Algérie : l'intensité des manifestations maintenue malgré l'annulation de la présidentielle
Les Algériens se sont une nouvelle fois
massivement mobilisés pour un 16e vendredi consécutif, le premier depuis
l'annulation de la présidentielle qu'ils rejetaient en bloc et au lendemain de
déclarations du président par intérim réaffirmant sa volonté d'organiser
néanmoins un scrutin à très court terme. À la Grande Poste, point de ralliement
de la contestation dans la capitale, plusieurs centaines de personnes étaient
déjà rassemblées en chantant « Y en a marre de ce pouvoir ». Les
manifestants ont crié « dégagez ! » à Abdelkader Bensalah, président par
intérim, et au général Ahmed Gaïd Salah, chef d'état-major de l'armée devenu de
facto l'homme fort du pays depuis la démission
du président Abdelaziz Bouteflika, le 2 avril, sous la pression de ce mouvement
de contestation inédit. Difficile à évaluer avec précision, faute de comptage
officiel, la mobilisation a semblé intacte à Alger où plusieurs artères du
centre débordaient de manifestants, selon des journalistes de l'AFP. Le cortège s'est dispersé
dans le calme en fin d'après-midi. Des manifestants ont également défilé à
nouveau massivement dans de nombreuses autres villes du pays, selon des médias
et les réseaux sociaux.
Pas d'élection
le 4 juillet : une victoire de la contestation
Après le départ de l'impopulaire Premier
ministre Ahmed Ouyahia, l'abandon d'un 5e mandat par M. Bouteflika puis sa
démission après 20 ans au pouvoir, les manifestants qui défilent
chaque vendredi depuis le 22 février ont à nouveau obtenu gain de
cause, le 2 juin : le Conseil constitutionnel a
constaté « l'impossibilité » de tenir le scrutin
du 4 juillet, faute de candidats sérieux. « Personne ne veut se
présenter et participer à cette mascarade. Le pouvoir semble manquer de figure
consensuelle » pour le représenter, « cela est évident
aujourd'hui », note Dalia Ghanem Yazbeck, chercheuse au Carnegie Middle
East Center basé à Beyrouth. C'est une victoire de la contestation « dans
le sens où (l'élection) n'aura pas lieu » et « c'est ce que la rue
voulait », explique à l'AFP la chercheuse, mais c'est aussi « un
non-événement, car (l'élection) était, logistiquement parlant, impossible à
organiser ». En outre, le chef de l'État par intérim, qui avait convoqué
la présidentielle avortée, a maintenu jeudi soir le cap sans faire de
concession à la contestation qui exige avant tout scrutin le départ du pouvoir
des anciens fidèles de M. Bouteflika – dont M. Bensalah lui-même – et des
réformes politiques confiées à des institutions de transition.
Le cadre
constitutionnel en question
Dans un discours télévisé, M. Bensalah a
lui insisté pour une élection « dans les meilleurs délais » et chargé
le futur président élu de mener les réformes réclamées. Quant au
« dialogue » auquel il a appelé « la classe politique », largement
discréditée aux yeux des manifestants, et une vague « société
civile », il semble d'ores et déjà rejeté par les manifestants à Alger.
« La seule condition pour dialoguer est qu'ils (les dirigeants actuels)
partent tous », affirme Massi, chômeur de 26 ans. Pour Hamid,
fonctionnaire de 45 ans, « il y a deux conditions au
dialogue : ne pas fixer de feuille de route (préalable) et dialoguer avec
le vrai détenteur de pouvoir, c'est-à-dire l'armée (...) ça ne sert à rien de
dialoguer avec Bensalah qui ne décide de rien ». Quoi qu'il en soit,
M. Bensalah, à qui la Constitution a confié l'intérim
pour 90 jours, n'aura personne à qui transmettre le pouvoir à l'issue
de ce délai, le 9 juillet, et sortira donc du « cadre
constitutionnel » dont le haut commandement de l'armée, véritable
détenteur du pouvoir, refusait jusqu'ici absolument de s'écarter. Le président
par intérim a invoqué la situation « exceptionnelle » pour justifier
la prolongation de fait de son mandat jusqu'à l'élection d'un nouveau chef de
l'Etat, hors de tout cadre légal. C'est la 2e fois qu'une présidentielle est
annulée en moins de trois mois en Algérie. Incapable de calmer la
contestation née de sa volonté de briguer un 5e mandat, M. Bouteflika
avait annulé celle du 18 avril, tentant lui aussi de gagner du temps
en prolongeant sine die son mandat. Une manœuvre qui avait démultiplié
la colère.