Mauvais présage en Libye, les armes continuent d'affluer
Malgré un embargo de l'ONU, les armes continuent
d'affluer vers les deux camps rivaux en Libye, où l'assaut des troupes
du maréchal Khalifa Haftar sur Tripoli risque plus que jamais de virer à la
guerre par procuration entre puissances régionales.
M. Haftar, l'homme fort de la province
orientale, est soutenu notamment par les Emirats arabes unis et l'Egypte. A l'inverse, la Turquie et le Qatar lui sont
hostiles et appuient les forces loyales au Gouvernement d'union nationale (GNA)
de Fayez al-Sarraj, reconnu par la communauté internationale et basé à Tripoli.
Depuis, les positions militaires sont figées
aux portes de la capitale, où des combats d'intensité modérée persistent en
banlieue sud.
Mais les forces du GNA ont brisé un tabou
samedi en annonçant avoir reçu des "blindés, des munitions et des armes
qualitatives".
Si elles n'ont pas précisé le pays d'origine,
elles ont publié des photos de dizaines de blindés turcs BMC Kirpi sur le quai
du port de Tripoli.
En consultant les sites de navigation
maritime, on peut identifier le navire battant pavillon moldave qui les
transportait, parti de Turquie et propriété d'une compagnie turque.
Soutien "assumé"
"La Turquie semble assumer
totalement" ce soutien, commente Arnaud Delalande, consultant sur les
questions de défense et spécialiste de la Libye.
Et "la livraison ce dimanche de blindés
de fabrication jordanienne (KADDB Al-Mared 8x8 APC) à l'Armée nationale
libyenne (ANL, autoproclamée par Khalifa Haftar) démontre qu'aucune des deux
parties n'envisage de céder", ajoute-t-il, évoquant la perspective
d'"une guerre d'usure".
Des comptes Facebook pro-Haftar ont publié
dimanche des photos et vidéos, non authentifiées, de ces blindés jordaniens
prétendument livrés à l'ANL.
Interrogé par l'AFP, une source militaire de
l'Est du pays n'a ni confirmé ni démenti cette livraison. Mais les
"renforts ne cessent d'affluer", a-t-elle admis.
"Le soutien de la Turquie aux forces
affiliées au GNA contribuera à réduire l'écart en matière d'armement entre les
deux camps", affirme à l'AFP Wolfram Lacher, chercheur à l'Institut
allemand de politique internationale et de sécurité (SWP).
Selon lui, Haftar a dans un premier temps
disposé d'un "avantage de taille", avec des dizaines de blindés de
fabrication émiratie, qu'il "pourrait maintenant perdre".
La médiatisation du soutien turc pourrait toutefois
accélérer la course à l'armement, note l'expert, notamment en incitant les pays
pro-Haftar à renforcer leur aide à l'ANL, "voire à intervenir encore plus
directement".
"Davantage de destruction"
"Cette guerre est en train de devenir
une guerre par procuration entre puissances rivales du Moyen-Orient",
ajoute-t-il. Et "plus les deux parties recevront des armes de leurs
soutiens étrangers, plus la guerre durera longtemps, plus elle sera
destructrice et difficile à résoudre", prévient Wolfram Lacher.
Depuis début avril, les combats ont fait plus
de 450 morts, 2.000 blessés et près de 70.000 déplacés, selon les
agences de l'ONU.
Les appels de la communauté internationale à
une trêve et au dialogue ont été ignorés des deux côtés.
Après six semaines de combats aux portes de
Tripoli, les lignes de front ont peu bougé.
A ce jour, "les forces aériennes sont
équivalentes avec une quinzaine de chasseurs-bombardiers de chaque côté, ainsi
que quelques hélicoptères utilisables uniquement de nuit car trop vulnérables
aux tirs venant du sol", relève Arnaud Delalande.
Une intensification de l'appui aérien
émirati, notamment via les drones Wing Loong, déjà engagés
depuis 2016 dans l'Est, pourrait selon lui "faire basculer le
rapport de forces".
Des experts de l'ONU enquêtent actuellement
sur une possible implication militaire des Emirats dans le conflit en Libye, à
la suite de tirs de missiles air-sol de type Blue Arrow en avril avec des
drones Wing Loong de fabrication chinoise équipant l'armée émiratie, selon un
rapport auquel l'AFP a eu accès.
Dans son dernier rapport en septembre, le
groupe d'experts de l'ONU avait noté l'arrivée en Libye d'un "plus grand
nombre de véhicules d'infanterie blindés et de pick-ups équipés de
mitrailleuses lourdes, de canons sans recul, de mortiers et de
lance-roquettes".
L'importation des armes est une constante ces
dernières années, remarque Jalal al-Fitouri, analyste libyen. Mais son
intensification, et "l'engagement des deux camps dans une guerre
d'usure", "ne fera que provoquer davantage de destruction",
prédit-il.