L’ex-président soudanais Omar Al-Bachir a été déféré au parquet
L’ancien président soudanais Omar Al-Bachir
a été déféré dimanche 16 juin au parquet en charge des affaires de
corruption à Khartoum, sa première apparition en public depuis sa destitution
par l’armée le 11 avril sous la pression de la rue. Vêtu de la
traditionnelle djellaba blanche et d’un turban, l’ancien homme fort du Soudan est arrivé de sa prison escorté par un convoi de
véhicules militaires et des membres des forces de sécurité lourdement armés, a
constaté le correspondant de l’AFP devant les locaux du parquet.
« L’accusé Omar Al-Bachir a été […] informé des accusations qui pèsent contre
lui, pour la possession de devises étrangères, corruption et réception de
cadeaux de manière illégale », a indiqué aux journalistes un
responsable du parquet, Aladdin Dafallah. Les chefs d’accusation ont été lus à
M. Al-Bachir en présence de son avocat, selon le responsable. M. Al-Bachir
est reparti au bout de quelques minutes, a constaté le correspondant de l’AFP.
Porté au pouvoir par un coup d’Etat
en 1989, Omar Al-Bachir a été destitué et arrêté par l’armée le
11 avril à Khartoum, sous la pression d’un mouvement de contestation
inédit déclenché en décembre 2018 par le triplement du prix du pain.
Jeudi, l’agence de presse officielle soudanaise Suna avait annoncé que M.
Al-Bachir était accusé « de possession de devises étrangères,
d’avoir acquis des richesses de façon suspecte et illégale et d’avoir
ordonné [l’état]d’urgence ».
128
personnes tuées depuis le 3 juin
Le 21 avril, le général Abdel Fattah
Al-Burhane, chef du Conseil militaire de transition au pouvoir depuis la
destitution d’Omar Al-Bachir, avait affirmé que l’équivalent de plus de
113 millions de dollars (quelque 100 millions d’euros) avaient été
saisis en liquide à la résidence du président déchu à Khartoum. Or, en
décrétant l’état d’urgence le 22 février face à la contestation populaire,
l’ex-président avait rendu illégale la possession de l’équivalent de plus de
5 000 dollars (plus de 4 400 euros) en devises.
M. Al-Bachir fait aussi l’objet de
poursuites pour les meurtres de manifestants durant la répression de la
contestation. Il est également visé par des mandats d’arrêt de la Cour pénale
internationale (CPI), qui veut le voir répondre de génocide, de crimes contre
l’humanité et de crimes de guerre pour le conflit au Darfour (ouest), qui a
fait près de 300 000 morts selon l’ONU. Mais les militaires au pouvoir ont
indiqué qu’ils ne comptaient pas le transférer au tribunal international.
Après avoir obtenu la chute de M.
Al-Bachir, des milliers de manifestants étaient restés mobilisés en maintenant
un sit-in devant le QG de l’armée à Khartoum, réclamant que le Conseil
militaire de transition cède le pouvoir aux civils. Mais le 3 juin, ce
sit-in a été dispersé selon des témoins par des hommes armés en tenue
militaire. La répression s’est poursuivie pendant plusieurs jours. Selon un
nouveau bilan publié dimanche soir par un comité de médecins proche de la
contestation, 128 personnes ont ainsi été tuées depuis le 3 juin. Les
autorités ont parlé de 61 morts.
Des
« erreurs se sont produites »
« Nous travaillons dur pour envoyer à
la pendaison ceux qui ont fait ça », a lancé dimanche le numéro deux du Conseil militaire,
le général Mohammed Hamdane Daglo, dit « Hemetti ». Ce général est à
la tête des Forces de soutien rapide (RSF), des paramilitaires accusés par les
chefs de la contestation et des ONG d’être à l’origine de la violente
dispersion. « En ce qui concerne la dispersion du sit-in, on ne va
pas vous décevoir, ni décevoir les familles des martyrs », a-t-il
assuré lors d’une allocution retransmise à la télévision publique.
Les appels en faveur d’une enquête
indépendante se multiplient, au Soudan et à l’étranger. Le secrétaire général
de la Ligue arabe, Ahmed Aboul Gheit, en visite à Khatoum dimanche, y a
rencontré le chef du Conseil militaire et les leaders du mouvement de
protestation, selon un communiqué de la Ligue arabe. Il a appelé à une enquête
complète sur les événements et a assuré le Soudan de son soutien pour que ses
dettes internationales soient effacées et que le pays soit « retiré
de la liste des Etats finançant le terrorisme » établie par
Washington.
Jeudi, le Conseil militaire avait pour la
première fois regretté des « erreurs qui se sont produites » lors
de la dispersion de la foule, mais avait assuré ne pas l’avoir ordonnée et
précisé que l’objectif de l’opération était tout autre. Le porte-parole du
Conseil militaire, le général Chamseddine Kabbachi, avait ainsi affirmé que le
but initial était de chasser des éléments « criminels »dans
un secteur appelé Colombia, près du sit-in.
« L’opération
de Colombia a été planifiée par les autorités militaires et sécuritaires », a indiqué tard samedi le Conseil militaire dans un
communiqué. « Nous soulignons notre volonté d’obtenir toute la
vérité, instant par instant, par le biais de notre commission d’enquête »,
a-t-il ajouté, en référence à l’investigation lancée par les militaires.
Samedi, le porte-parole de la commission d’enquête, Abderrahim Badreddine, a
indiqué que son rapport n’était pas finalisé, mais a révélé des conclusions
préliminaires selon lesquelles « des officiers et des soldats sont
entrés sur les lieux du sit-in sans l’ordre de leurs supérieurs ».