Les causes de l’échec d’al-Qaeda à dominer la Syrie
Les groupes extrémistes et les organisations terroristes
présentes en Syrie ont subi des pertes successives suite à leur encerclement et
au resserrement de l’étau autour d’eux du fait de l’intensité des coups qui
leur ont été portés par des parties aussi diverses que : le régime syrien,
l’Armée syrienne libre ou la Turquie qui mène l’opération Bouclier de l’Euphrate
pour affaiblir les éléments kurdes. C’est ainsi qu’ils ont dû revoir leurs
calculs et se sont retrouvés dans une impasse stratégique pénible qui les a
contraints à prendre la décision de l’opération connue sous le nom de
« rupture des liens » qui a démenti les allégations des terroristes
relatives à la création d’un Etat islamique sur un vaste territoire.
Cette impasse stratégique dans laquelle se trouvent
les organisations terroristes, les divergences actuelles entre leurs chefs et
la dispersion de leurs éléments dans nombre de pays ont eu pour conséquence une
prise de conscience du grave danger qu’elles représentent pour la sécurité du
monde et de l’Europe en particulier, ce qui a poussé l’opinion publique
occidentale dans son ensemble à chercher à mieux comprendre le contexte général
des changements qui ont affecté ces organisations, en particulier après que les
complications politiques et sécuritaires en Syrie aient atteint leur paroxysme.
C’est ainsi que le chercheur américain Charles
Lister, directeur du programme de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme à
l’Institut du Moyen-Orient basé dans la capitale Washington, a préparé une
étude sous le titre : « Comment l’organisation al-Qaeda a-t-elle
perdu sa domination en Syrie : récit de l’intérieur », dans laquelle
il tente d’identifier les changements survenus dans les liens entre les
organisations terroristes apparues durant les deux dernières décennies, et
d’analyser les tentatives de l’organisation al-Qaeda pour apparaître comme un
mouvement djihadiste avec une base populaire, en montrant comment
l’organisation avait échoué à réaliser ce but à cause de l’évolution des
événements et de leurs complications.
L’étude affirme que l’échec de l’organisation al-Qaeda
dans ses tentatives d’intégration durant les dernières années a nui à
l’organisation en termes d’allégeance et de rattachement, et cela s’est
manifesté au sein du Front d’al-Nusra dont les chefs ont tenté à plusieurs
reprises de rompre les liens avec al-Qaeda, et à leur tête Sâlih al-Hamawi
expulsé de l’organisation en juillet 2014, à cause de son adoption de ce qui
est connu sous le nom de « vision progressiste exagérée », et cela
s’applique à ‘Abdallah as-Sindi. En effet, tous deux considéraient que le temps
était venu de rompre les liens avec al-Qaeda et de se concentrer sur la
situation interne de la Syrie loin des contraintes imposées par l’organisation
internationale.
C’est Abou
Mohammad al-Julani, chef du groupe Tahrîr ach-Châm (Libération de la Syrie), qui
a commencé, avec un certain nombre de responsables importants en dehors du
territoire syrien, à véritablement tenter de rompre les liens (avec al-Qaeda)
en se lançant dans des négociations, en compagnie de ‘Issâm Mohammad Tâhir
al-Barqâwî surnommé « Abou Mohammad al-Maqdissi », et de nombre de
hauts responsables de l’organisation al-Qaeda en Syrie, parmi lesquels
‘Abdallah Mohammad Ragab ‘Abdel Rahmân surnommé « Aboul Khayr
al-Masriy », qui est un djihadiste égyptien entretenant des relations
étroites avec az-Zawâhirî, Khâlid Mustapha Khalîfa al-‘Aruri, surnommé
« Aboul Qassâm », et Ahmad Salâma Mabrûk, surnommé « Aboul
Farag ».
Accord total sur l’initiative
Et de fait, l’idée de « rupture des liens »
avec l’organisation al-Qaeda fut discutée lors d’une réunion élargie du conseil
consultatif du Front d’an-Nusra qui s’est tenue le 23 juillet 2016, et qui
s’est conclue par l’accord d’un certain nombre de dirigeants sur l’idée. Et
Aboul-Khayr al-Masriy a annoncé dans un communiqué diffusé dans les médias par
l’organisation le 28 juillet 2016, soit cinq jours après la réunion, son accord
total sur cette initiative.
Et dans une séquence vidéo unique en son genre,
az-Zawâhirî a affirmé la nécessité de sacrifier les liens organisationnels si
la situation l’exigeait, ce qui signifiait alors que le chef de l’organisation al-Qaeda
avait accepté l’idée de la séparation. Cela fut suivi par l’apparition
d’al-Julani, de ‘Atûn et d’Aboul-Farag dans une séquence vidéo, qui révéla pour
la première fois le visage d’al-Julani, et qui annonça la dissolution du Front
d’an-Nusra et la création du Fath ach-Châm (Conquête de la Syrie), ainsi que
les efforts consentis pour la formation d’une instance unie en Syrie. Cela fut
suivi par l’annonce par le porte-parole de l’organisation de la rupture totale
des liens avec al-Qaeda en se concentrant dans l’avenir sur la situation
intérieure de la Syrie.
Or, bien que les choses en soient arrivées là,
l’initiative de la séparation ne fut pas bien accueillie par nombre de
dirigeants de l’organisation come Iyâd at-Tûbâsî, surnommé « Abou Glibîb
al-Ordoniy », ex-assistant d’Abou Mus’ab az-Zarqâwî, qui démissionna en
août 2016, pour protester contre la rupture des liens avec al-Qaeda.
C’est ce que firent également deux autres chefs de
l’organisation : Bilâl Kharîssat, surnommé « Abou Khadîja
al-Ordoniy », responsable religieux à Ansâr al-Firqân et Abou Hâjir al-Ordoniy
qui rejoignit le Front d’an-Nusra au début de 2012. Sâmî al-‘Arîdî, dirigeant
au Front d’an-Nusra présenta aussi sa démission mais il refusa d’assumer aucune
responsabilité, et il fut suivi en cela par 11 autres dirigeants d’an-Nusra.
Et à la fin septembre 2016, Ayman az-Zawâhirî
exprima dans un message intitulé « Nous les combattrons » sa colère
face à l’état actuel des choses, indiquant que cette initiative allait conduire
à davantage de divisions. Il affirma que la « rupture des liens » ne
devrait pas se produire avant la création de l’Etat islamique et que jusqu’à
cet événement, une telle décision devait obtenir l’accord de l’ensemble du
« Conseil consultatif » dans l’organisation al-Qaeda.
Durant cette période, se manifesta le rôle de la
connexion avec l’Iran, à travers des ex-responsables d’al-Qaeda de haut niveau
résidant à Téhéran, comme Salâh Zîdân,
surnommé « Sayf al-‘Adl », ou ‘Abdallah Ahmad ‘Abdallah, surnommé
« Abou Mohammad al-Masriy », qui refusa l’initiative de rupture des
liens avec al-Qaeda. Et la démission d’Abou Glibîb conduisit à certaines
tensions sur le terrain, car il entreprit de former un groupe allié à al-Qaeda
dans le but de porter préjudice à l’autorité d’al-Julani. Il tenta de retourner
en Syrie pour superviser des activités de coordination liées au transport des
membres d’al-Qaeda du sud de la Syrie jusqu’à la ville d’Edlib pour s’opposer à
al-Julani, et là, la présence d’Abou Glibîb constitua un obstacle dressé face à
al-Julani.
Le chercheur américain Charles Lister dans son
étude poursuit en étudiant l’avenir de l’idée de rupture des liens du
Front d’an-Nusra avec l’organisation al-Qaeda et en éclairant les facteurs les
plus importants ayant conduit à cette initiative. L’étude affirme ainsi que
l’implication d’az-Zawâhirî dans l’action armée en Syrie a été à son tour un
moment décisif dans le cours des événements, et c’est ce qui a expliqué le
degré de la scission au sein du « mouvement djihadiste
international » à cause de la complication des événements en Syrie.
Cette implication a été accompagnée par une
dispersion du soutien aux organisations extrémistes de la part des chefs
historiques comme Ossama al-‘Arîdî, ou Abou Glibîb, surtout étant donné leur
tendance à mondialiser le « mouvement djihadiste international »,
d’une part, tandis qu’un autre courant, dirigé par Mayssir ben ‘Ali al-Jaboûr
al-Jaboûrî, surnommé « Abou Mariâ al-Qahtani », s’accrochait à la
nécessité de se replier sur un cadre local. Quant au courant dirigé par
al-Julani, il choisissait une solution médiane qui voulait unir le mouvement
aux niveaux local et extérieur.
Les négociations avec la Turquie
L’étude fait remarquer qu’al-Julani n’a pas tiré
profit de cette scission, car sa position au nord-ouest de la Syrie est apparue
plus risquée. En effet, après avoir tenté de négocier avec la Turquie en
octobre 2017, pour protéger sa position dans le cas de l’entrée des forces
turques dans Edlib, l’accord qui résulta des efforts de médiation entrepris
entre décembre 2017 et octobre 2018 ne dura pas longtemps, ce qui conduisit à
son tour à une complication de la situation et à une multiplication des menaces
adressées à l’opération de « lutte contre le terrorisme », et les « terroristes »
ont continué à dominer la région avec une armée de 1200 combattants.
Ces évolutions se sont reflétées à leur tour sur
les efforts idéologiques relatifs à la nécessité du combat, ce qui a nui au
sentiment commun d’une identité interne, et a affaibli ces factions également.
Face à cette situation et pour encourager au combat, et que les combattants
n’hésitent pas à combattre leurs camarades du Djihad, al-Julani a fait appel à
certaines personnalités proches du Conseil consultatif pour justifier le combat
contre les autres factions djihadistes. Et en juillet 2007, « Fath
ach-Châm » est devenue la faction la plus forte dominant le nord-ouest de
la Syrie, parallèlement au recul du rôle des Ahrâr ach-Châm qui élurent en
octobre un nouveau chef, Hassan Soufan.
Cependant, une lecture attentive de l’étude du
chercheur américain montre qu’il a négligé le rôle de l’Occident dans les
changements survenus dans la structure des organisations terroristes, et dans leur
dynamique. Egalement, elle s’est contentée d’aborder la dynamique du processus
de « sécession » du Front d’an-Nusra d’avec l’organisation al-Qaeda, et
la réaction des opposants à cette initiative, sans analyser l’environnement de
ces organisations et le soutien de certaines forces régionales à nombre de
factions armées liées à ces forces par des intérêts communs.
A titre d’exemple, la Turquie a été la dernière
porte de passage de tous ceux qui combattaient dans les rangs des terroristes,
selon les aveux de la plupart de ceux qui ont été arrêtés parmi les combattants
de toutes les factions de ces organisations armées. De même, nombre de rapports
internationaux – dont certains ont été mentionnés par de grands journaux comme
le Times américain – ont révélé le rôle de certains services de renseignements
occidentaux pour faciliter l’opération de « rupture des liens », ce
qui fait de cette étude une tentative d’analyser la situation de l’extérieur,
sans se perdre dans les détails, et il sera possible d’y recourir dans
l’avenir.