L'art illicite chez les Frères (deuxième partie )
Les chansons fréristes ne se limitent
pas aux chants enthousiastes comme dans les années 50, ou ceux cantonnés dans
les mariages islamiques des années 90. Elles se sont étendues encore
jusqu'après la révolution du 25 janvier 2011, pour contribuer remarquablement à
attiser les combats politiques entre les différentes puissances au sein de
l'Egypte.
Le groupe des Frères a ainsi composé un
chant pour appuyer Khayrat Al-Chater- premier adjoint du Guide à l'époque-
immédiatement après que la Confrérie avait annoncé sa candidature pour les
élections présidentielles. Les paroles de la chanson disaient: "Ô mon
pays, enchantez-vous avec Khayrat... le nouvel Erdogan de l'Egypte".
Lorsque la Haute Commission électorale
avait annoncé la sortie d'Al-Chater de la course à la présidentielle, les
membres de la Confrérie ont composé d'autres chants pour appuyer, cette fois-ci
Dr Mohamed Morsi, dont entre autres : "La renaissance est la volonté d'un peuple",
chanté par Sameh Hosni. Egalement : "Je choisirai le Dr Mohamed
Morsi", paroles pour Mostafa Al-Sawi et les membres de l'équipe Al-Nour à
Ménoufia. Le succès des deux chansons a valu la composition d'une autre par
Mahmoud Al-Chérif : "C'est pour cette raison que nous avons choisi
Morsi".
Plusieurs éléments Frères, et aussi
leurs dirigeants, ont reconnu leur amour pour les chansons, comme par exemple
le troisième Guide suprême, Omar Al-Telmessani. Le leader dissident de la
Confrérie, Tharwat Al-Kharabawy, a écrit un livre intitulé : "Le coeur des
Frères", et dans lequel, Al-Kharabawy a reconnu écouter les chants d'Oum
Kolthoum, et continuait de le faire. Sayed Qotb a également écrit un livre
titré : "L'image artistique dans le Coran".
Le chercheur, feu Hossam Tammam, écrit
dans son livre "Les mutations au sein des Frères musulmans" (page
91), que nombre de troupes musicales islamiques sont autorisées en Egypte.
Elles dépassent les 50 troupes, écrit-il, dont 5 troupes composées de femmes et
de jeunes filles. Des dizaines d'autres troupes n'étaient pas pour leur part
autorisées et manquaient de professionnalisme. Ce nombre s'était encore
multiplié à l'issu de la révolution de janvier 2011, mais s'était rétréci après
le gel des activités de ces troupes, peu avant le déclin du régime des Frères,
lors de la révolution de 2013.
Le théâtre des Frères
Hassan Al-Banna avait une certaine
vision tendant à exploiter le théâtre dans la mobilisation des intellectuels
pour appuyer son groupe. Le théâtre occupait une place de notoriété dans les
années 20 du siècle dernier. L'élite de la société égyptienne avait en fait un
certain goût pour le théâtre. C'est pour cette raison que Hassan
Tammam confirme dans son livre (page 88) qu'Abdel Rahmane Al-Banna, frère de
Hassan Al-Banna, est le fondateur du théâtre des Frères.
Le prédicateur Frère, Essam Téléma,
ancien secrétaire du Dr Youssef Al-Qaradawi, révèle aussi dans son livre :
"Hassan Al-Banna et l'expérience de l'art" (page 7), qu'Al-Banna
était intéressé à former une troupe théâtrale, dans chaque groupe Frère. Même
tendance affirmée par Sayed Darwiche, coordinateur de la commission d'art au
sein du Parti dissout, La Liberté et la Justice, lorsqu'il avait commenté les
deux séries, 23 et 24, de l'émission "La Confrérie sur la balance",
diffusée sur la chaîne "Al-Qahéra wal Nas", Darwiche a dit :
"Al-Banna ne créait aucun groupe pour les Frères, sans y composer un
théâtre".
Des paroles teintées d'exagération,
mais prises au sérieux par leur énnonciateur. L'intérêt remarquable
qu'affichait Al-Banna au théâtre, revient à la conviction de ce dernier que le
théâtre est un moyen de prédication qui assume deux missions principales : la
première est faire de la propagande pour les idées des Frères et les présenter
sous un aspect respectable, alors que la seconde mission est de mobiliser et
recruter de nouveaux éléments.
Certains Frères prétendent que le
théâtre et ces troupes jouaient des rôles pour représenter les conquêtes
islamiques et pour faire répandre les vertus des éthiques islamiques.
Toutefois, ces prétentions sont à fustiger catégoriquement. C'est que la
première représentation sur le théâtre des Frères, était une pièce romantique
sous le titre : "Jamil Bouthayna", écrite par Abdel Rahmane Al-Banna.
Cette pièce porte sur les plus fameuses histoires d'amour dans l'histoire arabe
! Plusieurs fameux artistes y ont joué des rôles, comme Georges Abiad, Ahmed
Allam, Abbas Fares, Hassan Al-Baroudy, Fattouh Nachaty, Mahmoud El-Méliguy,
Fatma Rochdi et Aziza Amir.
Outre cette pièce de théâtre, un grand
nombre de skètchs et de pièces des frères avaient été également donnés, dans le
but de faire ancrer les valeurs du groupe aux tréfonds des spectateurs.
L'objectif est donc d'enraciner les valeurs des Frères dans les esprits du
public, via l'art théâtral, étant donné qu'il représente une des forces douces
à l'époque. C'est ce que nous pouvons remarquer aussi dans les années 90 du
siècle dernier, en suivant les skètchs que les Frères donnaient lors des
différentes occasions pour incarner Dieu et ses messagers.
Au niveau de la jurisprudence, une
polémique a été déclenchée pour interdire l'incarnation des messagers de Dieu
et des sahabahs (les compagnons du Prophète) dans les oeuvres artistiques.
Plusieurs savants islamiques ont confirmé que ce fait était "haram"
(illicite) et interdit. Mais les Frères ne s'y intéressent pas et ne s'arrêtent
pas aux limites de ce qui est halal ou haram pour tout ce qui a trait à l'art,
contrairement aux autres groupes.
C'était donc une surprise de les voir incarner
le messager de Dieu, Ibrahim et son fils Ismaïl (paix sur eux) dans la pièce
"L'immolé". Une pièce qui leur a valu beaucoup de critiques acerbes,
dont ce que le Dr Saïd Abdel Azim, l'ancien membre de la daawa salafiste, a dit
en soulignant "qu'ils ne se sont pas suffis d'incarner les messagers de
Dieu, mais pis encore, ils ont permis à une personne d'incarner le rôle de Dieu
dans cette même pièce !"
Le Dr Abdel Azim souligne que toutes
les écoles de fiqh sont unanimes sur l'interdiction d'incarner un prophète ou
Dieu.
Au début de l'émergence du théâtre des
Frères, les femmes n'y avaient pas de rôle. Plus tard, la troupe a approuvé
l'adhésion de certains éléments féminins. La pièce "Abdel Rahmane
Al-Nasser" est la première pièce qui introduit des artistes femmes
fameuses comme Zouzou Nabil, Rafi'a Al-Chal, Naïma Wasfi. La vedette
"Malak" (c'est le nom artistique de l'artiste Zeinab Mohamed Ahmed
Al-Guendy, née en 1902 au Caire et décédée en 1983) a demandé à Abdel Rahmane
Al-Banna de lui écrire une pièce de théâtre. Elle a joué un rôle dans la pièce
"Saadi" sur son théâtre "Opéra Malak". Cette affaire a été
vivement critiquée par l'Association légitime et Al-Azhar parce que ce fait a
été considéré comme une violation à la religion qui mène à la prolifération du
vice et de la corruption. Les Frères ont toujours fait la sourde oreille.
Dans son livre "Les mutations au
sein des Frères musulmans" (page 88), Hossam Tammam dit : "Des femmes
ont participé à ce théâtre. Elles étaient toutes de fameuses vedettes du
théâtre égyptien, dont à leur tête Fatma Rochdi. Les représentations de ce
théâtre étaient données dans des lieux connus comme le théâtre de l'Opéra. La
gestion du théâtre était assurée par des éléments non-Frères et le responsable
de la propagande était un chrétien."
Le théâtre des Frères a présenté des
stars éminentes dans ce domaine, comme Mohamed Al-Sabae, Abdel Badi'e Al-Arabi,
Mahmoud El-Méligui, Serag Mounir, Ibrahim Al-Chami, Abdel Monem Madbouli, ainsi
que Chafiq Nour Eddine, Saad Ardach, Hamdi Gheith et Addallah Gheith.
Entre Al-Banna et Anwar Wagdi
Concernant la relation entre Al-Banna
et les artistes, Téléma souligne dans son livre "Hassan Al-Banna et
l'expérience de l'art" (page 39), citant le dirigeant Frère Mahmoud Assaf
: "Al-Banna a rencontré Anwar Wagdi par pure coïncidence un jour dans une
des banques. Il lui a dit : cher Anwar, vous n'êtes pas des mécréants ou des
désobéissants à cause de votre métier, parce que l'art du cinéma et du théâtre
n'est pas illicite en soi, il l'est s'il traite des sujets illicites. Vous
pouvez, vous et vos collègues,
présenter un grand service à l'islam si vous travaillez à produire un film ou
une pièce de théâtre qui appelle aux bonnes éthiques. Vous serez là capables de
faire propager la daawa islamique, plus que les prêcheurs et les imams des
mosquées.
Tamam a également souligné dans son
livre "Les mutations au sein des Frères musulmans" (page 88) que des
discussions sont ouvertes autour des éthiques des Frères qui ne sont pas
écrites, et qui jettent la lumière sur les tentatives de Hassan Al-Banna de
faire son entrée dans le domaine du cinéma, avec l'aide de certaines stars à
l'époque qui étaient connues pour leurs penchants religieux, comme Hussein
Sedki. Mais Tamam revient sur ses paroles et dit que la relation entre Al-Banna
et Sedki n'était pas historiquement confirmée et avait débouché sur rien.
Les sujets autour de Hassan Al-Banna et
sa relation avec l'art ne se limitent uniquement pas tout simplement aux
chants, aux skètchs ou aux pièces de théâtre, mais l'on sait qu'il appuyait la
peinture, la photographie et la caricature. Il a ordonné de combattre, par la
caricature, la polarisation partisane surgissant en Egypte, l'occupation
étrangère et les principes destructifs. Il a considéré ces caricatures comme
une sorte de djihad (combat), comme c'est inscrit dans le livre "Hassan
Al-Banna et l'expérience de l'art" (page 47).