« Le Hezbollah n'est pas en Syrie pour libérer la Palestine »
Mohammad Fneich est
l'un des trois ministres libanais appartenant au mouvement islamiste. Israël,
Iran, Syrie... Il n'élude aucune question
Mohammad Fneich, ici dans son bureau du
ministère libanais de la Jeunesse et des Sports, est un des premiers militants
du Hezbollah à être entré en politique, en devenant député en 1992.
Protégé par des barbelés et de grands blocs de béton, un bâtiment décrépit
au cœur de Beyrouth renferme le ministère libanais de la Jeunesse et des Sports. Un
ascenseur vétuste mène au dernier étage où, dans un modeste bureau, est assis
un homme en costume noir et chemise blanche. Mohammad Fneich est ministre
de la Jeunesse et des Sports et membre du Hezbollah, organisation considérée comme terroriste par Israël, les États-Unis et l'Union européenne (uniquement sa branche armée). Âgé de
63 ans, cet homme élégant à la barbe de trois jours est l'un des premiers
militants du Hezbollah à être entré en politique en 1992.
À l'issue des élections législatives de mai 2018, qui ont confirmé
l'importance du Parti de Dieu dans la vie politique libanaise (il a remporté
13 sièges et dispose, au jeu des alliances, d'un pouvoir de veto sur toute
décision gouvernementale, NDLR), Mohammad Fneich a été nommé ministre de
la Jeunesse et des Sports. Interrogé par Le Point, le militant du Hezbollah n'élude aucune question.
Le Point : Le Hezbollah est-il un
mouvement de lutte armée ou un mouvement de lutte politique ?
Avec trois ministères (dont celui de la Jeunesse et des sports) et 13
sièges de députés, le Hezbollah est l'un des faiseurs de rois de la vie
politique libanaise.
© Marwan Tahtah / Abaca pour Le Point
Mohammad Fneich : Nous ne pouvons pas dissocier les deux branches. La Résistance a plusieurs
rôles qui sont liés. Elle possède tout d'abord un pôle armé, qui est à part, et
qui vise à protéger le Liban. Ainsi, lorsqu'il est nécessaire de réagir, la
Résistance, qui fait partie du peuple, est sollicitée. Mais nous possédons
également une représentation politique qui défend la ligne de la Résistance, en
raison de la demande populaire en ce sens. En fait, ces deux rôles sont
complémentaires.
En tant que ministre du gouvernement
libanais, obéissez-vous avant tout au Premier ministre Saad Hariri ou au
secrétaire général du Parti, Hassan Nasrallah ?
Chaque parti libanais possède ses priorités lorsqu'ils sont en dehors du
gouvernement. Mais le Liban n'est pas la France, où une seule formation possède
la majorité et forme l'exécutif. Le gouvernement est composé de tous les
partis. Ainsi, chaque formation est représentée par un de ses membres qui
propose le programme de son parti. L'exécutif discute et prend une décision
consensuelle. Je travaille donc en tant que gouvernement, et agis au sein de
mon ministère selon les lois libanaises.
Lors de sa dernière visite à Beyrouth, le
secrétaire d'État américain Mike Pompeo a appelé l'État libanais à se dissocier
du Hezbollah. Est-ce possible ?
Le problème des États-Unis est qu'ils interfèrent dans les politiques
intérieures des pays, dont ils ne respectent ni les lois ni la volonté du
peuple. Ils interviennent par le chantage de guerre et de sanctions. Ils ne
font pas cela qu'avec nous, mais également avec les Palestiniens, les Syriens,
les Yéménites, les Européens, les Russes… Au Venezuela, c'est eux qui veulent
changer le président. Ce sont des comportements de voyou ! Ils se
comportent comme un empereur de l'Antiquité. Et c'est cet Américain qui vient
nous parler de démocratie ? Mais c'est le peuple qui décide qui le
représente. Le Hezbollah est un des partis les plus populaires au Liban, et en
réalité, c'est le seul qui tient tête à Israël et c'est pour cela qu'il ne sera
jamais d'accord avec les États-Unis et que Washington le traite de terroriste.
Le Hezbollah n'a-t-il pas perdu beaucoup de
popularité après son intervention en Syrie à partir de 2013 aux côtés
de l'armée de Bachar el-Assad, où il a tué de nombreux musulmans ?
Il est faux de dire que c'est une guerre de musulmans contre musulmans.
Trump lui-même a reconnu que Daech avait été soutenu par les États-Unis quand
Hillary Clinton était au Département d'État (lors de la campagne présidentielle
américaine de 2016, le candidat Trump a affirmé que le retrait des troupes
américaines d'Irak décidé par Barack Obama et Hillary Clinton était à
l'origine de l'émergence du groupe État islamique, NDLR). Les combattants
islamistes, qu'ils soient du Front al-Nosra (ancienne branche syrienne
d'Al-Qaïda) ou de Daech, viennent des pays étrangers. Et on ne peut croire que
leur pays d'origine – la France, la Grande-Bretagne, la Belgique, les
États-Unis et les pays arabes –, de par leurs services de renseignements,
n'était pas au courant. Que personne n'essaie de nous convaincre que les
100 000 étrangers qui sont venus en Syrie combattre l'État syrien ont
agi sans volonté politique de leurs pays.
Si la raison d'être du Hezbollah est la lutte
contre Israël, que faisait-il en Syrie ?
Les Israéliens ont reconnu avoir aidé des groupuscules islamistes en leur
fournissant des armes (Tsahal aurait aidé des groupes rebelles dans le sud de
la Syrie pour sécuriser sa frontière, NDLR). Or, ces groupes armés ont menacé
le Liban. Après deux ans et demi de guerre, nous avons vu la menace surgir à
nos frontières. Or, l'État syrien n'était pas capable de les défendre. Et comme
l'État libanais n'a pas fait son devoir et que nous avons compris la volonté de
combattre le Hezbollah de l'extérieur, nous avons décidé
en 2013 d'intervenir en Syrie sur invitation de l'État syrien.
Mohammad Fneich, dans son bureau du ministère libanais de la Jeunesse et des
Sports, un bâtiment décrépit du quartier d'affaires de Badaro, situé au coeur
de Beyrouth.
© Marwan Tahtah / Abaca pour Le Point
C'est oublier les manifestations pacifiques
par lesquelles la révolution syrienne a débuté en 2011 et qui ont été
férocement réprimées…
Même s'il y a eu au départ une révolution en Syrie, nous savons tous que la
rébellion possédait des bases arrière en Turquie et en Jordanie. Le problème
n'était donc pas interne à la Syrie, mais allait au-delà, et il existait une
volonté de combattre le Hezbollah depuis ce pays. En raison du terrorisme qui a
frappé l'Europe, la France et la Grande-Bretagne se sont octroyé le droit
d'intervenir en Syrie, sans en référer à l'État syrien. Nous aussi, nous sommes
intervenus en Syrie en 2013 pour nous défendre, mais avec l'accord du
gouvernement syrien. Et maintenant que la Syrie n'est plus en guerre, que font
encore les États-Unis sur place ? Qui leur a donné l'autorisation d'être
présents en Syrie ? En réalité, ils sont là pour donner des terres
syriennes à d'autres pays.
Dans ce cas-là, pourquoi n'est-ce pas l'armée
libanaise qui a défendu le Liban ?
Le problème est que l'armée libanaise n'avait pas eu la permission d'agir,
parce que l'État libanais n'avait pas pris de décision. Il n'y a jamais eu de
consensus politique permettant à l'armée de protéger nos frontières et
d'empêcher le passage de rebelles islamistes. Si le président Michel Aoun
(chrétien du Courant patriotique libanais, allié au Hezbollah, NDLR) n'avait
pas agi, les États-Unis auraient franchi la frontière libanaise par la ville
d'Ersal et seraient entrés au Liban à travers ces groupuscules islamistes.
Est-ce vrai que la décision du Hezbollah
d'intervenir en Syrie a été prise en novembre 2012 à Téhéran ?
De toute façon, l'Iran, en tant qu'État, possède des accords de coopération
avec l'État syrien. Et Téhéran a pris des décisions après qu'elle a vu
l'intervention américaine, turque, saoudienne et qatarienne en Syrie. Ainsi, ce
n'est pas révélé un secret que de dire que l'État qatarien a versé des
milliards de dollars aux groupuscules islamistes en Syrie. Ainsi,
l'intervention de l'Iran visait à épauler l'État syrien en vertu des accords
que possèdent les deux pays. Et Téhéran n'a pas envoyé son armée, mais a
octroyé des aides d'État à État, à la demande de Damas, pour aider le
gouvernement, contrairement aux autres pays qui sont intervenus illégalement en
Syrie pour venir à bout de cet État.
Mais qui a demandé au Hezbollah
d'intervenir ? Bachar el-Assad ou l'Iran ?
C'est en 2012 que les Iraniens ont discuté avec l'État syrien
pour les aider, alors que le Hezbollah a pris la décision d'intervenir l'année
suivante. Donc, le Hezbollah a décidé d'intervenir en 2013 quand il a
observé les menaces à la frontière libanaise. Cela n'exclut pas qu'il y ait des
accords entre les Syriens, les Iraniens, les Russes et le Hezbollah, pour
protéger la souveraineté de la Syrie. Nous sommes intervenus après l'aide
iranienne, mais avant les Russes : c'est une décision du Hezbollah.
Le Hezbollah est souvent décrit comme le bras
armé de l'Iran au Liban. Jusqu'à quel point obéit-il à Téhéran ?
Le Hezbollah est un parti libanais indépendant qui représente le peuple
libanais. Il représente la Résistance et possède des accords avec l'Iran, la
Syrie et tout pays qui se tient aux côtés de la résistance contre les
Israéliens.
Le mouvement pourrait-il un jour dire
« non » aux Iraniens ?
L'Iran ne forcera jamais la main au Hezbollah. Il ne lui demande d'ailleurs
rien. Personne ne nous donne d'ordre. Lorsque nous avons commencé à résister
contre l'occupation israélienne, avant la création du Hezbollah, l'Iran était
encore en guerre contre l'Irak. Puis les Iraniens sont venus nous soutenir et
nous avons conclu des accords avec Téhéran. Nous avons pris de l'imam Khomeiny
sa vision de la résistance. Il nous a donné sa ligne conductrice, sa vision
pour le peuple et la société (le « velayat-e faqih », ou
« pouvoir du guide suprême ») et nous l'avons mise en pratique. Si
l'Iran donne une ligne politique, c'est le Hezbollah, et donc les Libanais qui,
sur le terrain, décident comment la mettre en pratique.
Vous insistez sur le caractère libanais du
Hezbollah. Mais, à la faveur du conflit syrien, votre parti n'est-il pas devenu
un mouvement régional ?
Peut-être que notre intervention en Syrie, pour défendre le Liban, nous a
donné une image régionale. Mais nous n'en sommes pas là. Nous n'avons pas de
bureaux dans tout le Moyen-Orient. Nous n'allons pas intervenir dans la
politique interne de la Syrie de demain.
Justement, le Hezbollah n'a-t-il pas profité
de la guerre en Syrie pour s'approcher du Golan, aux portes d'Israël ?
Ceci est une invention israélo-américaine qui vise à affirmer que le
Hezbollah menace Israël au Golan et ainsi leur donner un prétexte. Je vous ai
expliqué pourquoi nous étions présents en Syrie. À la première seconde où
l'État syrien nous dira qu'il n'a plus besoin de nous, nous partirons. Mais la
vraie question qu'il faut se poser est de savoir pourquoi Israël occupe le
Golan. Pourquoi pointe-t-on toujours celui qui veut défendre ses droits et pas
celui qui confisque le droit des autres ? Le Golan est un territoire
syrien et Israël occupe cette terre. Le Hezbollah est présent en Syrie pour
contrer les groupuscules armés par les Israéliens, pas pour libérer la
Palestine.
Mais cela ne fait-il pas 45 ans que la
Syrie ne fait rien pour récupérer le Golan et que la ligne de démarcation entre
les deux pays est l'une des plus calmes de la région ?
Elle est calme, car l'armée syrienne, l'armée libanaise et l'ONU étaient
là. Mais qui a créé un problème au Golan en armant des groupuscules contre
l'État syrien ? C'est Israël. Ceci n'est pas un secret et a même été
publié dans les médias israéliens.
Depuis le début de la guerre en Syrie, Israël
a frappé à des dizaines de reprises des convois du Hezbollah sans provoquer de
réaction d'ampleur du mouvement. Comment l'expliquez-vous ?
Ce n'est pas Israël qui décide quand le Hezbollah doit réagir, comment et
quand. C'est le Hezbollah qui décide. Quand on s'attaque à lui, le mouvement a
le droit de répliquer avec les moyens qu'il considère comme les plus justes.