Publié par CEMO Centre - Paris
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L’opération « Sinaï 2018 » et l’après-purge

mardi 03/juillet/2018 - 11:45
La Reference
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Par Mostafa Hamza

Introduction

A la fin du mois de novembre 2017, et au cours de son allocution à l’occasion du Mawlid Al-Nabawi (la Naissance du Prophète Mohamed SAW qui est une fête religieuse islamique en Egypte et dans certains pays musulmans), le président Abdel-Fattah Al-Sissi a promis d’éliminer le terrorisme dans une période de trois mois à compter de la date de son speech ! Pour donner suite au discours du président, l’Armée égyptienne a lancé début février de l’année en cours l’opération « Sinaï 2018 » afin d’éradiquer le terrorisme, représenté par des éléments de Daesh au nord et au centre de la péninsule sinaïtique, ainsi que dans un nombre des gouvernorats du Delta, dans les zones désertiques et à l’ouest de la Vallée du Nil.

Cette opération, étant la plus grande jamais enregistrée au Sinaï depuis la guerre d’octobre 1973, reflète sans aucun doute le sérieux de l’Etat égyptien à lutter contre le terrorisme. En fonction des données révélées dans les communiqués des Forces Armées, l’opération aura un grand impact sur le présent et l’avenir de Daesh étant donné que l’Armée égyptienne est déterminée à « rédiger l’acte de décès » de cette organisation.

Ce qui s’est passé soulève pourtant un nombre de questions auxquelles j’essaye d’y répondre à travers cette étude. La première question concerne les opérations terroristes au Sinaï dans la période de l’après-purge des éléments de Daesh ? Est-ce que l’élimination des membres de l’organisation au Sinaï va consécutivement éradiquer le terrorisme en Egypte ? Serons-nous face à d’autres organisations qui partagent des idées semblables à celles de Daesh ? Comment l’Egypte substituera le développement au terrorisme ?

Répondre à ces questions nous pousse à passer en revue les expériences antérieures de la lutte contemporaine de l’Egypte contre le terrorisme depuis la naissance de la Confrérie des Frères musulmans en 1928, qui n’a pas vu sa fin avec la mort de son fondateur Hassan Al-Banna en 1949. Il en est de même pour le terrorisme des années 80 et 90 qui n’a pas pris fin avec l’élimination de ses leaders et ses auteurs. Il est plutôt passé par une phase de « latence » pour se réactiver après la révolution du 25 janvier 2011, lorsque la situation était propice. Ce qui démontre qu’éliminer une organisation terroriste ne signifie pas pour autant éliminer l’idée elle-même.

Vision stratégique globale :

Il y a des pays qui profitent de l’existence de Daesh, ainsi que des organisations terroristes, car une grande partie de leur économie est basée sur le commerce d’armes et son exportation vers le Moyen-Orient. Ce qui nous met face à une éventualité selon laquelle ces pays exportateurs d’armes pourraient créer des organisations alternatives en cas d’élimination du Daesh au Sinaï. C’est ce qui demande une vision stratégique globale pour faire face à cette possibilité. Cette vision devrait faire du développement du Sinaï et des gouvernorats riverains une priorité, en plus des affrontements militaires et idéologiques pour protéger le peuple égyptien, notamment les jeunes, qui peuvent être la cible de ces organisations. Ne dit-on pas que « mieux vaut prévenir que guérir » ?!

Nous pouvons ainsi diviser l’étude en quatre axes principaux :

Premièrement : La conjoncture au Sinaï et la réalité de l’existence de Daesh en Egypte, en nous focalisant sur le fiasco de Daesh en  Egypte pour la simple raison que l’idée de la « centralisation » et du « prolongement » a échoué. En effet, il ne s’agissait pas d’une organisation comme le prétend Daesh, mais plutôt de simples foyers terroristes. S’ajoute à cela le fait que Daesh s’alimente et s’accroît grâce au confessionnalisme comme en Irak et en Syrie, ou du tribalisme comme c’est le cas en Libye. Ces caractéristiques n’existent pas en Egypte.

Deuxièmement : L’importance de l’opération « Sinaï 2018 ». Celle-ci étant complémentaire du fait qu’elle cherche à faire face au terrorisme sous toutes ses formes, et par tous les moyens, elle confronte tous ceux qui brandissent l’arme contre l’Etat, tout en protégeant les jeunes de l’extrémisme.

Troisièmement : Le rôle des institutions égyptiennes civiles pour confronter le terrorisme, notamment dans l’après-purge des éléments de Daesh.

Quatrièmement et dernièrement : L’influence du développement du Sinaï,  des gouvernorats riverains et de la Haute-Egypte  pour limiter l’extrémisme et resserrer l’étau contre ce fléau.  

La vérité sur Daesh :

Le Sinaï qui se situe à l’Est de l’Egypte constitue le véritable terrain de lutte contre le terrorisme. Pour ce faire, l’état d’urgence y a été imposé depuis octobre 2014 et après la tombée en martyr de 30 militaires après une série d’explosions à Cheikh Zoweïd au Nord-Sinaï. Le président Al-Sissi a ensuite annoncé l’établissement d’un état d’urgence pour trois mois dans l’ensemble du pays en avril 2017 après deux attentats contre des églises à Tanta et à Alexandrie. Il a été prolongé à plusieurs reprises en vertu de la Constitution et de la loi.

Avant ladite opération, le Sinaï était le théâtre d’attaques aériennes intensifiées contre les éléments terroristes, outre de développer les opérations spéciales afin de dépister les cachettes des terroristes parmi les civils dans les villages. Les forces d’exécution de la loi –dans le gouvernorat du Sinaï- ont poursuivi la mise en place d’une zone d’isolement sur les frontières avec la bande de Gaza en Palestine, dans le but de couper le soutien externe à Daesh. Ladite zone d’1,5 kilomètre carré qui a vécu jusqu’à la fin de 2017 a beaucoup coûté à l’Etat qui a  versé des indemnités convenables aux habitants locaux.

Pour connaître davantage la vraie conjoncture au Sinaï avant l’opération, il faut d’abord connaître la guerre contre le terrorisme menée par l’Egypte depuis des années. Une guerre entre deux pays est coûteuse et un pays pourrait éliminer totalement un autre. C’est pourquoi les planificateurs militaires ont développé un nouveau type de guerres « la guerre par mandat » afin d’éviter le coût cher de la confrontation directe. Alors, des groupes ou des milices mènent des guerres contre des Etats et les guerres symétriques entre deux armées ont disparu. L’objectif est d’exercer une pression contre l’Etat pour le pousser à l’échec, voire à adopter les positions de ses adversaires et de ses ennemis, tout en réduisant tout rôle efficace pouvant conduire à faire face à des ambitions communes de forces régionales ou internationales».  

Début de la formation et de l’intégration :

A la fin des années 90, le dentiste Khaled Mossaed a créé le groupe Anssar Al-Djihad qui a exécuté un certain nombre d’opérations terroristes en 2004 contre un hôtel à Taba, puis en 2005 contre des sites touristiques à Charm El-Cheikh, en 2006 contre une cité balnéaire à Dahab. En 2011, avec le déclenchement de ce qu’on appelle la révolution du printemps arabe, Anssar Al-Djihad était influencé par l’idéologie d’Al-Qaïda. Son objectif principal était d’aider les Palestiniens, mais cet objectif change et elle commence ses opérations armées au Sinaï.

Après le 25 janvier, le chaos s’est propagé au Sinaï et les groupes terroristes ont repris leurs opérations dans la péninsule sinaïtique. Les groupes Al-Tawhid et Al-Djihad, Aknaf beït Al-Maqdesse, Ansar Bait al-Maqdis se sont regroupés sous le nom Ansar Bait al-Maqdis.

Ce groupe a annoncé son existence en 2011 et s’est lancé illico dans les opérations terroristes à l’instar de l’explosion répétée du gazoduc qui relie l’Egypte à Israël et à la Jordanie (14 fois à peu près).

En août 2012, le groupe a effectué ce qui était médiatiquement connu par « le premier massacre de Rafah » à l’époque du régime des Frères Musulmans.

Après la destitution de Morsi, mi-2013, Ansar Bait al-Maqdis a entamé de vastes opérations contre l’Armée et la Police au Sinaï, aidée par certaines factions du Hamas.

Vers l’allégeance

Après l’attaque de check-point de « Karam Al-Kawaïdesse » en octobre 2014 qui a fait 33 morts dans le rang de l’Armée égyptienne, « Ansar Bait al-Maqdis » a prêté allégeance à Daesh.

En 2015, les opérations terroristes se sont intensifiées contre les sites militaires. En 2016, ce type d’opérations a connu un recul. Daesh au Sinaï a eu recours à une nouvelle tactique consistant à cibler les familles chrétiennes au Nord-Sinaï. De même qu’il a transféré le théâtre des opérations du Sinaï vers la Basse et la Haute-Egypte. Cette stratégie s’est poursuivie en 2017 comme le confirme l’incident contre l’église Mar Guirguis à Tanta et Mar Morcos à Alexandrie, le 14 avril 2017.  

Le chercheur des mouvements islamiques, Diaa Rachwane, membre du Conseil suprême de la Lutte anti-extrémisme en Egypte, trouve que Daesh a échoué au Sinaï en raison de l’absence de « centralisation » ou de « prolongement ». En effet, l’organisation dépend du fait qu’il se centralise dans une région et la contrôle totalement pour s’élancer. Au Sinaï, cela ne s’est pas réalisé car Daesh n’était pas un Etat, comme le prétendent certains médias, mais juste des foyers terroristes.

Rachwane poursuit en disant que Daesh utilise l’existence du confessionnalisme en Irak et en Syrie, et du tribalisme en Libye, ce qu’il ne trouve pas en Egypte, mais cherche à l’attiser par l’explosion des églises.

Importance de l’opération « Sinaï 2018 » et ses objectifs variés :  

L’opération « Sinaï 2018 » constitue le prolongement de nombreuses autres opérations militaires qui ont commencé par « La tempête du désert » en 2013.

Mais, l’opération « Sinaï 2018 » acquiert une importance particulière pour de nombreuses raisons : des efforts conjugués entre les forces d’intervention rapide et l’unité de lutte anti-terroriste « 888 ».

Cette opération survient après que l’Armée égyptienne ait acquis une grande expérience en traitant avec Daesh d’autant plus que l’organisation recourt à une guerre asymétrique. C’est ce qui a donné un privilège à l’Armée égyptienne dans ses opérations.

D’après le premier communiqué des Forces Armées, l’opération vise les objectifs suivants :

1.   Exécuter des missions, des manœuvres, des exercices et d’autres opérations sur tous les plans stratégiques ;

2.   Contrôler les issues externes de l’Etat égyptien ;

3.   Garantir la réalisation d’objectifs visant à purger les zones de présence des foyers terroristes ;

4.   Protéger la société égyptienne contre le mal du terrorisme et de l’extrémisme.

S’ajoutent à cela les objectifs cités dans le second communiqué militaire:

5.   Couper les lignes d’approvisionnements des terroristes en renforçant les mesures de sécurité imposées sur la mer ;

6.   Renforcer les mesures de sécurité sur les frontières et les mesures de sécurisation maritime.

7.   Intensifier les mesures de sécurisation des sites vitaux dans l’ensemble du territoire national via des éléments de l’Armée et de la Police.

Le troisième communiqué inclut d’autres objectifs qui sont les suivants :

8.   Sécuriser les zones frontalières par l’Armée de l’air ;

9.   Protéger les sites économiques maritimes ;

10.                 Surveiller les côtes afin de resserrer l’étau sur les terroristes ;

11.                 Sécuriser le littoral-nors de Marsa-Matrouh à Salloum via des patrouilles maritimes.

Lecture détaillée de l’ensemble de données :

La lecture détaillée des données obtenues jusqu’à la publication du 11ème communiqué des Forces Armées le 21 février 2018 a permis de mettre l’accent sur les résultats ci-après:

  • Ciblage des sites des terroristes et les détruire totalement ;
  • Destruction d’une voiture piégée qui avait essayé de cibler des forces de perquisitions ;
  • Bombardement des cibles dans le cadre de perquisitions au Nord et au Centre du Sinaï.
  • Elimination des éléments takfiris dangereusement armés ;
  • Découverte et explosion des engins explosifs qui ont été implantés pour cibler les forces de perquisition ;
  • Découvert et anéantissement de 4 huttes et abris qui hébergeaient des éléments terroristes, outre la saisie d’un grand nombre d'engins explosifs et d'armes ;
  • Destruction des entrepôts et cachettes d'armes, de munitions et des appareils de télécommunications ;
  • Saisie de plusieurs tonnes de matières explosives ;
  • Saisie et destruction des voitures utilisées par les terroristes, outre des motocyclettes sans plaques d'immatriculation ;
  • Mise en place des points de contrôle et de patrouilles sécuritaires sur les autoroutes et les axes principaux ;
  • Déploiement d’un groupe armé aux alentours de certaines zones qui ont été ratissées dans le secteur des opérations afin de resserrer le contrôle sécuritaire.

L’opération « Sinaï 2018 » se caractérise par deux points positifs :

Elle est « globale » puisqu’elle permet de faire face au terrorisme sur tous les axes.

Elle sollicite la « conjugaison des efforts » à travers une étroite collaboration entre les institutions de l’Etat.

Le rôle des institutions égyptiennes civiles :

La période de l’après-purge des éléments terroristes nécessitent les efforts des institutions civiles de l’Etat à l’instar d’Al-Azhar, de l’Eglise, des ministères de la Culture, de la Jeunesse et des Sports et des institutions médiatiques. De même, les forces douces comme l’art et la littérature doivent jouer leur rôle afin de protéger les jeunes contre les idées extrémistes.

En effet, les idées ne meurent pas avec la mort de ses fondateurs. Les idées de Karl Marx ou d’Hassan Al-Banna ont vécu plus longtemps que leur fondateur.

A cet égard, il faut signaler qu’Al-Azhar a joué un rôle important au cours des dernières années, pour lutter contre le terrorisme, en créant l’Observatoire Al-Azhar pour la Lutte contre l'Extrémisme en (neuf) langues (dont l’arabe et huit) étrangères (http://www.azhar.eg/observer-fr/) pour identifier et répondre aux avis religieux takfiris (fatwas). Nous nous attendons toujours à un rôle plus grand en coopération avec les ministères de la Culture et de la Jeunesse et des Sports.

Le développement du Sinaï, un objectif aspiré :

Avant la Révolution du 25 janvier 2011, la politique de l’Etat égyptien envers le Sinaï s’articulait sur l’axe « sécuritaire » après la chute du président Hosni Moubarak, les gouvernements successifs ont cherché à trouver une solution aux problèmes économiques et de développement du Sinaï. Sous Moubarak, les projets touristiques s’étaient centralisés au Sud-Sinaï et non au Nord où les terroristes se sont propagés.

La vision futuriste envers le Sinaï a commencé par la création de l’Axe de développement du Canal de Suez.

Résultats et recommandations :

1.   Anéantir Daesh au Sinaï ne signifie pas forcément l’éradication totale du terrorisme en Egypte ;

2.   Mettre en place une stratégie globale où les efforts des institutions civiles non-militaires de l’Etat se conjuguent ;

3.   Accélérer l’opération du développement du Sinaï en y logeant des habitants du Sinaï et des Egyptiens issus d’autres gouvernorats ;

4.   Se focaliser sur la dimension culturelle et éducative des habitants du Sinaï ;

5.   Maintenir les efforts sécuritaires pour empêcher l’infiltration des terroristes à l’avenir.

6.   Activer le rôle du Conseil suprême de la lutte anti-terroriste ;

7.   Accorder un intérêt à élargir la construction des Palais de la Culture au Nord et au Sud-Sinaï. 

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