L'acien sous-secrétaire à la sécurité d'Etat égyptien dans une interview à "Al-Marji'e" le général Mohamed Sadek dévoile les coulisses des groupes terroristes
Interview faite par Walid Mansour
Il est un des plus importants experts dans le dossier sécuritaire en
Egypte. Il est également un des responsables de la sécurité dans le pays au
cours des années 90 du siècle dernier. L'Egypte
a connu plusieurs attentats terrorites au cours de cette période. C'est le
général Mohamed Sadek, ancien assistant du ministre de l'Intérieur et également
sous-secrétaire à l'ancien organe de la sécurité d'Etat.
Dans une interview révélatrice faite
par "Al-Marji'e", le responsable sécuritaire dévoile la vérité des
débats intellectuels faits avec la Jamaa Islamiya. Le général Mohamed Sadek
était en fait considéré comme un des plus éminents responsables au ministère de
l'Intérieur, ayant supervisé ces débats.
Il confirme que l'affrontement
intellectuel avec les groupes armés porte souvent ses fruits plus que ne le
fait l'affrontement sécuritaire.
Plus de détails dans l'interview
ci-suit :
* Au début, que pouvez-vous nous
dire autour de l'histoire des groupes takfiristes et djihadistes en Egypte ?
** Le premier groupe djihadiste en
Egypte, considéré proprement dit comme takfiriste, remonte aux années 70 du
sicèle dernier. Ce groupe a commencé sous le nom de "L'organisation
technique militaire". Ìl était dirigé par le Syrien d'origine
palestinienne, Saleh Sariya. Les enquêtes faites par le Parquet ont prouvé
l'inculpation de Sariya- en collaboration avec les Frères- dans des attentats
terroristes en 1974.
Après l'organisation technique
militaire, le groupe "Al-Takfir wal hijra" a émergé, sous la
direction de Choucri Mostafa. Cette organisation a été créée en 1977, suivie de
celle du "Djihad" en 1979. Cette dernière a réussi à s'emparer d'une
arme militaire de la garde du consulat britannique, après avoir tué le soldat
de la garde. Ce groupe a ensuite assassiné le président Mohamed Anwar
As-Sadate, dans l'attentat connu par "Al-Minassa" (Mémorial). 24
présumés dans cet attentat , dont entre autres, Khaled Al-Islamboully, ont
traduit devant la Justice militaire. Ils ont été également soumis à un autre
procès devant la Haute Cour de la sécurité d'Etat.
* En tant qu'un des responsables
ayant supervisé les débats intellectuels des groupes djihadistes, pouvez-vous
nous dire si de pareils débats avec les Frères pourraient-ils réussir ?
** La question là est différente.
Les groupes djihadistes dans les années 90 n'avaient pas une organisation
internationale qui décidait de leur sort ou dictait leurs activités. Tous les
dirigeants étaient emprisonnés. Mais les Frères ne peuvent pas à présent
adopter une résolution selon les débats intellectuels, sans consulter les
responsables de l'organisation internationale des Frères.
* Pensez-vous que les Frères sont
inculpés dans les attentats terroristes perpétrés au Sinaï ?
** Au début, tout le monde doit
savoir que tous les groupes terroristes sont des filiales diaboliques du groupe
des Frères, imprégnées d'idées djihadistes et takfiristes de Sayed Qotb. Mais
ce que nos Forces Armées font à présent au Sinaï, ne se limitent pas à des
affrontement avec des groupes terroristes, mais c'est plutôt une vraie guerre
entre l'Egypte et plusieurs pays et services de renseignements étrangers,
visant à épuiser l'Armée égyptienne.
Le terrorisme dans les
années 90
* Pourquoi les terroristes ont-ils
réussi à perpétrer plusieurs attentats contre l'Etat, précisément dans les
années 90 ?
** Dans les années 90 et
parallèlement au retour de nombreux djihadistes de la guerre en Afghanistan, et
après la dissolution de l'Union Soviétique, les attaques des groupes
djihadistes se sont multipliées. Ces groupes mandatés par Israël et les
Etats-Unis, entraient dans des guerres. Ainsi, les services israéliens de
renseignements (Mossad) et ceux des Etats-Unis (CIA) ont-ils réussi à recruter
des combattants arabes pour les faire intégrer dans les rangs des terroristes
d'Afghanistan. C'est au cours de cette période que la Jamaa Islamiya avait
commis la boucherie d'Al-Deir Al-Bahari et des églises en Haute-Egypte.
* Avez-vous eu des affrontements
avec certains de ces groupes ?
** Oui. J'étais un des policiers
ayant arrêté le groupe "Al-Takfir wal Hijra", qui a tué l'imam
Mohamed Al-Zahabi (ancien ministre des Waqfs), en juillet 1977. Al-Zahabi a
écrit des livres attaquant la pensée takfiriste. J'ai donc arrêté les éléments
de ce groupe dans la rue Al-Andalus au quartier d'Al-Haram. Ils planifiaient
pour jeter le corps de l'imam Al-Zahabi dans le canal Al-Zomor à Omraniya.
Mostafa Abdel Mohsen était parmi les éléments arrêtés.
Je me suis également occupé des
attentats manqués contre l'écrivain journaliste Makram Mohamed Ahmed, les
anciens ministres de l'Intérieur, les généraux Hassan Abou Bacha et Nabawi
Ismaïl. J'ai pourchassé Magdi Al-Safti, un des dirigeants de cette
organisation, qui avait réussi à s'enfuir en 1988 vers la Libye, mais lorsqu'il
est rentré, jai réussi à l'arrêter en 1992.
J'ai également pris part à
l'arrestation des membres de l'organisation "Les rescapés de l'enfer"
et ceux du groupe "La pause et la révélation" (Al-Tawaqof wa
Al-Tabayon), qui dit : "On ne peut reconnaître l'islam de tous les
musulmans d'Egypte, à moins que leur vérité ne soit révélée".
Tous les fondateurs de ces groupes
étaient des membres dans la confrérie des Fères. Après leur libération, ils ont
été influencés par la pensée de Sayed Qotb, et chacun d'eux a créé un groupe,
adoptant la pensée takfiriste et la violence contre l'Etat.
L'attentat d'Al-Minassa
(Le Mémorial)
* Parlez-nous de l'assassinat du feu
Anouwar As-Sadate, ou "l'attentat d'Al-Minassa", comme il est
généralement connu.
** Je suis allé pour inspecter la
maison d'Abboud Al-Zomor, 13 jours avant l'assassinat de Sadate. Nous avons
reçu des informations sur des préparatifs faits par l'organisation du Djihad-
qui groupait dans ses rangs Abboud et Tarek Al-Zomor. Nous avons trouvé alors
des documents dangereux qui révèlent un complot pour l'assissinat du président
lors d'une tournée qu'il devait effectuer à Mansoura pour inaugurer certains
projets.
Mais le plan d'Al Djihad a été
changé après l'adhésion de Khaled Al-Islamboully à l'organisation. Il a dit
qu'il était un des participants à la parade militaire, mais qu'il allait
s'excuser. De là est née l'idée de l'assissinat de Sadate en ce jour.
L'attentat d'Al-Minassa a été exécuté par Al-Islamboully. Dans deux mois, nous
avons arrêté Abboud et Tarek Al-Zomor et Abdallah Salem, dans un échange de
tirs aves les forces de sécurité. Un circonscrit avait été tué dans ces
affrontemnts.
Abboud Al-Zomor était un officier
dans les services de renseignements militaires à cette époque. Il fréquentait
la mosquée Anas Ibn Malek, dans la rue Irak au quartier de Mohandesin, où
l'émir de cette organisation, Ibrahim Ezzat, donnait des prêches. L'écrivain du
livre "L'obligation absente", Abdel Salam Farag s'était replié et
isolé dans cette même mosquée. Ce livre est considéré comme une consititution
pour les groupes djihadistes.
* Vous étiez inspecteur pour la
sécurité d'Etat à Ménia dans les années 90. Avez-vous pris part à des
initiatives avancées par la Jamaa Islamiya pour se réconcilier avec l'Etat ?
** Effectivement oui. Mais le
problème qui faisait face à l'organe sécuritaire, était surtout le fait que
plus de 4500 membres de la Jamaa Islamiya étaient détenus, juste en vertu de la
loi d'urgence, parce qu'ils avaient pour leur plupart terminé la durée de leur
peine. Le problème qui se dressait alors : "Qu'Irons-nous faire avec eux
si l'état d'urgence est annulé ?"
De là, nous avons adopté une autre
approche. Nous, en tant qu'une génération d'officiers de la sécurité d'Etat ,
qui sont convaincus que la pensée ne devrait être combattue que par la pensée,
et que l'affrontement sécuritaire devrait succéder à l'affrontement
intellectuel. Nous avons ainsi travaillé à préparer le climat pour les débats
intellectuels.
Il y avait 13 dirigeants à la Jamaa
Islamiya, dont à leur tête Ibrahim et Ossama Hafez, Karam Zohdi, Hamdi Abdel
Rahmane et Fouad Al-Dawaliby. Ces dirigeants avaient demandé de leur apporter
les principaux et plus importants livres islamiques, pour comparer leurs
pensées avec celles incluses dans ces livres. En effet, ils se sont penchés,
des mois durant, sur l'étude de ces livres. Nous avons groupé ces
éléments dans la prison "Al Aqrab", sans la connaissance de la
Direction politique à l'époque. Ils sont entrés dans un débat dans lequel
beaucoup de divergences et de disputes ont surgi au sein de la prison.
Nous leur avons assuré des contacts
avec les dirigeants en fuite à l'étranger, et notamment en Afghanistan. Nous
leur avons accordé l'occasion pour réviser leurs positions et leurs pensées et
ils ont été en fin de compte convaincus de la nécessité de rejeter la violence.
Nous leur avons permis de se déplacer entre les prisons pour discuter avec les
membres de la Jamaa, afin de les convaincre, par l'argument, de rejeter
nécessitement la violence.
Cette expérience est une preuve
indéniable sur le fait que l'affrontement intellectuel avec les groupes armés
est beaucoup plus important que l'affrontement sécuritaire. Ainsi, avons-nous
réussi à éviter le danger que représentaient ces 4500 jeunes, dont chacun
aurait pu être une bombe à retardement contre l'Etat.
Le sort des débats
intellectuels
* Quelques médias estiment que ces
initiatives avaient été vouées à l'échec. Qu'en pensez-vous?
** Si nous parlons des cas de Assem
Abdel Maged ou de Safouat Abdel Ghani, d'aucuns estiment que ces débats avaient
échoué. Toutefois, nous devons prendre en considération que les prisons étaient
pleines de plus de 4 mille membres de la Jamaa Islamiya et les débats
intellectuels avec eux, avaient remarquablement réussi, au point que certains
jeunes de la Jamaa ont déserté les montagnes pour livrer leurs armes et
reconnaître leurs crimes. Ces jeunes ont réussi à présent à s'intégrer dans la
société avec la complète liberté. Comment alors allègue-t-on l'échec de cette initiative
?!
* Qu'en est-ce pour Assem Abdel
Maged et Tarek Al-Zomor, après qu'ils avaient à nouveau adopté l'approche de la
violence et ont pris part au sit-in de Raba'a ?
** Ce sont uniquement deux
personnes. Deux d'un grand groupe recruté par les Frères contre des fonds et
séduit par plusieurs privilèges qui lui ont été accordés. Tous ceux qui sont
revenus à la violence après leur libération ne dépassent pas les doigts d'une
seule main. L'initiative a donc réussi à 100%.
* Vous avez souligné au début
l'obstacle "de l'organisation internationale des Frères" dans leurs
débats intellectuels. Pensez-vous que les Frères sont disposés à faire ces
débats ?
** Comme j'ai déjà susmentionné, les
Frères ont une organisation internationale et des dirigeants de par le monde.
Ces derniers ont toujours des intérêts à maintenir la conjoncture telle quelle
pour épuiser l'armée égyptienne et crééer des tensions au sein du pays. Les
directions des Frères au Qatar, en Turquie et à Londres, survivent notamment
grâce à leurs bases humaines en Egypte, qui leur accordent de la sorte un
certain poids.
Les pensées "qotbies" (en
référence à Sayed Qotb) dominent les dirigeants de la confrérie. Ce courant
voit donc que la société est mécréante, le gouverneur est incroyant et donc il
est licite de s'insurger contre son régime. Nous ne devons pas oublier
l'histoire des Frères. A l'époque du roi, les Frères avaient commis plusieurs
actes de violence. Ils ont assassiné Al-Noqrachi pacha, le conseiller
Al-Khizindar ainsi que d'autres. Ces éléments se sont habitués aux assassinats
depuis le début de leur groupe, bien que cette période ait connu le pluralisme.
Le gouvernement était changé tous les deux mois à cette époque.
Après la révolution de 1952, une
réconciliation avait été conclue avec ces Frères. La révolution a dissolu les
partis, à l'exception des Frères. Mais ces derniers se sont ensuite heurtés
avec le président Gamal Abdel Nasser, parce qu'ils appelaient à avoir le
pouvoir. Le président Sadate les a libérés et leur a permis d'exercer le
travail politique pour les faire intégrer dans la société, et à la fin, ils
l'ont tué.
Le recrutement terroriste
* Quelle est la catégorie de jeunes
ciblée par les groupes armés ?
** Les groupes armés essaient
généralement d'attirer les jeunes qui ignorent la science religieuse et qui
n'ont aucune culture religieuse ou générale. Plusieurs jeunes ont intégré les
rangs de ces groupes, vu la faiblesse de leurs connaissances. En dépit de
l'attaque contre Al-Azhar, les groupes armés ne pouvaient pour autant pas
recruter aucun jeune azhari, parce que ces jeunes possédaient la science
religieuse, qui constitue pour eux, un bouclier qui les protège contre les
attractions de ces groupes.
* En citant Al-Azhar, nous assistons
aujourd'hui à une attaque féroce de la part de certains courants libéraux et
laïcs contre cette grande institution séculaire. Quel est votre avis à cet
effet ?
** L'attaque contre Al-Azhar est
incorrecte. Les tentatives d'ôter à Al-Azhar son rôle, sont anciennes. Voire,
elles ont commencé depuis sa naissance. Al-Azhar est sans doute une institution
religieuse nationale, qui oeuvre à diffuser l'esprit de la tolérance. Al-Azhar
adopte une approche modérée et je n'exagère pas si je dis que toute tentative
voulant détruire Al-Azhar, constituera un danger qui menace la sécurité
nationale égyptienne, voire l'Etat égyptien.
Nous devons saisir une vérité
effrayante. Au cas où Al-Azhar s'est effondré, l'alternative prête serait les
groupes terroristes, comme Al-Qaïda et Daech ainsi que d'autres organisations.
Ces groupes extrémistes exploitent la situation pour ébranler la confiance des
jeunes en leurs symboles religieux, et ainsi réussir à les polariser pour les
faire adhérer à leurs rangs. Que pensez-vous alors si l'on détruit la fortresse
même des symboles ?!
* Comment estimez-vous l'émergence
de Daech et l'annonce qu'il a faite sur la création d'un califat en Syrie et en
Irak, puis sa détérioration et son déclin ?
** Daech est une évolution normale
du groupe Al-Qaïda. Ce dernier était à son tour une évolution du groupe
"Al-Djihad" créé en Egypte.Tous ces groupes sont issus de la
Confrérie des Frères. Une grande et dangereuse intrusion est enregistrée parmi
ses rangs que les services de renseignements des pays étrangers exploitent pour
déclencher les guerres par mandat de la quatrième génération.
Ces guerres se basent sur un
fondement important : "Le coût zéro dans les guerres... où l'ennemi
s'auto-détruit". Israël, par exemple, est le plus grand gagnant des
soi-disantes révolutions du Printemps arabe. C'est le climat de chaos créateur
et de destruction des institutions qui permet aux takfiristes et aux
terroristes de sévir. Tous ces groupes sont financés et armés par des pays
étrangers hostiles à la stabilité de toute la nation arabe.
* Les Forces Armées déclenchent une
large offensive au Sinaï (Opération Sinaï 2018). Que prévoyez-vous ?
** Cette offensive était extrêmement
importante. La majorité des dirigeants takfiristes et djihadistes, qui étaient
emprisonnés, puis libérés par le président déchu Mohamed Morsi, sont
effectivement ceux qui affrontent- aujourd'hui- l'Armée égyptienne au
Sinaï, en plus des terroristes fuyant de la Syrie vers la péninsule sinaïtique.
De là, il était extrêmement important de lancer cette guerre. Ces terroristes
sont secondés par les services de renseignements de certains pays étrangers,
dans le but de déstabiliser l'Egypte.
Les services
d'Intelligence étrangers et le terrorisme
* Vous parlez du rôle des services
de renseignements étrangers opérant au Sinaï. Désignez-vous précisément une
certaine Intelligence ?
** Les Etats-Unis sont le moteur
principal de tous les groupes terroristes répandus dans le monde. C'est une
chose bien connue pour tous ceux qui ont travaillé dans n'importe quel service
de renseignements. Les Etats-Unis adoptent toujours la politique de deux poids
deux mesures, d'après leurs intérêts. Par exemple, alors qu'ils créent une
alliance internationale contre Daech en Irak, ils objectent contre l'offensive
égyptienne contre Daech en Libye.