Le Soudan tout près d’un accord de transition

Il apparaît désormais si proche, ce pas, ce petit saut, qui fera entrer le
Soudan dans l’ère post-Omar Al-Bachir. L’ex-président a été renversé le
11 avril sous la pression de la rue mais aussi parce que certains généraux
ont saisi l’occasion de le déposer. Depuis, son pays est dans l’attente d’un
accord entre civils et militaires pour gérer la suite, c’est-à-dire entrer dans
une période de transition. Après, seulement, des élections pourront être
organisées.
On ne
change pas un pays qui sort de trente ans de dictature islamo-militaire en un
claquement de doigts, mais il faut bien commencer quelque part et, à Khartoum,
la signature de cet accord, fixant les conditions d’une transition de trois
ans, apparaît comme un incontournable début, incarnant le désir de ceux qui ont
espéré voir advenir une ère nouvelle dont serait exclue l’ex-formation d’Al-Bachir,
le Parti du Congrès national (NCP).
Au cœur de la capitale, chacun veut croire à l’imminence de ce premier
succès de la « révolution » dans ce gigantesque festival à ciel
ouvert installé devant le complexe militaire qu’est le « sit-in »,
vitrine géante d’un Soudan démocratique. Après la phase de tensions en début de
semaine, où des éléments armés ont tiré sur les barricades des manifestants,
les négociations ont repris dimanche soir entre militaires et civils. Dans
quelques heures, tous pourraient parvenir à un accord de partage du pouvoir,
qui scellerait la fin de la première phase ouverte avec le renversement d’Omar
Al-Bachir en avril, à quelques semaines de la célébration de son propre coup
d’Etat, en juin 1989.
« Sur le fil du rasoir »
Comme
il se doit, c’est dans les détails que résident les ultimes blocages avant le
passage d’une telle ligne. Lundi 20 mai, comme la veille, sur le coup de
21 heures, les deux parties vont se réunir à nouveau. D’un côté les
représentants du Conseil militaire de transition (TMC), qui a techniquement pris
le pouvoir le 11 avril, au terme de ce qui a été un coup d’Etat mené par
des généraux, mais sur lesquels s’exercent des pressions pour qu’ils
transmettent en partie leurs responsabilités aux civils, les représentants des
Forces pour la liberté et le changement (FFC).
Des détails gênent encore. Rien n’est grave, tout peut le devenir. « Il
y a plusieurs scénarios, et il est vraisemblable qu’on va parvenir à un accord,
mais il ne faut pas se voiler la face, tout peut déraper. On est sur le fil du
rasoir »,avertit Rashid Saeed Yacoub, l’un des porte-parole
chargés des affaires politiques de l’Association des professionnels du Soudan
(SPA), l’organisation qui avait préparé le mouvement de contestation dans la
clandestinité, a assuré sa survie durant trois mois de répression brutale,
avant de jouer, au sein d’une vaste coalition – les FFC –, un rôle moteur pour
la suite.
Maîtres psychologiques
Ces
derniers jours, c’est encore le SPA qui était à la manœuvre pour préparer le
terrain d’un accord avec les militaires. Alors que la situation était bloquée,
les organisateurs du « sit-in » ont joué de la pression en maîtres
psychologiques, étendant le périmètre des barrages dans Khartoum jusqu’à
bloquer l’artère qui longe le Nil, Nile Street, faisant de leur cité
contestataire un immense quadrilatère au beau milieu de la capitale, allant du
quartier général de l’armée au fleuve, avec leur bastion de l’université au
beau milieu, et poussant ses zones de contrôles au-delà du Nil jusqu’à Bahri
(Khartoum Nord), et à Omdourman.
Les
tirs d’éléments en uniforme juchés sur des pick-up ont fait craindre un
dérapage qui annoncerait la fin de l’espoir d’une transition civile, mais au
prix d’un bain de sang. Or, ce bain de sang, nul ne semble vouloir en assumer
le prix. « Pour
écraser le “sit-in”, les militaires devraient tuer un nombre
important de gens, ce n’est plus possible. C’est la raison pour laquelle il
faut trouver un accord », analyse Rashid Saeed Yacoub,
avant de conclure : « On a donc décidé de diminuer le
nombre de nos barricades. En trois heures, tout était démantelé sur Nile
Street. » Démonstration de cohésion du groupe des civils,
malgré ses divisions.
Pourtant,
en secret, le groupe des civils considère Hemetti comme « un
allié » face aux militaires, selon une source de cette
mouvance. Ce dernier joue sa partie, et les civils n’ont à ce stade pas d’autre
moyen de contrecarrer l’influence de l’armée en se prémunissant d’un retour des
milices du NCP, ou certains éléments des services secrets proches de la galaxie
islamiste. « Si
on n’arrive à rien, on s’engagera sur la voie d’une grève générale, mais à tout
prendre, nous préférons un mauvais accord à pas d’accord, ce qui serait la
porte ouverte à des affrontements », affirme Rashid Saeed
Yacoub.
Alors,
ces jours derniers, il a fallu instaurer aussi une désescalade côté
manifestants. « On a tout fait pour calmer les esprits, assure
une source au sein du SPA. Un comité mixte avec les militaires a été
créé ; au “sit-in”, on a mis plus de chanteurs sur les
scènes, et fait descendre d’un cran tous les discours politiques. »
« Chacun aurait un avantage »
A
présent, chacun attend de voir se conclure un accord, grâce à la résolution du
point de litige principal : la constitution du conseil de souveraineté.
L’idée d’une telle structure, destinée à être placée à la tête de la transition
mais privée de pouvoirs exécutifs, n’est pas nouvelle : elle est au cœur
du projet du SPA depuis le début. Mais il faut à présent s’accorder sur sa
composition exacte.
Le
TMC, lorsqu’il s’est constitué le 11 avril pour s’emparer du pouvoir,
était composé au départ de dix membres. Trois d’entre eux ont été contraints à
la démission – y compris le premier responsable des affaires politiques –,
parce qu’ils étaient trop liés à l’ancien pouvoir. Sur les sept restant, quatre
sont proches des islamistes, dont le chef de l’armée de l’air. Trois autres,
dont le chef du TMC, le général Al-Burhane, sont indépendants de cette tendance
proche de la branche soudanaise des Frères musulmans. Si les généraux sont au
nombre de sept, les civils veulent obtenir la majorité. Ils proposent donc que
l’organe suprême qui présidera la transition pendant trois ans (les deux
parties se sont accordées déjà sur cette durée) pourrait compter quinze
membres : sept militaires, huit civils.
Ensuite,
en cascade, seraient nommés les membres du conseil des ministres et un chef de
gouvernement serait désigné ou élu, selon une procédure qui ne fait pas encore
tout à fait l’unanimité. Certaines sources affirment que le premier ministre
devra être nommé par le conseil suprême. En revanche, il est acquis que le
gouvernement sera dirigé par un civil, issu de la galaxie des FDC, et que deux
ministères y seront réservés aux militaires : celui de l’intérieur et celui
de la défense.