La confrérie courtise l'élite de la pensée et de la littérature
Au cours de ses premières années, la Confrérie des Frères
musulmans (créée en 1928) et son fondateur et mentor, Hassan Al-Banna, ont
cherché, pour plusieurs raisons, à rallier les stars de la pensée et de la
littérature. Il y avait d’abord le désir d’Al-Banna d'attirer les amoureux des
lettres et de la poésie. Ensuite, il voulait donner à la Confrérie l’image d’un
groupe où fusionnent cultures et opinions, mais la plupart de ceux qui ont été
sollicités par le fondateur des Frères musulmans ont rejeté ses offres.
Au début de 1946, Al-Banna lance un appel à l’historien
égyptien, Ahmed Amin Al-Tabakh (1886-1956) de rejoindre la confrérie. Il écrit
un article intitulé « Lettre ouverte à M. Ahmed Amin » dans lequel il fait
l’éloge de ses écrits, et lui demande de rejoindre la confrérie, mais ce
dernier refuse et critique la manière des Frères musulmans de s’immiscer en
politique et de se laisser détourner de la prédication.
Dans son livre « Les événements qui ont fait
l'histoire » Mahmoud Abdel-Halim (1), explique comment Al-Banna a décrit le
poète et écrivain égyptien Mustafa Sadiq Rafii (1880-1937). « Al-Banna
comparait Al-Rafi à Hassân ibn Thabit, le poète du Prophète (paix soit sur lui)
», dit Abdel-Halim. Il a appelé le fondateur de la confrérie et ses dirigeants
à former rapidement d'autres poètes pour succéder à Al-Rafii.
« Al-Banna estimait beaucoup la littérature
d’Al-Rafii. Il le considérait comme le chef de file de la littérature
islamique, et voyait en lui le Hassân ibn Thabet de l'époque moderne. Il
retenait par cœur beaucoup de ses poésies et détenait ses livres », a
indiqué Abdel-Halim toujours dans son livre, selon la presse de la da’awah
(prédication) à l'époque du fondateur des Frères, Hassan Al-Banna. Abdel
Halim d’ajouter : « Monsieur le guide tenait à éduquer Khalifa Rafii, parce
que la da’wah islamique ne pouvait se dispenser d’une plume qui la défend dans
le monde de la littérature ».
Allégations des « mains purifiées »
Dans le livre Wahy Al-Qalam (Inspiration de la
plume) de l'écrivain égyptien, Mustafa Sadiq Rafii, on trouve une histoire
intitulée « les mains purifiées ». Les Frères affirment que certains
passages de cette histoire ont été supprimés, car Al-Rafii y fait l'éloge de la
confrérie. Il relate une histoire dont il a été lui-même témoin lors de la
prière du vendredi. Un groupe de jeunes se sont opposés à la manière de l’imam
de mener la Khotbah (sermon). Ils ont fait eux-mêmes le sermon, et ont
parlé de la Palestine et de l'occupation sioniste.
Al-Rafiin dit : « A la fin de la prière il y a eu des
remous parmi les fidèles. Un groupe de jeunes hommes a commencé à arrêter les
gens et à les sermonner. L’un d’eux est monté sur le minbar pour faire un sermon.
Il a parlé de la Palestine et expliqué comment les conditions de vie de la
population palestinienne avaient changé et la grande détresse dans laquelle se
trouvent les Palestiniens. Il a ensuite fait appel à Allah, et invité les gens
à faire don de leur argent à Dieu le Tout-Puissant. Ses compagnons avaient des
boîtes scellées, ils ont collecté quelques dirhams. Lorsque les cheikhs leur
ont demandé « Qui êtes-vous ? ». Ils répondirent: « Nous
sommes des Frères musulmans ».
Dans les années trente du siècle dernier, un jeune homme du
nom de Abdel-Moneim Khalaf commençait à se faire connaître. Il rédigeait des
articles dans le magazine littéraire hebdomadaire Le message littéraire.
Al-Banna a voulu rallier ce penseur et instrumentaliser sa pensée au service de
la confrérie. Khalaf avait déjà été orateur à l’Association des jeunes
musulmans (une association sociale de nature islamique à la création de
laquelle Al-Banna avait contribué en 1927).
Mahmoud Abdelhalim affirme que les crises par lesquelles
sont passés les Frères ont retardé l'adhésion de Khalaf. Une autre histoire,
qui pourrait être plus véridique, dit que Khalaf a refusé de se joindre à la
Confrérie. En examinant ses articles, nous constatons que c’est une
personnalité ouverte qui appelait à la réforme du discours religieux, et
prêchait le nationalisme arabe. Il a écrit des articles sur la nécessité
d'éliminer le racisme et de ne pas combattre ceux qui ont une doctrine
différente, ce qui est incompatible avec l'esprit des Frères.
Tentatives d'attirer de nouvelles recrues
Al-Banna avait compris le rôle des écrivains et des
prédicateurs. Ils attiraient les jeunes et cela garantissait à la Confrérie
l'afflux de nouveaux membres. L’un de ces jeunes était Ismaïl Hamdi, un
prédicateur originaire d’Alexandrie au nord-ouest du Delta. Al-Banna a
recommandé à ce qu’on lui porte une attention particulière, et qu’on le
présente sur la scène comme une nouvelle figure, à travers laquelle on peut
attirer les jeunes dans les mosquées.
Au cours de l'un de ses voyages en Haute-Egypte, Al-Banna
a pris Hamdi avec lui, et lui a demandé de diriger les jeunes à la prière du
soir, en prélude à une ascension ultérieure. Al-Banna a dit, à voix basse, à
Hamdi que le voyage avait été épuisant pour lui et ceux qui étaient avec lui.
Hamdi a alors décidé de lire de sourates courtes du Coran, par pitié du cheikh
fatigué et de ses invités.
Cependant, la réaction d’Al-Banna était inattendue. « Pourquoi
recourir à de sourates courtes? », l’interroge Al Banna. Et Hamdi de
répondre : « Votre Eminence avez dit que vous étiez fatigué et j'ai
donc décidé d’écourter la prière ». Al-Banna dit : « Mon frère,
le Prophète (paix et bénédictions d'Allah soient sur lui) a dit « Soulage
nous avec la prière O Bilal et il n’a pas dit soulage nous de la prière »,
exprimant ainsi son refus de l’attitude du jeune homme.
Al-Banna a essayé par tous les moyens de céder la place à
Hamdi, mais le déclin qu’a connu le groupe entre les années 1950 et 1960 l’a
empêché de réaliser son rêve.
(1) Membre du corps fondateur des Frères musulmans
(1917-1999 Ap. J.-C.), et premier historien de la Confrérie dans son ouvrage
encyclopédique « Les Frères musulmans, des événements qui ont fait l'histoire.
»
(2) Magazine culturel dirigé par l'écrivain égyptien
Ahmed Hassan Al-Zayat (1885-1968) en 1933. Il y a écrit des articles sur les
symboles de la littérature arabe de l'époque comme Al-Akkad, Sayyid Qutb, Ahmed
Amin, Mohamed Farid Abu Hadid, Ahmed Zaki, Mostafa Abdel Razek, Mostafa Sadeq
Al-Rafi'i, Taha Hussein, Mahmoud Mohammed Shaker et Al-Shabi.