comme
une des premières grandes figures féministes soudanaises. "Khalida Zahir
fait partie des pionnières qui ont contribué à ouvrir la voie à des avancées
comme cette loi de 1973 accordant un salaire égal pour un travail égal",
explique Ikhlas Nouh Osman, professeure adjointe à l’Institut régional pour le
genre, la diversité, la paix et les droits de l’université Ahfad pour les
femmes, cité par le média Ulyces.
Au
nord du pays, une région nettement plus urbanisée, elles sont les premières à
former des organisations militantes. "La plus importante d’entre
elles était l’Union des femmes soudanaises, fondée en 1952 au côté d’autres
groupes pionniers comme la Ligue des filles cultivées, l'Association pour la
promotion de la femme et les Sœurs républicaines, branche féminine du groupe de
réforme islamique, les Frères républicains",
explique Mediapart.
En
plus de ces organisations exclusivement féminines, les Soudanaises ont
également rejoint le Parti communiste, qui était le seul parti politique au
Soudan à accepter les femmes en tant que membres.
Aujourd'hui, leurs luttes sont multiples: économiques,
politiques et sociales.
Droits
civiques, égalité salariale, congé maternité, éradication de l'analphabétisme,
droit à intégrer tous les corps de métiers, abrogation de la loi obligeant les
femmes victimes de violences conjugales à retourner auprès de leur mari…
L'un
de leur principaux combats est aussi celui mené contre l’islam fondamentaliste
et la charia instaurée en 1983 et réaffirmée par Omar el-Béchir lors de son
arrivée au pouvoir en 1989. Selon des ONG soudanaises, 15 000 femmes ont été
condamnées à la flagellation en 2016.
Elles
ne veulent plus être traitées comme des citoyennes de seconde zone et dénoncent
les nombreuses inégalités qui persistent entre les deux sexes. Le Soudan est
l'un des rares pays au monde à ne pas avoir signé la Convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes,
adoptée par l’Assemblée générale de l'ONU en 1979.
Dans
le Gender Inequality Index mis
en place par le Programme des Nations unies pour le développement, le Soudan se
place en 2018 au 129e rang sur 147 pays pour l'égalité hommes-femmes. Il était
à la 109e place à la création de cet index en 1995. Et selon l’édition 2019, la
charia a globalement aggravé les discriminations au sein de la famille,
restreint l’intégrité physique des Soudanaises, limité leur accès aux
ressources productives et financières, et entravé leurs libertés civiles.
"Certes, il
y avait des femmes ministres, mais leurs ministères étaient sous-financés et
l'idéologie du régime était basée sur l'inégalité des genres. Les lois aussi.
Jusqu'en 2015, la loi sur le viol prévoyait qu’une femme agressée devait venir
accompagnée de quatre témoins directs devant le juge pour être reconnue comme
victime!", précise Reem Abbas, journaliste et
activiste soudanaise citée par La Croix.
Si
les Soudanaises sont présentes dans toutes les couches de la société, arrivé au
pouvoir Omar el-Béchir a voulu les "remettre à la maison". "Toutes les
dictatures cherchent à réduire le rôle des femmes",
ajoute Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS,
spécialiste du Soudan.
Aujourd'hui,
les contestataires réclament la formation d’un gouvernement à majorité civile. Et une lueur d'espoir
est apparue le 6 juillet.
Obtenu
grâce à la médiation de l'Ethiopie et de l'Union africaine, un accord entre
militaires et manifestants veut dessiner un processus de sortie de crise, avec
une instance de transition gouvernée tour à tour par l'armée et les leaders de
la contestation. Le 17 juillet 2019, un accord a été signé entre
les deux parties.