Les Khārijites, le plus ancien mouvement d'opposition politique islamique
Les groupes et organisations, ayant
exploité le penchant religieux chez l'ensemble des musulmans, sont diversifiés.
Ils ont déformé les versets coraniques portant sur le djihad, en les écartant
de leur contexte et de la condition historique d'après lesquels ces versets ont
été révélés et qui sont relatifs le plus souvent à des événements précis. Ces groupes
ont surgi parallèlement à la Révélation envoyée au Prophète Mohamed (Paix et
Salut sur lui), alors qu'il cherchait à fonder un Etat de droit fort, pour
défendre les musulmans et leur épargner l'agression et la torture auxquelles
ils s'exposaient de la part des mécréants, ainsi que pour combattre ces
derniers, qui voulaient étouffer la lumière de Dieu, mais toutes leurs
tentatives ont été vouées à l'échec.
Les groupes radicalistes ont
manipulé ces versets pour réaliser des intérêts matériels et politiques,
n'ayant aucun trait à la tolérance ni à la modération de l'Islam. N'empêche que
les Khārijites (Khawārij) demeurent le premier mouvement politique ayant
exploité la religion pour former une opposition politique. Leurs idées ont été
réinvitées dans les écrits de certains radicalistes et takfiristes à l'époque
moderne, comme par exemple dans les groupes de Daesh, Al-Qaïda et les Frères
musulmans.
C’est à l'ère d’Ali Bin Abi Taleb,
4e calife des musulmans et un des dix Compagnons promis au Paradis, que surgissent
les Khārijites, pour se dresser hostile au jugement de l'imam Ali. Ils se sont
montrés attachés aux apparences des termes et des textes religieux, et par
conséquent, ont arboré l'arme de mécréance face à de nombreux Sahabs
(Compagnons du Prophète) et musulmans. Voire, les Khārijites ont jugé "halâl"
(licite) de tuer ces musulmans en émettant de bizarres et excentriques fatwas
(avis religieux).
Les Khārijites ne se sont pas
suffis d'objecter contre uniquement l'imam Ali, mais ont également jugé incroyants
tous les gouverneurs Omeyyades, (2ème étape de califat dans l'histoire de l’Islam-
41 à 132 de l'hégire, 662-750 du calendrier grégorien). Le fondateur de ce
califat était le Compagnon Mu'awiya Bin Abi Soufian (608-680). Les Khārijites
sont demeurés un groupe d'opposition dans chaque communauté islamique.
Les origines des Khārijites ou des
"Hourouriya" (en référence à leur centre à Hourour'a, près de Kûfa),
ont commencé à surgir dans la société islamique, après que Mu'awiya Bin Abi
Soufian ait proposé à Ali Bin Abi Taleb d'arrêter le combat et de revenir au
Coran comme arbitrage, avec des arbitres des deux parties, et ce, après la
bataille de Siffin (657). Quelques originaires de la tribu de "Tamim"
ont objecté contre l'arbitrage, le jugeant comme un outrage à la Justice
divine, disant donc que "Le jugement est réservé à Dieu seul". Ali
Bin Abi Taleb a commenté ces propos par ces termes: "Un mot de droit qui
veut une fausseté". Ils ont appelé Ali Bin Abi Taleb à poursuivre le
combat contre Mu'awiya, mais il a refusé. Les arbitres se sont alors dissociés
d’Ali et ont par la suite jugé mécréants les deux parties belligérantes d’Ali
et de Mu'awiya.
La doctrine religieuse des Khārijites
Les Khārijites jugent mécréants
l'ensemble des musulmans, puisqu'ils adoptent un principe particulier dans leur
foi. Ils estiment que la foi devrait être accompagnée de la bonne action. Tous
ceux qui commettent un péché sont jugés incroyants. A titre d’exemple, "les
Khārijites considèrent comme mécréants toute personne qui commet un péché
capital, et décède avant de s’en repentir. Selon eux, elle s'éternisera dans
l'Enfer". Cette idée s'est cristallisée dans leur combat intellectuel armé
contre les Omeyyades, quand avait surgi la question des "gouverneurs ayant
commis des péchés capitaux et des injustices".
Ils se veulent également comme
dissidents contre les dirigeants musulmans qui commettent la moindre infraction
religieuse, parce qu'ils sont convaincus que ces dirigeants sont, dans ce cas,
des incroyants et pour ce, ils s'insurgent contre eux. Les Khārijites ne
reconnaissent pas la légitimité du califat que pour Abu Bakr As-Siddiq et pour
Omar Ibn Al-Khattab, ainsi que pour les six premières années du califat d’Osman
Ibn Affan. Les Khārijites ne reconnaissent non plus pas la légitimité du
califat d’Ali Ibn Abi Taleb que juste durant la période depuis que les
musulmans lui avaient prêté allégeance jusqu'à ce qu'il avait accepté
l'arbitrage. Ils jugent alors licite de tuer tous ceux qui ne partagent pas
leurs opinions. Ils sont également unanimes pour démentir le changement des
caractères propres à Dieu, ce qui les a poussés à dire que "Le Coran a été
créé", le fait qui a débouché sur la grande sédition à l'époque des
Abbassides.
Les Khārijite se divisent en
plusieurs sectes, d'après les grandes questions ou des sous-sujets de
divergence. Ils se rassemblent néanmoins autour de leur idéologie.
Parmi les sectes les plus connues
et les plus éminentes des Khārijites, figurent "Al-Izâriqa" et
"Al-Ibâdhiya".
1- Les Khārijites
"Al-Izâriqa"
Ce sont les partisans de Nafi'e Ibn
Al-Izrâq. Ils jugent que les lieux où résident tous ceux qui divergent avec
eux, sont des lieux idolâtres et tous ceux qui y résident sont des mécréants.
Ils disent également que tous les enfants des incroyants seront jetés dans
l'enfer.
2- Les Khārijites
"Al-Ibâdhiya"
Ils sont les partisans d'Abdullah
Ibn Ibâdh. Ils sont les Khārijites les moins fanatiques et les plus proches à
la modération. Pour eux, la mécréance de celui qui commet un péché capital, est
"une mécréance de grâce" et non pas "une mécréance
d'idolâtrie". Ils n'ont pas non plus dit que les enfants des mécréants
s'éterniseront dans l'enfer.
Les Khārijites sont entrés dans
plusieurs batailles, et sortis vaincus dans leur majorité. Les plus éminentes
étaient peut-être la bataille "Al-Nahrawan" (37 de l'hégire - 657 du
calendrier grégorien), sous la direction de leur premier émir Abdullah Ibn Wahab
Al-Rassebi, et celle de "Al-Daskara" à Khorassan (38 de l'hégire -
658 du calendrier grégorien), sous le commandement d'Achras Ibn Auf Al-Chibani.
Au cours de la même année, ils ont perdu la bataille de "Masbazan" en
Perse, sous le commandement d’Hilal Ibn Alfa.
Lorsque les Khārijites ont constaté
leur défaite, ils ont comploté pour assassiner Ali ibn Abi Taleb, Amr Ibn
Al-Ass et Mu'awiya ibn Abi Soufian. Ali Bin Abi Taleb a été en fait tué par
Abdel Rahman Ibn Moljem, après quoi Al-Hassan Ibn Ali a cédé le califat à
Mu'awiya.
Leurs révoltes contre les
Omeyyades
La dynastie omeyyade, fondée par
Mu'awiya, n'est pas épargnée des révoltes des Khārijites. Sahm Bin Ghaleb El
Tamimi et El Khatim Al Baheli ont pris la décision de se révolter sur le plan
intérieur. Mouvement qui s'est poursuit de l'année 41 de l'hégire jusqu'à 46.
En 58 de l'hégire, les Khārijites de Béni Abd El Qayes se sont révoltés
jusqu'à ce que l'armée d'Abdullah Ben Zeyad les ait égorgés. En l'an 59 de
l'hégire, ils se sont révoltés encore une fois sous la direction de Habban Ben
Zabian Al Salmi. Ils ont combattu jusqu'à ce qu'ils aient été tous tués près de
Kûfa.
En 127 de l'hégire, les Khārijites,
constitués de 120 000 combattants- dont beaucoup de femmes- ont déclenché une
guerre contre les Omeyyades, sous la direction d'Al Dahak Ben Qayes Al Chibani.
Ils sortent victorieux de cette bataille déroulée à Kûfa.
En 129 de l'hégire, ils ont mené
une révolte au Yémen sous la direction d’Abdallah Yéhia Al Kanadi et
s'emparèrent de Hadramaout et de Sanaa, au Yémen. Ils ont envoyé une armée
dirigée par "Abou Hamza Al Chari", qui est entrée à La Mecque et regagné
Médine mais ils ont été battus par l'armée omeyyade en l'an 130 de l'hégire.
De telles insurrections ont fini
par affaiblir et épuiser l'Etat omeyyade, ce qui a débouché sur une
multiplication du nombre des groupes et des partis hostiles aux Omeyyades. Le
sphère des révoltes extérieures s'est davantage amplifié entre les gens et ne
s'est donc pas limité aux adeptes de l'idéologie kharijite.
L'Etat abbasside, 3e étape du califat
islamique et 2e dynastie islamique (de 750 à 1517), issu de l'oncle du Prophète
Mohamed, Al Abbas, a été beaucoup plus chanceux que les Omeyyades face aux
dangers des Khārijites. Ils ont réussi à vaincre les Khārijites et étouffer
leurs révoltes. Leur division en différents sectes a contribué à les disperser
et à abattre leur pouvoir.
Abdallah Ben Mohamed Ben Ali Ben
Abdallah Ben Al Abbas Ben Abdel Mottaleb, alias Abou Al Abbas "l'assassin",
premier calife abbasside qui a régné de 104 à 136 après l'hégire et
de 721 à 754 après J-C, a pu échiner les Khārijites qui n'avaient aucun rôle
sur l'échiquier politique surtout après les avoir écartés de la capitale
abbasside.
Une grande partie des Khārijites a
été convaincue de l'idée du fanatisme intellectuel sans pour autant recourir à
la violence. Leur danger est disparu de la scène politique sous l'Etat
abbasside, mais leurs idées ont réapparu un peu plus tard dans les écrits de
certains fanatiques et takfiristes à l'ère moderne.
Parmi ces écrits figurent ceux
d'Abi Al Aala Al Mododi (1903-1979) qui est considéré comme une référence
religieuse importante pour de nombreux groupes takfiristes ainsi que ceux de
Sayyid Qutb (9 octobre 1906-29 août 1966) qui est le théoricien des
courants takfiristes, également ex-membre du bureau de guidance de la confrérie
des Frères musulmans. Tous les deux se présentent comme des imams du takfirisme
à l'ère moderne.
Trop influencés par leurs idées et
leurs écrits, de nombreux groupes fanatiques ont émergé, tels qu’Al-Qaïda et
Daech. De pareils groupes s'accordent parfaitement avec les idées de Qutb et
d'Al Mododi, dont les plus claires celles de juger mécréant la totalité des
Musulmans et de s'insurger contre le gouverneur musulman et de juger licite le
port des armes ainsi que l'incitation aux révoltes sanglantes pour le
changement.