Qu’est-ce qui pousse un homme d’à peine 20 ans à abandonner, un beau matin, l’exploitation de gomme arabique familiale, dans l’ouest du Soudan, pour sauter dans un bus et prendre la route de la capitale, Khartoum, afin de rejoindre, à près de trois cents kilomètres, l’endroit où les manifestants, installés dans un sit-in devant le quartier général des forces armées, réclament « tout le pouvoir aux civils » ? L’envie de voir d’abord, de ses propres yeux, ce qu’il appelle, avec tendresse et un anglais à fort accent américain appris en regardant des films, « la révolution ».
Alors que le mouvement de contestation s’était étendu à presque toutes les régions du Soudan, « Sam » Al Salah Al Bager avait déjà pris part à un sit-in, à El-Obeid, dans son état du Kordofan du Nord. Avec des milliers d’autres, il avait campé devant la base militaire, là-bas, d’où décollent depuis des décennies les avions qui vont bombarder les diverses zones du pays où le pouvoir du général Omar Al-Bachir, depuis son coup d’Etat de 1989, a mené d’interminables guerres. Manifester à El-Obeid, c’était déjà fort, et on a accueilli avec des transports de joie la chute d’Al-Bachir, le 11 avril. Mais « Sam » Al Salah Al Bager voulait voir de plus près le mouvement en cours, dont l’objet n’est pas seulement de renverser un dictateur, mais de changer le Soudan.