Au Soudan, la contestation meurtrie
« Il a placé le viseur de sa kalash sur
mon crâne. J’ai commencé à sangloter. "Tu as peur de mourir ?",
m’a-t-il demandé. "Non". Il a tourné le fusil vers l’homme agenouillé
à mes côtés et l’a tué d’une balle dans la tête… » Mahmoud* a le bras
recouvert de cicatrices, et il peine encore à marcher après les violences qu’il
a subies à l’aurore du 3 juin dernier. Mais surtout, il a le cœur
meurtri.Le jeune activiste, assis au sous-sol de la maison d’un ami de
confiance, témoigne, face caméra, de ce qu’il a vécu ce matin-là, quand les
forces armées soudanaises ont dispersé des milliers de civils désarmés à coups
de tirs de kalachnikov, de mitrailleuse Douchka, de coups de fouets et de
viols, entre autres atrocités.Le comité des médecins soudanais, proches des manifestants,
a documenté jusqu’à présent 118 décès, 70 cas de viols et plus de 400 blessés.
Mais deux semaines après cette journée macabre, beaucoup de Soudanais déplorent
encore la disparition d’un proche.Le black-out d’Internet, commencé huit heures
après le début des tueries, rend la diffusion des vidéos du massacre et le
partage des témoignages de première main aussi ardu que nécessaire. Car à
Khartoum, les journées de liesse qui ont suivi le renversement du dictateur
Omar el-Béchir le 11 avril dernier se sont évanouies sous une chape de
plomb, de peur et de propagande.