La mosquée dans la pensée des mouvements islamistes en Egypte
La mosquée dans la pensée islamique a de tout temps
été associée au Sultan. Elle a toujours été affiliée à l'Etat du point de vue
du discours et de l’administration, mais avec l'expansion de l'Islam et sa
diffusion dans différentes régions, on a vu émerger d'autres types de mosquées
comme les mosquées des Waqfs, les mosquées civiles et autres. Dans ce contexte,
l'idée de fonder des mosquées est devenue extrêmement populaire au sein des
groupes islamistes. Ces derniers ont cherché à développer les fonctions de la
mosquée pour que celle-ci joue, au côté de son rôle religieux, un rôle social,
charitable et de sensibilisation.
Cette étude explique comment la mosquée a évolué au sein
de l’espace public, et comment elle fournit certains services destinés à
l’ensemble de la société comme les hôpitaux et les associations de
bienfaisance, et d’autres services qui se limitent à la communauté musulmane
comme les salles de fête et autres. C’est pour ces raisons que les Frères
musulmans, les salafistes et autres ont cherché à contrôler les mosquées, et
même à étendre leur rôle pour assurer leur domination politique et sociale sur
la société.
La mosquée, lecture conceptuelle
La mosquée est le plus important bâtiment religieux en
Islam. Au onzième siècle, le rôle de la mosquée a connu une certaine expansion
au service de la communauté musulmane. Les mosquées ont servi d’écoles pour
enseigner le Fiqh, le Coran, la jurisprudence, les arts et les sciences. On a
alors construit des salles annexes dans les mosquées pour accueillir les élèves
et les professeurs (1). Nous remarquons que la mosquée est le fondement sur
lequel s’appuient les groupes islamistes dans leur pratique de la politique.
Ils s’en servent comme outil de mobilisation. La mosquée est le lieu où les
musulmans se rassemblent pour prier (2). D’après le linguiste Mohammed bin
Abdullah Zarkashi, le mot Masdjid (mosquée) signifie
littéralement « le lieu où l’on se prosterne », ce qui confère à ce lieu
une certaine révérence. Il est bien connu que le serviteur est plus proche de
son Seigneur durant la prosternation. L’emploi du mot Masdjid (lieu
où l’on se prosterne) et non pas Marka’ (lieu où l’on
s’agenouille) dénote de la grande révérence dont bénéficie la mosquée. On
emploie aussi le mot Djami’ c’est-à-dire le lieu qui rassemble
les serviteurs pour la prière du vendredi. L’Islam recommande la construction
bénévole des mosquées, et accorde un grand mérite à celui qui le fait. D’où la
précipitation à faire des dons pour construire des mosquées. Le Prophète (Salla
Allahou Alaihi wa Sallam) a dit « Celui qui construit une mosquée,
Allah lui construit une maison au paradis » Mouslim (4).
Les mosquées ont été utilisées durant le printemps arabe
avec beaucoup d’efficacité tant sur le plan moral (prosternation) que physique
(mobilisation). C'est ce qu’affirme le Dr Khalil Al-Anani dans son explication
du phénomène religieux durant le printemps arabe. Les mosquées ont été
utilisées comme points de rassemblement pour les manifestants durant les
événements de 2011 en Syrie et en Egypte (5).
Le concept du djam’ est lié à d'autres
concepts comme celui du minbar (tribune). Le minbar incarne le savoir
religieux. Les messages véhiculés à travers un minbar sont très influents car
ils sont donnés au nom de la religion. Selon le cheikh Mansour Al-Rifai (ancien
sous-secrétaire du ministère des Waqfs et des affaires de la Da’wa et
des mosquées) le minbar est une tribune très importante dans les pays à
majorité musulmane (6). Tout cela a fait que les acteurs politiques ont cherché
à le contrôler. Ainsi, les islamistes en Egypte ont tenté après 2011
de dominer les minbars des mosquées loin de l’autorité de l'Etat.
Transformations fonctionnelles
Les Mamelouks ont monopolisé la construction des mosquées
en Egypte pour se rapprocher des égyptiens, avec qui ils n’étaient unis que par
le lien de la religion. A l'époque mamelouke, les mosquées exerçaient un rôle
politique et social de premier plan. Les minbars étaient utilisés pour appeler
à la nomination des monarques ou à leur destitution. Les mosquées étaient
utilisées comme cours de justice et comme lieu d’accueil des différents
événements. Ceci s'est reflété sur le développement récent des mosquées.
Celles-ci sont devenues des lieux d'activités politiques et sociales. Elles se
sont transformées en hôpitaux, en centres éducatifs ou en salles de réception.
1- Le rôle politique
Le rôle politique du Masjid a commencé à
l'époque du Prophète et des califes bien guidés. La mosquée est devenue le
siège du pouvoir et le lieu où l’on prête allégeance au souverain. Elle jouait
un rôle primordial dans la consolidation du pouvoir. C’est dans les mosquées
que l’on invoquait Allah en faveur du calife, permettant à ce dernier de
consolider sa légitimité. Les mouvements de l'Islam politique ont cherché à exploiter
le « pouvoir religieux » de la mosquée pour influencer les gens, comme ce
fut le cas en Egypte lors des amendements constitutionnels qui ont suivi la
révolution du 25 Janvier. La mosquée a été également utilisée par les groupes
islamistes pour recruter de nouveaux membres. En effet, de nombreux Frères
musulmans ont reconnu qu’ils ont été recrutés à la mosquée, surtout lors
des leçons de religion qui ont lieu après les prières. C’est ce qu’on appelle
« La chasse à la proie » (7).
Le salafiste Hazem Salah Abou Ismaïl, a instrumentalisé
le minbar de la mosquée d’Assad ibn Al-Furat à Dokki à Giza pour faire la
propagande de son projet politique. Il a mené à travers ce minbar une longue
lutte contre le Conseil Suprême des Forces armées (CSFA), chargé de gérer la
période transitoire, afin d’obtenir l’autorisation de ce dernier de se
présenter à la présidentielle égyptienne de 2012.
2- Le rôle culturel et scientifique
La mosquée a joué un rôle de premier plan dans la
diffusion des sciences surtout les sciences religieuses. Des séminaires
scientifiques avaient régulièrement lieu dans les grandes mosquées. On y
enseignait le Coran, le hadith, et la jurisprudence. Al-Maqrizi affirme ainsi
que la mosquée d’Ahmad Ibn Toulon au Caire a été utilisée comme une
institution scientifique. L'idée des universités est née dans les mosquées
comme la mosquée d’Al-Zaytouna en Tunisie, celle d’Al-Qouraouin à Fès et la
mosquée d’Al-Azhar au Caire. Les mouvements islamistes, en particulier les
Frères musulmans, ont cherché à recruter de nouveaux membres dans les mosquées.
La confrérie a eu recours à la mosquée pour propager sa pensée à travers les
cours de religion, les sermons et les prêches, et aussi pour améliorer son
image et contrer la publicité négative. Les salles de cours sont très répandues
dans les mosquées surtout celles contrôlées par les mouvements islamistes. Des
classes de soutien sont organisées pour les étudiants. Il s’agit d’un moyen de
lier la jeunesse musulmane à la mosquée et une extension naturelle du rôle de
la mosquée dans la société.
3. Le rôle social
La mosquée n'était pas seulement un lieu de prière dans
la pensée islamiste, elle était utilisée comme outil d’infiltration au sein de
la société. Un nouveau concept relatif à la fonction de la mosquée a fait son
apparition. Celle-ci répondait désormais aux besoins de la population. On vit
apparaître les « complexes islamiques » qui englobent des hôpitaux, des
associations de bienfaisance, en plus des salles et des centres de cours
particuliers, qui offrent leurs services dans les zones géographiques entourant
la mosquée. En dépit des services fournis par ces complexes surtout dans le
domaine de la bienfaisance, ils sont en premier lieu utilisés à des fins
politiques. Ce fut notamment le cas en Egypte après les événements de 2011. Les
mouvements islamistes ont utilisé les mosquées comme outil de propagande
politique. Par exemple, le Conseil d’administration de l’association islamique
légale (Al-Djam’eya Al-Char’eya), qui gère plus de 6 000 mosquées en
Egypte, a soutenu le candidat Mohamed Morsi, au détriment d'Ahmed Shafik, ce
que certains ont considéré comme une déviation de la part de l'association,
dont la fondation remonte à 1912.
Le rôle positif joué par la mosquée en tant
qu’institution ne nous préoccupe pas. Nous cherchons à comprendre la dynamique
des relations qui naissent autour de la mosquée, surtout lorsque ses activités
sont contrôlées par des partis ou des courants politiques. Ces activités
génèrent une dynamique sociale qui se manifeste lors des élections ou pendant
les périodes de polarisation. Ce fut le cas en Egypte après 2011 et la
destitution de l'ancien président Mohamed Morsi en juin 2013. Les mosquées ont
servi de terrain d'action politique, pour soutenir les islamistes ou pour
mobiliser la population.
La mosquée dans la pensée islamiste
La mosquée est considérée dans la pensée islamiste comme
un centre de rayonnement scientifique. Dans l’un de ses sermons, Hassan
Al-Banna, le fondateur des Frères musulmans, a appelé à la construction des
mosquées car celles-ci sont « des écoles publiques, des universités
populaires qui s'adressent tant aux enfants, qu’aux jeunes et aux adultes».
Al-Banna a appelé à étendre l’activité de la mosquée au-delà des leçons
religieuses et de la prière pour qu’elle englobe les hôpitaux et les centres
éducatifs.
Cette vision était claire dans le règlement relatif aux
conseils d’administration des mosquées, adopté par le gouvernement des Frères
musulmans à l’époque de l’ancien président Mohamed Morsi. Le ministre des Waqfs
de l’époque, Mohamed Afifi, a publié le décret 75 de l'année 2013 sur la
formation des conseils d’administration des mosquées. Le décret accorde une
attention toute particulière aux conseils d’administration. Ainsi, le conseil
d’administration est responsable des cours de religion et d’apprentissage du
Coran au sein des mosquées, de même que de la bibliothèque. Il doit préparer la
mosquée à assumer son rôle social dans sa zone géographique, ceci à travers les
cours d'alphabétisation, les complexes médicaux, les ateliers d’artisanat etc.
S’ajoute à tout cela la supervision des fonds collectés et ceux destinés à
l’expiration.
Le décret 75/2013 a montré dans une large mesure la
vision des mouvements islamistes en ce qui a trait aux mosquées. Selon cette
vision, la gestion et la supervision de ces établissements est un droit qui
revient à la communauté musulmane. Selon le porte parole du ministère des Waqfs
de l’époque, ce décret « rétablit le rôle historique de la mosquée et
lui redonne son statut dans son environnement géographique». Ceci à travers
les activités sociales qui visent à rétablir le lien entre la mosquée et les
gens.
Les salafistes ont commencé récemment à jouer le rôle des
Frères musulmans. Ils cherchent à attirer les jeunes dans les zones rurales à
travers les œuvres de charité. L’un des services fournis par les Salafistes est
les cours particuliers dans les centres éducatifs des mosquées. Mentionnons
aussi les convois médicaux et vétérinaires pour fournir un traitement gratuit
aux pauvres et aux démunis. Le rôle des salafistes a également émergé lors des
inondations qui ont balayé la région de Ras Ghareb en Mer Rouge en 2016. Les
membres du parti salafiste d’Al-Nour ont lancé des campagnes pour secourir la
population dans les mosquées proches du siège du parti.
La mosquée et la philosophie de l'espace
Le rôle de la mosquée va au-delà de ses fonctions
religieuses et spirituelles pour s’étendre à la charité et aux services sociaux
dans l’espace communautaire local, et ce sans discrimination, surtout si la
communauté est pauvre et est plus préoccupée par les conditions de vie que par
les questions idéologioques et si l'Etat est absent.
L'idée des « espaces » de la mosquée dans la pensée
politique islamiste émane du rôle joué par la mosquée dans la vie des
musulmans. La mosquée n’était pas seulement un lieu de prière, elle était le
siège du pouvoir et un lieu d'éducation et de règlement des litiges, de même
qu’une tribune pour la Da’wa (appel à l’Islam) le djihad et la mobilisation
armés à l’époque du Prophète Mohamed. C’est dans ce contexte, que M. Hussein
Shafei, le ministre égyptien des Waqfs lors d'une réunion du Conseil des
ministres en 1968, a adopté l'idée de mettre à profit les espaces dans les
mosquées pour la fourniture de services sociaux, ceci pour couper la route aux
groupes islamistes qui tentaient de jouer ce rôle.
Al-Shafei a estimé qu'il était nécessaire que les
mosquées étendent leurs activités au profit de la communauté, et ce en
présentant un service éducatif et médical, ainsi que des services sociaux. Il a
dit que le trio formé de l’Etat, de la mosquée, et de la communauté locale sert
les objectifs de l'Etat (à cette époque) à réaliser la justice sociale et donne
à la mosquée de nouvelles fonctions afin de suivre l’évolution de la modernité
(9).
Il existe deux espaces sociaux au sein d’une mosquée. Le
premier est le centre de services communautaires. C’est un espace publique qui
fournit des services sociaux et de bienfaisance. Une salle y est rattachée pour
les occasions sociales. Ses revenus constituent l’une des sources de
financement les plus importantes tant pour les mosquées que pour le ministère
des Waqfs. Le deuxième espace est le centre des services religieux. Il s’agit
d’un espace privé, dont les services sont limités aux musulmans comme la
pratique des rites religieux, la collecte de la Zakat et les services
funéraires pour les musulmans. Ces services concernent uniquement les
musulmans.
Les espaces publics au sein des mosquées se sont
largement étendus. Ils fournissent désormais les services les plus recherchés
en Egypte, comme les soins médicaux surtout dans les zones rurales, qui
souffrent le plus de la pauvreté et de la déterioration des services, et les
centres éducatifs qui sont très demandés dans les villes surtout avec le déclin
des écoles publiques et la diffusion à grande échelle des cours particuliers.
Dans ce contexte, l’actuel ministre égyptien des Waqfs, Mohamed Mokhtar Gomaa,
a annoncé la conclusion d’un protocole de coopération avec le ministère de
l’Approvisionnement pour fournir 900 tonnes de nourriture aux mosquées afin de
les distribuer au prix de revient aux pauvres et aux nécessiteux. Le ministre a
ordonné l'ouverture de 900 points de vente de produits alimentaires dans les
mosquées et les espaces non exploités. Ceci pour faire face aux mouvements
islamistes qui exploitent la pauvreté de la société égyptienne.
Nous pensons que les services fournis par les espaces
publics et semi-publics dans les mosquées doivent être destinés à la communauté
dans son ensemble, sans discrimination aucune, étant donné qu’on est sorti de
l’espace strictement religieux (culte et activités spirituelles) vers l’espace
public (activités sociales) en ce qui concerne les activités publiques, ce qui
permet de concrétiser les valeurs de citoyenneté loin de l’idée du « groupe
élu ».
En guise de conclusion, nous disons que les mouvements
islamistes ont compris que la religion est une composante essentielle de la vie
des gens. Ils ont cherché à l’exploiter pour réaliser leurs intérêts. Ceci
est confirmé par le fait que la plupart des mouvements islamistes sont nés
dans les mosquées, comme les Frères musulmans, l’appel salafiste et le groupe
d’Al-Tabligh wal Da'wa. Ceci prouve que la mosquée a été et continue à être un
outil important aux mains des islamistes pour dominer la société. C’est pour
cette raison que les politiques de l'État, surtout après la destitution de
l'ancien président, Mohamed Morsi, visent à empêcher ces mouvements de
contrôler les mosquées, et à réduire leur rôle dans la société en les empêchant
d'atteindre la base de celle-ci.
Bibliographie
1. Nabil Abdel Fattah, La situation religieuse en
Egypte, cinquième édition (Le Caire: Centre des études politiques et
stratégiques d’Al-Ahram, 1995), p 379.
2. Pour plus d'informations, voir : Jale Nejdet,
Erzen, Lire les mosquées: signification et architecture en Islam.
"Le Journal de l’esthétisme et de critique de l’art No. 69 (2011), P.126.
3. Mohammed bin Abdullah Al-Zarkashi, Informer le fidèle
des dispositions de la mosquée, cinquième édition (Le Caire : Ministère des Waqfs,
1996), p. 26-28. Voir aussi: Amr Ezzat, A qui les minbars d’aujourd’hui ?
Analyse de la politique de l'Etat de gestion des mosquées, première édition (Le
Caire: initiative égyptienne des droits personnels, Août 2014).
4. Al-Zarkashi, référence déjà mentionnée
5. Khalil Al-Anani, Le rôle de la religion dans
le domaine public en Egypte après la révolution du 25 janvier, Pp. 2-4,
disponible sur: https://goo.gl/ZSkXKb
6. Mansour Obeid Rifai, prédicateurs et
développement social, première édition. (Le Caire: Librairie Al-Dar
Al-Arabya 1997) p 56.
7. Khalil Al-Anani, A l’intérieur des Frères Musulmans:
Religion, Identité et Politique, 1ère édition, Oxford Press,
2016.
8. Hassan Al-Banna, les notes de la Da’wa et du
prédicateur, Mohamed El Baz (Étude et présentation), Troisième édition (Le
Caire: maison d’édition Kenoz, 2013), p 173-177.
9. Morroe Berger, La mosquée: aspects de la
politique gouvernementale envers la religion en Egypte aujourd'hui. Études
du Moyen-Orient No. 1 (1970), P.29.
10. Voir Fadi El Sawy, Les Waqfs, les points de vente des
marchandises à but non lucratif. Egypte (18/04/2017), disponible sur le
lien: https://goo.gl/1JyUOW, voir aussi: Mahmoud
Ochb, un protocole de coopération entre le ministère de l’Approvisionnement et
les Waqfs pour fournir les sacs de Ramadan gratuitement aux pauvres.
Portail d’Al-Ahram (16/04/2017), sur le lien: https://goo.gl/YilSI5