Publié par CEMO Centre - Paris
ad a b
ad ad ad

L'art illicite chez les Frères (deuxième partie )

mardi 19/juin/2018 - 01:54
La Reference
طباعة

Par Mostafa Hamza

 

 

Les chansons fréristes ne se limitent pas aux chants enthousiastes comme dans les années 50, ou ceux cantonnés dans les mariages islamiques des années 90. Elles se sont étendues encore jusqu'après la révolution du 25 janvier 2011, pour contribuer remarquablement à attiser les combats politiques entre les différentes puissances au sein de l'Egypte.

Le groupe des Frères a ainsi composé un chant pour appuyer Khayrat Al-Chater- premier adjoint du Guide à l'époque- immédiatement après que la Confrérie avait annoncé sa candidature pour les élections présidentielles. Les paroles de la chanson disaient: "Ô mon pays, enchantez-vous avec Khayrat... le nouvel Erdogan de l'Egypte".

Lorsque la Haute Commission électorale avait annoncé la sortie d'Al-Chater de la course à la présidentielle, les membres de la Confrérie ont composé d'autres chants pour appuyer, cette fois-ci Dr Mohamed Morsi, dont entre autres : "La renaissance est la volonté d'un peuple", chanté par Sameh Hosni. Egalement : "Je choisirai le Dr Mohamed Morsi", paroles pour Mostafa Al-Sawi et les membres de l'équipe Al-Nour à Ménoufia. Le succès des deux chansons a valu la composition d'une autre par Mahmoud Al-Chérif : "C'est pour cette raison que nous avons choisi Morsi".

Plusieurs éléments Frères, et aussi leurs dirigeants, ont reconnu leur amour pour les chansons, comme par exemple le troisième Guide suprême, Omar Al-Telmessani. Le leader dissident de la Confrérie, Tharwat Al-Kharabawy, a écrit un livre intitulé : "Le coeur des Frères", et dans lequel, Al-Kharabawy a reconnu écouter les chants d'Oum Kolthoum, et continuait de le faire. Sayed Qotb a également écrit un livre titré : "L'image artistique dans le Coran".

Le chercheur, feu Hossam Tammam, écrit dans son livre "Les mutations au sein des Frères musulmans" (page 91), que nombre de troupes musicales islamiques sont autorisées en Egypte. Elles dépassent les 50 troupes, écrit-il, dont 5 troupes composées de femmes et de jeunes filles. Des dizaines d'autres troupes n'étaient pas pour leur part autorisées et manquaient de professionnalisme. Ce nombre s'était encore multiplié à l'issu de la révolution de janvier 2011, mais s'était rétréci après le gel des activités de ces troupes, peu avant le déclin du régime des Frères, lors de la révolution de 2013.

 

Le théâtre des Frères

 

Hassan Al-Banna avait une certaine vision tendant à exploiter le théâtre dans la mobilisation des intellectuels pour appuyer son groupe. Le théâtre occupait une place de notoriété dans les années 20 du siècle dernier. L'élite de la société égyptienne avait en fait un certain goût pour le théâtre. C'est pour cette raison que Hassan Tammam confirme dans son livre (page 88) qu'Abdel Rahmane Al-Banna, frère de Hassan Al-Banna, est le fondateur du théâtre des Frères.

Le prédicateur Frère, Essam Téléma, ancien secrétaire du Dr Youssef Al-Qaradawi, révèle aussi dans son livre : "Hassan Al-Banna et l'expérience de l'art" (page 7), qu'Al-Banna était intéressé à former une troupe théâtrale, dans chaque groupe Frère. Même tendance affirmée par Sayed Darwiche, coordinateur de la commission d'art au sein du Parti dissout, La Liberté et la Justice, lorsqu'il avait commenté les deux séries, 23 et 24, de l'émission "La Confrérie sur la balance", diffusée sur la chaîne "Al-Qahéra wal Nas", Darwiche a dit : "Al-Banna ne créait aucun groupe pour les Frères, sans y composer un théâtre".

Des paroles teintées d'exagération, mais prises au sérieux par leur énnonciateur. L'intérêt remarquable qu'affichait Al-Banna au théâtre, revient à la conviction de ce dernier que le théâtre est un moyen de prédication qui assume deux missions principales : la première est faire de la propagande pour les idées des Frères et les présenter sous un aspect respectable, alors que la seconde mission est de mobiliser et recruter de nouveaux éléments.

Certains Frères prétendent que le théâtre et ces troupes jouaient des rôles pour représenter les conquêtes islamiques et pour faire répandre les vertus des éthiques islamiques. Toutefois, ces prétentions sont à fustiger catégoriquement. C'est que la première représentation sur le théâtre des Frères, était une pièce romantique sous le titre : "Jamil Bouthayna", écrite par Abdel Rahmane Al-Banna. Cette pièce porte sur les plus fameuses histoires d'amour dans l'histoire arabe ! Plusieurs fameux artistes y ont joué des rôles, comme Georges Abiad, Ahmed Allam, Abbas Fares, Hassan Al-Baroudy, Fattouh Nachaty, Mahmoud El-Méliguy, Fatma Rochdi et Aziza Amir.

Outre cette pièce de théâtre, un grand nombre de skètchs et de pièces des frères avaient été également donnés, dans le but de faire ancrer les valeurs du groupe aux tréfonds des spectateurs. L'objectif est donc d'enraciner les valeurs des Frères dans les esprits du public, via l'art théâtral, étant donné qu'il représente une des forces douces à l'époque. C'est ce que nous pouvons remarquer aussi dans les années 90 du siècle dernier, en suivant les skètchs que les Frères donnaient lors des différentes occasions pour incarner Dieu et ses messagers.

Au niveau de la jurisprudence, une polémique a été déclenchée pour interdire l'incarnation des messagers de Dieu et des sahabahs (les compagnons du Prophète) dans les oeuvres artistiques. Plusieurs savants islamiques ont confirmé que ce fait était "haram" (illicite) et interdit. Mais les Frères ne s'y intéressent pas et ne s'arrêtent pas aux limites de ce qui est halal ou haram pour tout ce qui a trait à l'art, contrairement aux autres groupes.

C'était donc une surprise de les voir incarner le messager de Dieu, Ibrahim et son fils Ismaïl (paix sur eux) dans la pièce "L'immolé". Une pièce qui leur a valu beaucoup de critiques acerbes, dont ce que le Dr Saïd Abdel Azim, l'ancien membre de la daawa salafiste, a dit en soulignant "qu'ils ne se sont pas suffis d'incarner les messagers de Dieu, mais pis encore, ils ont permis à une personne d'incarner le rôle de Dieu dans cette même pièce !"

Le Dr Abdel Azim souligne que toutes les écoles de fiqh sont unanimes sur l'interdiction d'incarner un prophète ou Dieu.

Au début de l'émergence du théâtre des Frères, les femmes n'y avaient pas de rôle. Plus tard, la troupe a approuvé l'adhésion de certains éléments féminins. La pièce "Abdel Rahmane Al-Nasser" est la première pièce qui introduit des artistes femmes fameuses comme Zouzou Nabil, Rafi'a Al-Chal, Naïma Wasfi. La vedette "Malak" (c'est le nom artistique de l'artiste Zeinab Mohamed Ahmed Al-Guendy, née en 1902 au Caire et décédée en 1983) a demandé à Abdel Rahmane Al-Banna de lui écrire une pièce de théâtre. Elle a joué un rôle dans la pièce "Saadi" sur son théâtre "Opéra Malak". Cette affaire a été vivement critiquée par l'Association légitime et Al-Azhar parce que ce fait a été considéré comme une violation à la religion qui mène à la prolifération du vice et de la corruption. Les Frères ont toujours fait la sourde oreille.

Dans son livre "Les mutations au sein des Frères musulmans" (page 88), Hossam Tammam dit : "Des femmes ont participé à ce théâtre. Elles étaient toutes de fameuses vedettes du théâtre égyptien, dont à leur tête Fatma Rochdi. Les représentations de ce théâtre étaient données dans des lieux connus comme le théâtre de l'Opéra. La gestion du théâtre était assurée par des éléments non-Frères et le responsable de la propagande était un chrétien."

Le théâtre des Frères a présenté des stars éminentes dans ce domaine, comme Mohamed Al-Sabae, Abdel Badi'e Al-Arabi, Mahmoud El-Méligui, Serag Mounir, Ibrahim Al-Chami, Abdel Monem Madbouli, ainsi que Chafiq Nour Eddine, Saad Ardach, Hamdi Gheith et Addallah Gheith.

 

 

Entre Al-Banna et Anwar Wagdi

 

Concernant la relation entre Al-Banna et les artistes, Téléma souligne dans son livre "Hassan Al-Banna et l'expérience de l'art" (page 39), citant le dirigeant Frère Mahmoud Assaf : "Al-Banna a rencontré Anwar Wagdi par pure coïncidence un jour dans une des banques. Il lui a dit : cher Anwar, vous n'êtes pas des mécréants ou des désobéissants à cause de votre métier, parce que l'art du cinéma et du théâtre n'est pas illicite en soi, il l'est s'il traite des sujets illicites. Vous pouvez, vous et vos collègues, présenter un grand service à l'islam si vous travaillez à produire un film ou une pièce de théâtre qui appelle aux bonnes éthiques. Vous serez là capables de faire propager la daawa islamique, plus que les prêcheurs et les imams des mosquées.

Tamam a également souligné dans son livre "Les mutations au sein des Frères musulmans" (page 88) que des discussions sont ouvertes autour des éthiques des Frères qui ne sont pas écrites, et qui jettent la lumière sur les tentatives de Hassan Al-Banna de faire son entrée dans le domaine du cinéma, avec l'aide de certaines stars à l'époque qui étaient connues pour leurs penchants religieux, comme Hussein Sedki. Mais Tamam revient sur ses paroles et dit que la relation entre Al-Banna et Sedki n'était pas historiquement confirmée et avait débouché sur rien.

Les sujets autour de Hassan Al-Banna et sa relation avec l'art ne se limitent uniquement pas tout simplement aux chants, aux skètchs ou aux pièces de théâtre, mais l'on sait qu'il appuyait la peinture, la photographie et la caricature. Il a ordonné de combattre, par la caricature, la polarisation partisane surgissant en Egypte, l'occupation étrangère et les principes destructifs. Il a considéré ces caricatures comme une sorte de djihad (combat), comme c'est inscrit dans le livre "Hassan Al-Banna et l'expérience de l'art" (page 47).

"