Publié par CEMO Centre - Paris
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Au Soudan, l'espoir étouffé d'une transition pacifique

mercredi 05/juin/2019 - 02:59
La Reference
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Les militaires ont dispersé le sit-in des manifestants à Khartoum, lundi, et sillonnent désormais les rues de la capitale pour empêcher tout rassemblement.

Au Soudan, les masques sont tombés lundi, en même temps que les espoirs d’une transition négociée entre l’armée et les révolutionnaires. Non, les généraux qui ont renversé Omar el-Béchir le 11 avril ne comptaient pas véritablement rendre le pouvoir aux civils, malgré les négociations engagées le mois dernier. Non, le chef des redoutables Rapid Support Forces (RSF), Mohamed Hamdan Daglo, dit «Hemedti», n’avait aucune intention de protéger les manifestants, en dépit de ses promesses répétées. En dévastant la «zone libre» qu’occupaient pacifiquement les Soudanais devant le quartier général des forces armées depuis le 6 avril, ses hommes ont tué au moins 35 personnes, selon le dernier bilan du Comité central des médecins. Ils ont aussi détruit, à court terme, toute issue politique à la crise.

Mardi, Khartoum ressemblait à une ville assiégée. Des colonnes de pick-up des RSF – une armée dans l’armée, à l’origine formée de miliciens arabes du Darfour puis devenue la garde prétorienne d’Omar el-Béchir – sillonnaient la capitale déserte, tirant en l’air pour effrayer la population. L’accès à Internet était coupé dans tout le pays. Des activistes ont néanmoins pu contourner la censure et poster quelques vidéos sur les réseaux sociaux, qui montrent des scènes identiques : des passants ou des conducteurs arrêtés au hasard, agenouillés devant des RSF, dans une rue vide, questionnés ou bastonnés par les soldats. Sur d’autres films, plus rares, des habitants montent à la hâte de nouvelles barricades ou brûlent des pneus dans leurs quartiers.

Prière rituelle

«C’est un retour à la situation d’avant le 6 avril : les forces de sécurité répriment implacablement le moindre rassemblement, tandis que les insurgés s’organisent clandestinement pour protester malgré le danger,résume Clément Deshayes, chercheur à l’université Paris-VIII et membre du think tank Noria Research. Au Soudan, les militants savent malheureusement ce que c’est que de se faire tirer dessus.»L’Association des professionnels soudanais (APS), fer de lance de la contestation, a appelé lundi à «la grève et la désobéissance civile totale jusqu’au renversement du régime».

La célébration de l’Aïd el-Fitr, qui marque la fin du ramadan, est devenue un enjeu révolutionnaire : l’APS a demandé à la population d’accomplir la prière rituelle ce mardi, tandis que la junte militaire l’a fixée au mercredi (la date diffère selon les pays). D’après plusieurs témoignages recueillis par l’Agence France Presse et quelques images publiées sur les réseaux sociaux, à Khartoum comme en province, de nombreux habitants sont sortis de chez eux pour prier collectivement malgré les menaces de l’armée.

Confiscation du pouvoir              

Tirant un trait définitif sur le dialogue avec les civils, le chef des putschistes, le général Abdel Fattah al-Burhan, a annoncé dans un communiqué sa volonté «d’annuler ce qui avait été convenu et de tenir des élections dans un délai de neuf mois». Ironie des printemps arabes : les scrutins sont devenus l’arme privilégiée des dictateurs. Comme les Algériens, qui manifestent chaque semaine contre l’élection présidentielle voulue par l’état-major, les Soudanais savent parfaitement qu’un vote organisé par l’ancien régime débouchera inéluctablement sur une confiscation du pouvoir. L’APS a déjà rejeté catégoriquement cette option.

La grande inconnue reste le comportement de l’armée régulière. Ses troupes n’ont pas participé à la répression jusqu’à présent. A Khartoum, seuls les miliciens RSF et les forces spéciales de la police semblent être impliqués dans la répression. A la différence du 6 avril, cependant, aucun soldat n’a cette fois-ci pris la défense des manifestants. «Les régiments considérés comme trop conciliants avec les révolutionnaires ont été envoyés en province, indique Clément Deshayes. Dans la capitale, le rapport de force est largement en faveur des RSF, qui auraient déployé 15 000 à 20 000 hommes. Mais ils ne peuvent pas tenir tout le pays.»

Quitte ou double

Le tentaculaire appareil de défense et de sécurité soudanais, qui absorbe 70% du budget de l’Etat, est loin d’être homogène. «Beaucoup d’officiers de l’armée régulière affichent un mépris ouvert pour les RSF dont le chef, Hemedti, vient d’être conforté dans sa position centrale, note Jean-Baptiste Gallopin, analyste politique. Par ailleurs, une partie de l’armée a montré par le passé une certaine sympathie pour les manifestants.» Ces dissensions, largement souterraines, pourraient-elles aller jusqu’à un nouveau coup d’Etat mené par des gradés hostiles à une répression de grande ampleur ? «Des événements tragiques comme ceux de lundi peuvent précipiter les choses, estime le chercheur. Ils lèvent toute ambiguïté et obligent les acteurs à se positionner. Mais les éventuels mutins, s’ils existent, sont-ils suffisamment coordonnés ? Sont-ils sûrs d’être en position de force ? Un putsch ne se déclenche que quand les plus motivés parviennent à entraîner les indécis en leur présentant le coup d’Etat comme un fait accompli.»

Les manifestants, eux, continuent à appeler à une mobilisation pacifique. Passé l’effet de choc et le deuil des martyrs, la révolution pourrait trouver un second souffle, galvanisée par l’indignation. La stratégie de la terreur choisie par les généraux est désormais à quitte ou double : le mouvement sera contenu au prix d’une répression toujours plus intense, ou bien débordera en une insurrection généralisée. Dans les deux cas, la liste des victimes risque fortement de s’allonger.




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