Des clichés satellites montrent la destruction de mosquées dans le Xinjiang
Au nombre des pertes les plus tragiques figure le sanctuaire de l’Imam Asim, un ensemble de bâtiments qui constituait un lieu de pèlerinage en bordure du désert de Taklamakan. Réduits à l’état de ruines, ses bâtiments entouraient une tombe abritant les restes sacrés d’un guerrier du VIIIe siècle, qui subsiste désormais seule, précise le journal londonien. La mosquée Yutian Aitika, près de la ville de Hotan, qui datait du XIIIe siècle et réunissait des fidèles pour des festivals islamiques, a également été en partie anéantie, selon la même source. De surcroît, neuf autres bâtiments décrits par d’anciens habitants du Xinjiang comme des mosquées, mais qui ne comportaient pas d’éléments visibles permettant de les identifier comme telles, paraissent aussi avoir été démolis.
Des militants et des chercheurs estimaient déjà que les autorités chinoises détruisaient des mosquées dans cette région située aux confins de l’Asie centrale. Mais jusqu’à présent, ces assauts avaient été difficiles à confirmer, en raison des lacunes dans le recensement de ces sites, et de la surveillance exercée par la police locale sur les journalistes et les chercheurs, rappelle The Guardian.
Jusqu’à 1,5 million de musulmans envoyés dans des camps de «rééducation» idéologique
Selon certains experts, ces atteintes à des lieux historiques sont une preuve supplémentaire de la volonté croissante des autorités d’éliminer les marqueurs clés de l’identité religieuse et culturelle ouïgoure pour officiellement lutter contre l’extrémisme. Défendue depuis quelques années, cette approche, précisent-ils, vise une assimilation bien plus forcée que par le passé des musulmans du Xinjiang, destinés à adopter la culture et le mode de vie des Han, l’ethnie majoritaire.
Pékin nie de telles pratiques, ainsi que les destructions de mosquées, mais ne cache pas sa volonté de «siniser» les religions afin qu’elles se conforment mieux à la «société socialiste» chinoise. La pression est particulièrement forte sur celles qui, comme l’islam et le christianisme, ont des liens avec l’étranger.
Le gouvernement chinois affirme depuis plusieurs années faire face à une menace croissante de l’islamisme au Xinjiang, où vivent quelque 14 millions de musulmans, dont plus de 11 millions d’Ouïgours. Survenue à partir de 2009, la vague d’attaques meurtrières imputée par Pékin à des «islamistes» et des «séparatistes» l’a incité à considérablement renforcer son dispositif sécuritaire ces dernières années.
Jusqu’à 1,5 million de musulmans - principalement des Ouïgours - ont ainsi été envoyés dans des camps de «rééducation» idéologique depuis 2017, selon les dernières estimations du chercheur allemand Adrian Zenz. Pékin a réfuté les évaluations précédentes (jusqu’à un million de détenus) et, face à l’indignation d’une partie de la communauté internationale, a adopté depuis plusieurs mois une stratégie de communication visant à rassurer. La Chine présente ces lieux comme des «centres éducatifs et de formation professionnelle» voués à combattre les racines de «l’extrémisme» et du «séparatisme» et à aider les «stagiaires» à trouver un travail. Mais d’anciens détenus décrivent un véritable lavage de cerveaux, dans des lieux ressemblant à des prisons.
Pour repérer des personnes suspectées de radicalisation - et donc susceptibles d’être envoyées dans ces camps, le pouvoir chinois a considérablement renforcé et sophistiqué son système de surveillance. Les policiers utilisent notamment une application mobile - reliée à une vaste plate-forme informatique - pour collecter des données personnelles sur les musulmans du Xinjiang et signaler des individus potentiellement menaçants, dénonce l’ONG Human Rights Watch (HRW) dans un récent rapport. Selon cette étude, les autorités pistent 36 catégories de conduites jugées suspectes. Parmi celles-ci, le fait d’avoir «peu d’interactions sociales» avec ses voisins, de cesser d’utiliser son smartphone, de réunir de l’argent «avec enthousiasme» pour des mosquées, ou d’utiliser des quantités «anormales d’électricité».
«Pour la première fois, nos recherches démontrent que la police du Xinjiang recueille illégalement des informations sur des habitants même quand leurs activités sont tout à fait légales, afin de prendre des mesures contre certains d’entre eux», insiste Maya Wang, spécialiste de la Chine pour HRW. L’application signale par ailleurs aux responsables les individus qui se sont rendus à l’étranger pour une durée jugée excessive, puis les invite à interroger les «retardataires». Sur la base de «critères généraux et peu valides, le système génère des listes d’individus à évaluer par les fonctionnaires en vue de leur détention», résume HRW, qui fustige un «cauchemar dystopique» dans cette région.