Publié par CEMO Centre - Paris
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Al-Tabligh wal Da’wah… Le passage sûr vers la violence

samedi 16/juin/2018 - 09:10
La Reference
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Abdoul Hadi Rabie

 

Al-Tabligh wal Da’wah est répertorié comme un groupe de prédication et d'exhortation, qui s’adresse aux musulmans et aux non-musulmans, d'une manière simple et abordable, loin des divergences idéologiques, jurisprudentielles et  politiques. C’est du moins ce qu’affirment les responsables du groupe. Leur but : appeler les gens à un Islam « véridique » plutôt que de changer les régimes politiques et d'établir ce qu'on appelle « l'Etat islamique ».

Le groupe a une large diffusion et compte environ 85 millions de membres dans le monde. Il organise chaque année un grand rassemblement au Bangladesh, auquel assistent près de trois millions de personnes. C’est le plus grand rassemblement de musulmans au monde, après celui du pèlerinage.

Le groupe est cependant accusé d’adopter la pensée takfirie et de servir d’incubateur aux autres groupes islamistes, comme les Frères musulmans, le salafisme quiétiste ou scientifique (Al-Salafiyya Al-‘ilmiyya), qui prône une islamisation par le bas de la société, en privilégiant la prédication et l’éducation, et le salafisme djihadiste, apparu au début des années 90 et qui adopte le djihad (guerre sainte) comme moyen de changer les sociétés.

Le groupe Al-Tabligh wal Da’wah a été fondé en 1920 par Muhammad Elias Alqandahlawy (1885-1944), né au village indien de Qandahla. Il s’agit de l’un des plus anciens groupes islamiques au monde, ayant précédé la confrérie des Frères musulmans, (fondée en 1928). Al-Tabligh wal Da’wah possède un centre principal à Delhi en Inde, mais la direction du groupe se trouve au Pakistan. Mohamed Elias a dirigé le groupe jusqu'à sa mort, et son fils Mohamed Yusuf lui a succédé.

Le groupe s’est propagé rapidement en Inde. Il s’appuie sur deux principes fondamentaux : appeler à l’Islam ceux qui n’ont jamais reçu la Da’wah (appel à l’Islam) parmi les non musulmans, et exhorter les musulmans et les inciter à la prière qui est le pilier de la religion musulmane.

Après l’Inde, le groupe prend pied au Pakistan, au Bangladesh et dans plusieurs pays voisins du sous-continent indien. Il se dirige ensuite vers le monde musulman et est reçu par le roi Abdel Aziz Al-Saoud (1876- 1953), fondateur de l'Arabie Saoudite, qui légitimise son existence. Le roi appelle le cheikh Mohamed ben Ibrahim Al-Cheikh (1893 - 1969 Ap Jc), responsable des affaires de la Fatwa en Arabie Saoudite, à le soutenir.

Les cadres du groupe se dirigent ensuite vers l'Egypte et l'Afrique du Nord à partir de 1951, et se propagent dans la société égyptienne. Al-Tabligh wal Da’wah occupe alors le deuxième rang derrière les salafistes, en ce qui a trait au nombre de membres. Il compte en Egypte plus de 250 mille membres affiliés.

Le groupe a été parrainé en Egypte par Ibrahim Ezzat, un prédicateur égyptien de Haute-Egypte (1938 -1983). Il a fondé un centre dans la région de Tamouh dans le gouvernorat de Guizeh. Ezzat était de tendance salafiste et le groupe a subi son influence.

Ezzat, la porte vers le fondamentalisme

La majorité des membres affiliés aux groupes djihadistes ont été affectés par la pensée de Ezzat. Ses chants religieux ont été repris par les groupes djihadistes comme Malhamet Al-Da’wah (l’épopée de la Da’wah), Allahou Akbar (Allah est le plus Grand), Al-Ro’b Yasbiq Al-Khota (la terreur précède nos pas) chantées par les syriens Abou Mazen et Abou Rateb, et d'autres chants djihadistes encore.

Les membres d’Al-Tabligh wal Da’wah dans le monde ont subi l’influence des Tariqas soufies, comme la Gachtéya, qui est l'une des voies soufies les plus répandues dans le sous-continent indien (Bangladesh, Bhoutan, Inde, Népal et Pakistan). Son fondateur, surnommé le « Soleil du Royaume d'Inde », cheikh Ahmed Ibdal Al-Gachti est né en 537 de l’hégire dans la ville de Gacht dans la province iranienne de Khorasan. Il est mort en 633 de l’hégire. Les membres d’Al-Tabligh wal Da’wah manifestent un grand respect pour les grands imams soufis et leurs méthodes dans l'éducation et l'orientation. Certaines études suggèrent qu'ils ont emprunté leurs idées au groupe Al-Nour en Turquie, fondée par Said Nursi en 1896.

Al-Tabligh wal Da'wah utilise essentiellement une méthode douce et simple, pour attirer les personnes qui, de leur point de vue, se sont éloignées de la religion, et qui fréquentent les cafés, les clubs, les cinémas et les rues. Objectif : les placer dans un environnement religieux, dans les limites de temps définies par le groupe, et ce grâce à l’Itikaf (retraite spirituelle) dans les mosquées trois jours par mois, 40 jours par an, et quatre mois dans la vie.

Le groupe Al-Tabligh wal Da’wah travaille selon des règles morales et éthiques bien définies, à propos desquelles les membres du groupe se sont accordés. Ces règles ne sont pas écrites mais transmises de génération à génération. Parmi ces règles :

Lorsqu’ils font la da’waa, ils nomment un émir. Ils n’ont pas de fonctions déterminées ni d’emplois permanents. Lorsqu’ils entrent dans un pays, un groupe d'entre eux se donne pour mission d’appeler la population à l’Islam.

Ils ne séjournent pas dans les mosquées, et ne se font jamais inviter chez les autres. Chacun d'entre eux se dote de quelques provisions, d’une literie simple et d’un peu d'argent, et assume lui-même ses dépenses. L'austérité est donc de mise. Le groupe sort ensuite pour appeler les gens à écouter le sermon ou la « déclaration » comme ils l'appellent.

Deux faces d'une même pièce

Bien que le groupe ait souvent répété « ne pas recourir à la violence » et ne pas « appeler à des changements politiques », beaucoup de ses membres entretiennent des relations avec les militants djihadistes, surtout en Egypte. Ainsi, Al-Tabligh wal Da’waa est devenu pour de nombreux jeunes le « passage sûr » vers les mouvements islamistes armés. Une grande enquête effectuée après l'assassinat de l’ancien président égyptien, Anouar Sadate, lors d’un défilé militaire le 6 octobre 1981 au Caire, a montré que beaucoup de militants du djihad ont commencé leur engagement religieux à travers Al-Tabligh wal Da’wah. C’est le cas notamment de Aboud Al-Zomor, l’un des plus célèbres dirigeants du Jihad.

Ibrahim Ezzat, aurait laissé entendre à Mohamed Abdel Salam Farag, idéologue du Jihad islamique égyptien, auteur de «L’obligation négligée », et premier accusé dans l'assassinat du président Anouar Sadate, qu’il croyait aux principes du djihad, comme cela a été prouvé.

Cependant, ne pouvant pas rejoindre l'organisation pour plusieurs raisons, il aurait exprimé à Faraj sa disposition à recruter secrètement et individuellement les membres d’Al-Tabligh wal Da’wah pour travailler dans les rangs du djihad. Il aurait dit textuellement comme cela a été prouvé : « Je vous amène les gens de la rue à la mosquée et vous faites le reste ».

Absent depuis quelque temps de la scène surtout en Egypte, le groupe Al-Tabligh wal Da’wah se bat pour sa survie et réapparait dans la rue égyptienne fin 2017, devant les cinémas du centre-ville du Caire. Les autorités égyptiennes, représentées par le secteur de la sécurité nationale, ont convoqué un certain nombre de ses dirigeants, pour enquêter sur la prolifération du groupe.

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