Publié par CEMO Centre - Paris
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Syrie, le piège de la « réconciliation »

jeudi 23/mai/2019 - 04:25
La Reference
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Dans un communiqué, le département d’Etat évoque une « attaque au chlore dans le nord-ouest de la Syrie au matin du 19 mai ». Selon sa porte-parole, cette nouvelle « attaque présumée » fait « partie de la campagne violente menée par le régime Assad qui viole un cessez-le-feu qui a protégé des millions de civils dans la province d’Idlib ». Depuis fin avril, les forces syriennes et leurs alliés russes ont en effet intensifié les attaques dans cette zone pourtant dite de désescalade. Comme le rappelle Christian Makarian dans L’Express, la région est au centre de deux axes essentiels : l’autoroute nord-sud de Damas à Alep et la voie ouest-est d’Alep à Lattaquié, le fief alaouite dont le clan Assad est originaire. Mais l’offensive « provoquera un exode humain massif qui, forcément se dirigera vers la Turquie, où ont déjà trouvé refuge 3,5 millions de déracinés syriens », ce qui est « inacceptable pour Erdogan », dont l’échec à Idlib est patent, alors qu’il s’était engagé à maîtriser les jihadistes qu’il avait d’abord soutenus. Contraint de les lâcher en échange d’une liberté de manœuvre contre les Kurdes, il pensait pouvoir « conserver en Syrie une zone d’influence qui lui aurait permis de négocier avec les Russes et les Iraniens. » 

Douteuse "réconciliation"

La région d’Idlib est investie par les combattants des autres zones évacuées, suite aux accords conclus pour leur reddition. De très nombreux civils ont également préféré s’y réfugier, soit parce que les bombardements massifs avaient détruit leurs habitations, soit par crainte des représailles. Car le processus de réconciliation mis en œuvre par le régime syrien et son allié russe semble bien peu crédible. Comme le dénonce la directrice pour le Moyen-Orient à Human Rights Watch, Lama Fakih, citée par Luc Mathieu sur le site de Libération :

Les combats ont cessé dans la majeure partie de la Syrie mais rien n’a changé pour les services de renseignements qui continuent à bafouer les droits des opposants présumés à l’ordre d’Assad. L’absence de procédures régulières, les arrestations arbitraires et le harcèlement, même dans les zones soi-disant réconciliées, sont plus parlantes que les fausses promesses de retour [des réfugiés et des déplacés], de réforme et de réconciliation. 

Sont visés notamment d’anciens responsables ou militants de l’opposition, des travailleurs humanitaires et des membres de familles d’anciens combattants anti-Assad. « Au moins 500 personnes ont été arrêtées à Deraa, dans la Ghouta orientale et dans des villes au sud de Damas. A Deraa, le sort de 230 habitants arrêtés reste toujours inconnu. » C’est le cas également de deux travailleurs humanitaires palestiniens, arrêtés début avril au sud de Damas. « Tous deux avaient signé l’accord de réconciliation après la reprise de leur ville par les forces syriennes en mai 2018. Leurs collègues affirment qu’ils ne faisaient pas l’objet d’une convocation pour le service militaire et qu’ils n’avaient jamais fait partie d’un groupe armé d’opposition. » L’organisation « demande à la Russie, principale alliée du régime, d’intervenir auprès de Damas pour faire libérer les détenus arrêtés arbitrairement et de fournir des informations sur le sort de ceux qui ont disparu ».

Le constitutionnalisme

« Les guerres qui ravagent aujourd’hui le Moyen-Orient n’ont pas vocation à se poursuivre éternellement et la région n’est pas vouée à être dirigée par des autocrates », estime Fawaz A. Gerges dans la dernière livraison de la revue Politique étrangère, qui se projette dans les dix années à venir. Le professeur de relations internationales à la London School of Economics évoque « une guerre froide régionale opposant trois acteurs clés – Iran, Arabie Saoudite et Turquie » au cœur des conflits actuels. Sur le terrain « la division criante du monde arabe entre une identité nationale et des identités tribales, religieuses et sectaires se manifeste par de violents affrontements ».

Ces identités secondaires ont émergé dans le vide laissé par des institutions étatiques défaillantes et des élites dirigeantes en mal de légitimité.

Face aux aspirations populaires à la justice sociale, à une vie digne et à la liberté, « ces élites postcoloniales ont souvent utilisé le passé pour justifier leurs politiques et leurs tentations autoritaires. Elles ont ainsi prolongé l’héritage toxique du colonialisme ». Dans cette situation, les puissances occidentales ont préféré le plus souvent préserver le statu quo et n’ont pas soutenu les causes progressistes. « L’équilibre idéologique de la région a donc généralement penché du côté des extrêmes. » L’auteur, qui souligne que « l’autoritarisme n’est pas le garant de la stabilité mais, au contraire, la principale cause d’instabilité au Moyen-Orient », insiste sur l’élément clé du constitutionnalisme, qui gagne du terrain et apparaît comme une solution « pour sortir des troubles et reconfigurer les relations entre Etats et sociétés ». L’exemple de la Tunisie montre que « des groupes aussi différents que les islamistes, les centristes et les sécularistes ont réussi à se mettre d’accord sur des compromis constitutionnels pour lancer une transition vers un nouvel ordre politique ».


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