Publié par CEMO Centre - Paris
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La mosquée dans la pensée des mouvements islamistes en Egypte

dimanche 08/juillet/2018 - 09:55
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Mahmoud Abdalel

 

La mosquée dans la pensée islamique a de tout temps été associée au Sultan. Elle a toujours été affiliée à l'Etat du point de vue du discours et de l’administration, mais avec l'expansion de l'Islam et sa diffusion dans différentes régions, on a vu émerger d'autres types de mosquées comme les mosquées des Waqfs, les mosquées civiles et autres. Dans ce contexte, l'idée de fonder des mosquées est devenue extrêmement populaire au sein des groupes islamistes. Ces derniers ont cherché à développer les fonctions de la mosquée pour que celle-ci joue, au côté de son rôle religieux, un rôle social, charitable et de sensibilisation.

Cette étude explique comment la mosquée a évolué au sein de l’espace public, et comment elle fournit certains services destinés à l’ensemble de la société comme les hôpitaux et les associations de bienfaisance, et d’autres services qui se limitent à la communauté musulmane comme les salles de fête et autres. C’est pour ces raisons que les Frères musulmans, les salafistes et autres ont cherché à contrôler les mosquées, et même à étendre leur rôle pour assurer leur domination politique et sociale sur la société.

 

La mosquée, lecture conceptuelle

 

La mosquée est le plus important bâtiment religieux en Islam. Au onzième siècle, le rôle de la mosquée a connu une certaine expansion au service de la communauté musulmane. Les mosquées ont servi d’écoles pour enseigner le Fiqh, le Coran, la jurisprudence, les arts et les sciences. On a alors construit des salles annexes dans les mosquées pour accueillir les élèves et les professeurs (1). Nous remarquons que la mosquée est le fondement sur lequel s’appuient les groupes islamistes dans leur pratique de la politique. Ils s’en servent comme outil de mobilisation. La mosquée est le lieu où les musulmans se rassemblent pour prier (2). D’après le linguiste Mohammed bin Abdullah Zarkashi, le mot Masdjid (mosquée) signifie littéralement « le lieu où l’on se prosterne », ce qui confère à ce lieu une certaine révérence. Il est bien connu que le serviteur est plus proche de son Seigneur durant la prosternation. L’emploi du mot Masdjid (lieu où l’on se prosterne) et non pas Marka’ (lieu où l’on s’agenouille) dénote de la grande révérence dont bénéficie la mosquée. On emploie aussi le mot Djami’ c’est-à-dire le lieu qui rassemble les serviteurs pour la prière du vendredi. L’Islam recommande la construction bénévole des mosquées, et accorde un grand mérite à celui qui le fait. D’où la précipitation à faire des dons pour construire des mosquées. Le Prophète (Salla Allahou Alaihi wa Sallam) a dit « Celui qui construit une mosquée, Allah lui construit une maison au paradis » Mouslim (4).

 

Les mosquées ont été utilisées durant le printemps arabe avec beaucoup d’efficacité tant sur le plan moral (prosternation) que physique (mobilisation). C'est ce qu’affirme le Dr Khalil Al-Anani dans son explication du phénomène religieux durant le printemps arabe. Les mosquées ont été utilisées comme points de rassemblement pour les manifestants durant les événements de 2011 en Syrie et en Egypte (5).

Le concept du djam’ est lié à d'autres concepts comme celui du minbar (tribune). Le minbar incarne le savoir religieux. Les messages véhiculés à travers un minbar sont très influents car ils sont donnés au nom de la religion. Selon le cheikh Mansour Al-Rifai (ancien sous-secrétaire du ministère des Waqfs et des affaires de la Da’wa et des mosquées) le minbar est une tribune très importante dans les pays à majorité musulmane (6). Tout cela a fait que les acteurs politiques ont cherché à le contrôler. Ainsi, les islamistes en Egypte ont tenté après 2011 de dominer les minbars des mosquées loin de l’autorité de l'Etat.

 

Transformations fonctionnelles

 

Les Mamelouks ont monopolisé la construction des mosquées en Egypte pour se rapprocher des égyptiens, avec qui ils n’étaient unis que par le lien de la religion. A l'époque mamelouke, les mosquées exerçaient un rôle politique et social de premier plan. Les minbars étaient utilisés pour appeler à la nomination des monarques ou à leur destitution. Les mosquées étaient utilisées comme cours de justice et comme lieu d’accueil des différents événements. Ceci s'est reflété sur le développement récent des mosquées. Celles-ci sont devenues des lieux d'activités politiques et sociales. Elles se sont transformées en hôpitaux, en centres éducatifs ou en salles de réception.

 

1- Le rôle politique

 

Le rôle politique du Masjid a commencé à l'époque du Prophète et des califes bien guidés. La mosquée est devenue le siège du pouvoir et le lieu où l’on prête allégeance au souverain. Elle jouait un rôle primordial dans la consolidation du pouvoir. C’est dans les mosquées que l’on invoquait Allah en faveur du calife, permettant à ce dernier de consolider sa légitimité. Les mouvements de l'Islam politique ont cherché à exploiter le « pouvoir religieux » de la mosquée pour influencer les gens, comme ce fut le cas en Egypte lors des amendements constitutionnels qui ont suivi la révolution du 25 Janvier. La mosquée a été également utilisée par les groupes islamistes pour recruter de nouveaux membres. En effet, de nombreux Frères musulmans ont reconnu qu’ils ont été recrutés à la mosquée, surtout lors des leçons de religion qui ont lieu après les prières. C’est ce qu’on appelle « La chasse à la proie » (7).

 

Le salafiste Hazem Salah Abou Ismaïl, a instrumentalisé le minbar de la mosquée d’Assad ibn Al-Furat à Dokki à Giza pour faire la propagande de son projet politique. Il a mené à travers ce minbar une longue lutte contre le Conseil Suprême des Forces armées (CSFA), chargé de gérer la période transitoire, afin d’obtenir l’autorisation de ce dernier de se présenter à la présidentielle égyptienne de 2012.

 

2- Le rôle culturel et scientifique

 

La mosquée a joué un rôle de premier plan dans la diffusion des sciences surtout les sciences religieuses. Des séminaires scientifiques avaient régulièrement lieu dans les grandes mosquées. On y enseignait le Coran, le hadith, et la jurisprudence. Al-Maqrizi affirme ainsi que la mosquée d’Ahmad Ibn Toulon au Caire a été utilisée comme une institution scientifique. L'idée des universités est née dans les mosquées comme la mosquée d’Al-Zaytouna en Tunisie, celle d’Al-Qouraouin à Fès et la mosquée d’Al-Azhar au Caire. Les mouvements islamistes, en particulier les Frères musulmans, ont cherché à recruter de nouveaux membres dans les mosquées. La confrérie a eu recours à la mosquée pour propager sa pensée à travers les cours de religion, les sermons et les prêches, et aussi pour améliorer son image et contrer la publicité négative. Les salles de cours sont très répandues dans les mosquées surtout celles contrôlées par les mouvements islamistes. Des classes de soutien sont organisées pour les étudiants. Il s’agit d’un moyen de lier la jeunesse musulmane à la mosquée et une extension naturelle du rôle de la mosquée dans la société.

 

3. Le rôle social

 

La mosquée n'était pas seulement un lieu de prière dans la pensée islamiste, elle était utilisée comme outil d’infiltration au sein de la société. Un nouveau concept relatif à la fonction de la mosquée a fait son apparition. Celle-ci répondait désormais aux besoins de la population. On vit apparaître les « complexes islamiques » qui englobent des hôpitaux, des associations de bienfaisance, en plus des salles et des centres de cours particuliers, qui offrent leurs services dans les zones géographiques entourant la mosquée. En dépit des services fournis par ces complexes surtout dans le domaine de la bienfaisance, ils sont en premier lieu utilisés à des fins politiques. Ce fut notamment le cas en Egypte après les événements de 2011. Les mouvements islamistes ont utilisé les mosquées comme outil de propagande politique. Par exemple, le Conseil d’administration de l’association islamique légale (Al-Djam’eya Al-Char’eya), qui gère plus de 6 000 mosquées en Egypte, a soutenu le candidat Mohamed Morsi, au détriment d'Ahmed Shafik, ce que certains ont considéré comme une déviation de la part de l'association, dont la fondation remonte à 1912.

 

Le rôle positif joué par la mosquée en tant qu’institution ne nous préoccupe pas. Nous cherchons à comprendre la dynamique des relations qui naissent autour de la mosquée, surtout lorsque ses activités sont contrôlées par des partis ou des courants politiques. Ces activités génèrent une dynamique sociale qui se manifeste lors des élections ou pendant les périodes de polarisation. Ce fut le cas en Egypte après 2011 et la destitution de l'ancien président Mohamed Morsi en juin 2013. Les mosquées ont servi de terrain d'action politique, pour soutenir les islamistes ou pour mobiliser la population.

 

La mosquée dans la pensée islamiste

 

La mosquée est considérée dans la pensée islamiste comme un centre de rayonnement scientifique. Dans l’un de ses sermons, Hassan Al-Banna, le fondateur des Frères musulmans, a appelé à la construction des mosquées car celles-ci sont « des écoles publiques, des universités populaires qui s'adressent tant aux enfants, qu’aux jeunes et aux adultes». Al-Banna a appelé à étendre l’activité de la mosquée au-delà des leçons religieuses et de la prière pour qu’elle englobe les hôpitaux et les centres éducatifs.

Cette vision était claire dans le règlement relatif aux conseils d’administration des mosquées, adopté par le gouvernement des Frères musulmans à l’époque de l’ancien président Mohamed Morsi. Le ministre des Waqfs de l’époque, Mohamed Afifi, a publié le décret 75 de l'année 2013 sur la formation des conseils d’administration des mosquées. Le décret accorde une attention toute particulière aux conseils d’administration. Ainsi, le conseil d’administration est responsable des cours de religion et d’apprentissage du Coran au sein des mosquées, de même que de la bibliothèque. Il doit préparer la mosquée à assumer son rôle social dans sa zone géographique, ceci à travers les cours d'alphabétisation, les complexes médicaux, les ateliers d’artisanat etc. S’ajoute à tout cela la supervision des fonds collectés et ceux destinés à l’expiration.

Le décret 75/2013 a montré dans une large mesure la vision des mouvements islamistes en ce qui a trait aux mosquées. Selon cette vision, la gestion et la supervision de ces établissements est un droit qui revient à la communauté musulmane. Selon le porte parole du ministère des Waqfs de l’époque, ce décret « rétablit le rôle historique de la mosquée et lui redonne son statut dans son environnement géographique». Ceci à travers les activités sociales qui visent à rétablir le lien entre la mosquée et les gens.

Les salafistes ont commencé récemment à jouer le rôle des Frères musulmans. Ils cherchent à attirer les jeunes dans les zones rurales à travers les œuvres de charité. L’un des services fournis par les Salafistes est les cours particuliers dans les centres éducatifs des mosquées. Mentionnons aussi les convois médicaux et vétérinaires pour fournir un traitement gratuit aux pauvres et aux démunis. Le rôle des salafistes a également émergé lors des inondations qui ont balayé la région de Ras Ghareb en Mer Rouge en 2016. Les membres du parti salafiste d’Al-Nour ont lancé des campagnes pour secourir la population dans les mosquées proches du siège du parti.

 

La mosquée et la philosophie de l'espace

 

Le rôle de la mosquée va au-delà de ses fonctions religieuses et spirituelles pour s’étendre à la charité et aux services sociaux dans l’espace communautaire local, et ce sans discrimination, surtout si la communauté est pauvre et est plus préoccupée par les conditions de vie que par les questions idéologioques et si l'Etat est absent.

L'idée des « espaces » de la mosquée dans la pensée politique islamiste émane du rôle joué par la mosquée dans la vie des musulmans. La mosquée n’était pas seulement un lieu de prière, elle était le siège du pouvoir et un lieu d'éducation et de règlement des litiges, de même qu’une tribune pour la Da’wa (appel à l’Islam) le djihad et la mobilisation armés à l’époque du Prophète Mohamed. C’est dans ce contexte, que M. Hussein Shafei, le ministre égyptien des Waqfs lors d'une réunion du Conseil des ministres en 1968, a adopté l'idée de mettre à profit les espaces dans les mosquées pour la fourniture de services sociaux, ceci pour couper la route aux groupes islamistes qui tentaient de jouer ce rôle.

Al-Shafei a estimé qu'il était nécessaire que les mosquées étendent leurs activités au profit de la communauté, et ce en présentant un service éducatif et médical, ainsi que des services sociaux. Il a dit que le trio formé de l’Etat, de la mosquée, et de la communauté locale sert les objectifs de l'Etat (à cette époque) à réaliser la justice sociale et donne à la mosquée de nouvelles fonctions afin de suivre l’évolution de la modernité (9).

Il existe deux espaces sociaux au sein d’une mosquée. Le premier est le centre de services communautaires. C’est un espace publique qui fournit des services sociaux et de bienfaisance. Une salle y est rattachée pour les occasions sociales. Ses revenus constituent l’une des sources de financement les plus importantes tant pour les mosquées que pour le ministère des Waqfs. Le deuxième espace est le centre des services religieux. Il s’agit d’un espace privé, dont les services sont limités aux musulmans comme la pratique des rites religieux, la collecte de la Zakat et les services funéraires pour les musulmans. Ces services concernent uniquement les musulmans.

Les espaces publics au sein des mosquées se sont largement étendus. Ils fournissent désormais les services les plus recherchés en Egypte, comme les soins médicaux surtout dans les zones rurales, qui souffrent le plus de la pauvreté et de la déterioration des services, et les centres éducatifs qui sont très demandés dans les villes surtout avec le déclin des écoles publiques et la diffusion à grande échelle des cours particuliers. Dans ce contexte, l’actuel ministre égyptien des Waqfs, Mohamed Mokhtar Gomaa, a annoncé la conclusion d’un protocole de coopération avec le ministère de l’Approvisionnement pour fournir 900 tonnes de nourriture aux mosquées afin de les distribuer au prix de revient aux pauvres et aux nécessiteux. Le ministre a ordonné l'ouverture de 900 points de vente de produits alimentaires dans les mosquées et les espaces non exploités. Ceci pour faire face aux mouvements islamistes qui exploitent la pauvreté de la société égyptienne.

Nous pensons que les services fournis par les espaces publics et semi-publics dans les mosquées doivent être destinés à la communauté dans son ensemble, sans discrimination aucune, étant donné qu’on est sorti de l’espace strictement religieux (culte et activités spirituelles) vers l’espace public (activités sociales) en ce qui concerne les activités publiques, ce qui permet de concrétiser les valeurs de citoyenneté loin de l’idée du « groupe élu ».

En guise de conclusion, nous disons que les mouvements islamistes ont compris que la religion est une composante essentielle de la vie des gens. Ils ont cherché à l’exploiter pour réaliser leurs intérêts. Ceci est confirmé par le fait que la plupart des mouvements islamistes sont nés dans les mosquées, comme les Frères musulmans, l’appel salafiste et le groupe d’Al-Tabligh wal Da'wa. Ceci prouve que la mosquée a été et continue à être un outil important aux mains des islamistes pour dominer la société. C’est pour cette raison que les politiques de l'État, surtout après la destitution de l'ancien président, Mohamed Morsi, visent à empêcher ces mouvements de contrôler les mosquées, et à réduire leur rôle dans la société en les empêchant d'atteindre la base de celle-ci.

 

Bibliographie

1. Nabil Abdel Fattah, La situation religieuse en Egypte, cinquième édition (Le Caire: Centre des études politiques et stratégiques d’Al-Ahram, 1995), p 379.

2. Pour plus d'informations, voir : Jale Nejdet, Erzen, Lire les mosquées: signification et architecture en Islam. "Le Journal de l’esthétisme et de critique de l’art No. 69 (2011), P.126.

3. Mohammed bin Abdullah Al-Zarkashi, Informer le fidèle des dispositions de la mosquée, cinquième édition (Le Caire : Ministère des Waqfs, 1996), p. 26-28. Voir aussi: Amr Ezzat, A qui les minbars d’aujourd’hui ? Analyse de la politique de l'Etat de gestion des mosquées, première édition (Le Caire: initiative égyptienne des droits personnels, Août 2014).

4. Al-Zarkashi, référence déjà mentionnée

5. Khalil Al-Anani, Le rôle de la religion dans le domaine public en Egypte après la révolution du 25 janvier, Pp. 2-4, disponible sur: https://goo.gl/ZSkXKb

6. Mansour Obeid Rifai, prédicateurs et développement social, première édition. (Le Caire: Librairie Al-Dar Al-Arabya 1997) p 56.

7. Khalil Al-Anani, A l’intérieur des Frères Musulmans: Religion, Identité et Politique, 1ère édition, Oxford Press, 2016.

8. Hassan Al-Banna, les notes de la Da’wa et du prédicateur, Mohamed El Baz (Étude et présentation), Troisième édition (Le Caire: maison d’édition Kenoz, 2013), p 173-177.

9. Morroe Berger, La mosquée: aspects de la politique gouvernementale envers la religion en Egypte aujourd'hui. Études du Moyen-Orient No. 1 (1970), P.29.

10. Voir Fadi El Sawy, Les Waqfs, les points de vente des marchandises à but non lucratif. Egypte (18/04/2017), disponible sur le lien: https://goo.gl/1JyUOW, voir aussi: Mahmoud Ochb, un protocole de coopération entre le ministère de l’Approvisionnement et les Waqfs pour  fournir les sacs de Ramadan gratuitement aux pauvres. Portail d’Al-Ahram (16/04/2017), sur le lien: https://goo.gl/YilSI5

 

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