La nouvelle résurrection de l’organisation terroriste Daech
Le terme
« résurrection » soulève souvent de nombreuses interrogations, qui
varient dans leur contenu et leur quantité, selon qu’il s’applique à un projet,
une institution, une idée ou une organisation. Et la première question qui se
pose est toujours : « Comment la création de cette entité a-t-elle eu
lieu ? Car les modalités de sa résurrection dépendront de la façon dont
elle a été créée.
Cela est
en particulier le cas avec l’organisation Daech, fondée en 2004, et ressuscitée
en 2013, et il semble qu’elle se prépare à une nouvelle résurrection dans les
années à venir, et à chaque nouvelle résurrection, l’organisation recherche les
conditions et l’environnement de la première création, en termes de
confessionnalisme, de corruption ou d’anarchie.
Et après
que le « rêve de la libération de la domination de Daech soit devenu une
réalité palpable », selon la déclaration du premier ministre irakien
Haydar Al-Abadi, le premier décembre 2017, il s’est avéré qu’il ne s’agissait
en fait que d’une libération incomplète.
Certes,
les forces irakiennes ont chassé les éléments de Daech de leurs derniers
bastions, peu nombreux, et ont récupéré, avec l’aide de la coalition
internationale, formée de 80 pays et conduite par les Etats-Unis, toutes les
terres que contrôlait l’organisation en Irak, ainsi que les principales villes
qu’elle occupait en Syrie, de telle sorte que ce qui lui restait ne suffisait
pas pour qu’elle puisse se donner le nom d’ « Etat ». Cependant,
Daech conserve en main de nombreuses cartes, comme les attaques des loups
solitaires, les combattants étrangers rentrant chez eux en provenance d’Irak et
de Syrie, ainsi que les branches de
l’organisation dans un grand nombre de pays de la région.
Or, le
scénario le plus dangereux reste celui de « la résurrection de
l’organisation en Syrie et en Irak », qui a été planifiée depuis 2016 au
moins, et à laquelle s’est préparée l’organisation bien avant la perte de la
ville de Raqqa en octobre 2017, surtout que Daech a « une preuve probante
et réelle » de la manière dont une organisation moribonde peut
ressusciter. Car il y a seulement quelques années, elle est parvenue à revivre
après une défaite manifeste, et l’histoire de cette résurrection devrait servir
d’avertissement pour ce qui pourrait se passer maintenant.
C’est ce
que discute Patrick Johnston, professeur de sciences politiques et spécialiste
du terrorisme, dans un article intitulé « L’organisation Daech va-t-elle
se redresser ? », et publié sur le site de la Rand Corporation –
institution américaine de recherche à but non lucratif et apolitique, qui vise
à élaborer des solutions aux défis politiques généraux.
La
première résurrection de l’organisation
Ce que
l’on appelle « l’organisation Daech » aujourd’hui a été fondé
par Abou Mus’ab Al-Zarqawi en 2003, et a changé de noms plusieurs fois durant
ces années. La forme de l’organisation également a changé en fonction des
besoins : ainsi, elle est passée d’un mouvement djihadiste souterrain à
ses débuts à ce qui ressemblait plutôt à une guérilla, puis d’un quasi-Etat à
« l’Etat du califat » qui s’est étendu au niveau régional à travers
l’Irak et la Syrie, à une vitesse fulgurante.
Cependant,
ce changement n’a pas été linéaire, et l’organisation a interagi avec son
environnement, pour réaliser son but final, à savoir la « renaissance du
califat islamique » et après avoir perdu ses deux capitales jumelles
(Mossoul et Raqqa), il semble que Daech s’adapte à nouveau même si ses
objectifs stratégiques restent les mêmes.
Dans leurs
dernières déclarations, les dirigeants de Daech ont établi un parallèle clair
entre sa situation actuelle et ses graves déboires en 2008, lorsqu’ils
recoururent à la guérilla et au terrorisme, préparant ainsi la voie à la prise de
contrôle dramatique de vastes territoires de Syrie et d’Irak, cinq ans plus
tard environ.
Les
documents internes et administratifs de l’organisation, trouvés en Irak,
montrent qu’à la suite de l’intensification de la campagne militaire menée
contre eux au centre et à l’ouest de l’Irak en 2008, les membres de
l’organisation ont fui pour aller se réfugier à Mossoul et dans ses environs,
qu’ils ont utilisée comme une base pour organiser, recruter et financer les
cellules dans toutes les régions d’Irak.
Dans le
même temps, les dirigeants de Daech ont déployé les éléments de leur appareil
de sécurité et de renseignements (l’un des plus importants appareils de Daech
responsables de la collecte des informations de renseignements à l’intérieur et
à l’extérieur des régions contrôlées par l’organisation, ainsi que de la
planification des attaques au niveau international), et cela pour assassiner
les opposants politiques sunnites en particulier au niveau local, qu’il
s’agisse de citoyens irakiens ou de policiers, ayant menacé la sécurité des
opérations de l’organisation.
Ils ont
aussi cherché à entrer en contact avec les politiciens arabes sunnites dans la
région de Mossoul et à Bagdad, et à conclure un marché avec eux, aux termes
duquel l’organisation s’engageait à réduire sa violence contre les secteurs
économiques vitaux en échange d’un soutien politique et financier à
l’organisation.
Tous ces
éléments contribuèrent à réaliser un objectif essentiel, à savoir provoquer un
conflit entre sunnites et chiites et pousser un grand nombre de sunnites
irakiens à considérer Daech comme leur seul espoir. C’est ainsi qu’un appareil
de « sécurité » a effrayé ses concurrents locaux et a poussé les
chefs d’entreprises à contribuer à reconstruire les capacités de l’organisation,
tout en incitant le gouvernement irakien – dominé par les chiites – à exagérer
dans sa réponse à la menace terroriste sunnite, provoquant ainsi un nouvel
embrasement du conflit confessionnel qui avait aidé à la création de
l’organisation à ses débuts, lors de l’invasion américaine de l’Irak en 2003.
Puis se
produisirent les raids aériens irako-américaines visant les chefs de
l’organisation en 2010, et un nouveau chef fit son apparition, Abou Bakr
Al-Baghdadi, qui fit avancer cette stratégie de construction, et le travail
continua de façon souterraine, pour liquider les rivaux et reconstituer les
éléments de l’organisation et ses combattants, en les faisant sortir de prison.
Et lorsqu’éclatèrent les révoltes du printemps arabe, et que les troubles
civils augmentèrent en 2011 et 2012, l’organisation Daech se hâta d’envoyer des
agents en Syrie pour y fonder une nouvelle base d’opérations, et c’est ainsi
que commença l’étape de la prise de contrôle rapide par Daech de vastes
territoires équivalant à la superficie de la Grande-Bretagne.
La
résurrection
Maintenant,
après que la campagne menée par les Etats-Unis a réalisé son objectif
principal, Daech fait face à des défis sérieux en Irak et en Syrie, car il a
besoin de capacités militaires traditionnelles après la destruction de ses
unités militaires, à cause des conflits internes et des vagues de reddition.
Cependant,
Daech a déjà surmonté effectivement des défis semblables à la fin de la
première décennie du 21e siècle, et bien qu’il ait perdu la
quasi-totalité de ses territoires, il possède encore des cadres prêts à
réaliser ses buts, dont en particulier des éléments de son système de
« sécurité », et des responsables administratifs expérimentés, ainsi
que ce « ciment organisationnel et idéologique » qui maintient la
cohérence de l’organisation tout entière de son sommet à sa base, de telle
sorte qu’il n’y ait aucune perte de temps dans le passage du
« califat » régional au « terrorisme » et à
« l’insurrection ».
Cette
nouvelle campagne a commencé à porter ses fruits, et Daech a mené des attaques
réussies dans les régions dont la coalition internationale avait déjà annoncé
la libération comme Falouja ou Al-Ramadi, sans parler des autres régions dont
Daech n’avait pas pris le contrôle, même au faîte de sa gloire, comme Bagdad et
Dyali, et cela dans le but d’inciter le gouvernement irakien à liquider les
Arabes sunnites, en prenant en compte le fait que les Sunnites constituent
l’essentiel des recrues de Daech.
Lorsque le
califat fut proclamé en 2014, Daech indiqua que sa stratégie était celle de
« la survie et l’extension », qui est plus proche du
« rétablissement », car alors que certains combattants vont
poursuivre leur fuite d’Irak et de Syrie – soit en s’affiliant à des branches
de l’organisation en Asie et en Afrique, soit en retournant chez eux – d’autres
éléments vont rester dans le but d’exploiter les circonstances favorables au
terrorisme et à l’insurrection.
Et en Irak
en particulier, les réseaux de renseignements locaux dépendant de Daech lui
fournissent une bonne occasion de s’infiltrer à nouveau dans les zones
principales et d’agir secrètement. Le succès du processus de résurrection de
l’organisation en Irak et Syrie dépend de trois facteurs principaux : la
nature et la qualité du gouvernement et de la direction politique arabe dans
les régions sunnites ; la poursuite des politiques confessionnelles des
groupes chiites dans ces régions ; et la capacité des institutions à
commencer la reconstruction des zones dominées par les Sunnites et qui ont été détruites
par la guerre contre Daech.
En
Irak, la raison directe de la dernière apparition de Daech était un mélange de
corruption politique locale, de négligence et de discrimination blâmable de la
part du gouvernement national dominé par les chiites. En Syrie, il est probable
que les défis sécuritaires disparaissent à l’heure actuelle, étant donné que
nombre de combattants de Daech ont fui vers des abris sûrs dans le désert.
Cependant, si le vide sécuritaire revient, ce qui est fort probable étant donné
la complexité des forces engagées dans la guerre en Syrie, et que l’Alliance du
Kurdistan opposée à Daech commence à faire sécession, il est possible que
nombre de ces combattants reviennent rapidement.