Aux Etats-Unis, « l’élection de Donald Trump a galvanisé les anti-avortement »
L’Alabama a voté, mercredi 15 mai, la loi la plus répressive des Etats-Unis en matière d’avortement. Le texte ne prévoit pas d’exception en cas de viol ou d’inceste, et punit
de peine de prison, de dix ans à quatre-vingt-dix-neuf ans les médecins
pratiquant l’interruption volontaire de grossesse (IVG), sauf en cas d’urgence
vitale pour la mère ou d’« anomalie létale » du
fœtus.
Le
professeur d’histoire spécialiste des Etats-Unis, Corentin
Sellin, revient sur cette stratégie adoptée par les
anti-avortements pour forcer la Cour suprême à remettre en cause la
jurisprudence actuelle, qui date de 1973 et a permis l’autorisation de
pratiquer des avortements aux Etats-Unis. « L’élection de Donald Trump a
galvanisé les anti-avortement et les a incités à repartir en guerre »,
estime-t-il.
Cette législation est-elle surprenante de la part d’un
Etat comme l’Alabama ?
L’Alabama
a toujours été un territoire ultraconservateur, situé en plein cœur de la
« ceinture de la Bible », qui rassemble une vingtaine d’Etats du
Sud-Est. Pour cet électorat majoritairement blanc et évangélique,
l’interdiction de l’avortement a toujours été une revendication primordiale. Ce
n’est donc pas surprenant de voir émerger cette loi particulièrement
répressive.
Sauf que cette loi reste de toute façon inconstitutionnelle tant que la
jurisprudence de 1973 – appelée « Roe versus Wade » permettant
l’autorisation de pratiquer des avortements aux Etats-Unis – n’est pas
renversée par la Cour suprême.
Il s’agit donc d’une stratégie de la part des
anti-avortements pour forcer la main à la Cour suprême ?
Ce
qu’il faut comprendre, c’est qu’il n’existe pas aux Etats-Unis d’équivalent de
notre loi Veil, c’est-à-dire une législation votée par le Parlement qui
autorise l’avortement selon des conditions précises. Le Congrès américain n’a
jamais voté une telle loi, par peur notamment de se mettre à dos une partie de
l’électorat.
Aux
Etats-Unis, ce qui autorise le droit à l’avortement se fonde
constitutionnellement sur une interprétation du quatorzième amendement, qui
garantit le droit à l’intimité (right to privacy). A
l’époque, en 1973 donc, par sept voix contre deux, la Cour suprême avait
estimé que ce droit s’étendait à la décision d’une femme de se faire avorter.
Mais
cette lecture est combattue avec acharnement depuis plusieurs décennies par les
militants anti-avortements. Jusqu’à présent, elle a été restreinte – notamment
par l’arrêt de 1992, Planned Parenthood versus Casey, qui
fixe des modalités d’avortement pour en réduire notamment le délai – mais a
toujours été confirmée sur le fond. La dernière fois, ce fut en 2016, par
l’arrêt Whole
Woman’s Health versusHellersted.
Et
cette jurisprudence peut toujours être cassée. Or, depuis l’élection de Donald
Trump, il y a une majorité de juges conservateurs à la Cour suprême – cinq
contre quatre. Donc le but de la manœuvre est bien de pousser les neuf juges à
réétudier l’arrêt de 1973, et faire bouger les lignes sur le droit à
l’avortement.
Cette « manœuvre » a donc un lien avec la
présidence de Donald Trump ?
Avant
son élection, Donald Trump, interrogé par Fox News, avait fait part de sa
volonté de renverser la jurisprudence Roe versus Wade. Ce qui est
assez ironique en soi, puisque dans les années 1990, Donald Trump se disait
volontiers favorable à l’avortement sur les plateaux télévisés.
Depuis
son élection, le président américain a nommé deux juges à la Cour suprême : Neil
Gorsuch et Brett Kavanaugh. Tout prouve que ces deux conservateurs ont des
positions anti-avortement. Leur nomination est donc un signal donné à son
électorat anti-avortement. Pour rappel, plus de 80 % des Blancs
évangélistes ont voté pour Donald Trump.
En
outre, l’administration de Donald Trump n’a eu de cesse de restreindre le droit
à l’avortement ces derniers mois. Elle a notamment passé récemment une loi qui
autorise tous les travailleurs de santé du privé et du public à recourir à leur
clause de conscience pour ne pas pratiquer d’avortements. Le président
lui-même, depuis plusieurs semaines, emploie dans chacun de ses meetings une
rhétorique très violente envers les démocrates, qu’il accuse d’exterminer les
bébés, et envers les médecins pratiquant l’IVG, qualifié « d’assassins ».
Donald
Trump n’est donc pas à l’initiative directe de la procédure législative, mais
il incarne ce renouveau conservateur identitaire et religieux. Son élection a
galvanisé les anti-avortement et les a incités à repartir en guerre contre la
jurisprudence actuelle. Des lois très restrictives ont ainsi été promulguées
dans plusieurs Etats au cours des derniers mois.