Libye : les dessous d'une guerre sans issue
Les Libyens sont en ville. Dans les hôtels
étoilés de Gammarth et du Lac, le Laico au cœur de la capitale, on croise
anciens ministres, hommes d'influence, membres du GNA – le gouvernement de
Tripoli reconnu par la communauté internationale – et autres personnalités. Le
ministre des Affaires étrangères de l'Est libyen a tenté de tenir une
conférence de presse au Novotel de Tunis afin de faire le SAV de l'offensive
Haftar. Échaudées, les autorités tunisiennes ont interdit l'événement. Chacun
voulant vendre son récit, sa guerre, ses conquêtes, affirmer sa légitimité, la Tunisie est redevenue, à l'aune de ce nouveau foyer,
une terre de passage pour ONG, diplomates onusiens, intermédiaires, gens de
bonne volonté... Les internationaux se pressent autour du couffin libyen.
L'équilibre doucereux qui
prévalait en Libye, entre l'ouest et l'est, a volé en éclats le 4 avril. Vingt-deux jours après le début de
l'offensive Haftar sur Tripoli et l'Ouest, le bilan humain est
sévère : 278 morts, 1 332 blessés, selon l'OMS. Le nombre de déplacés se chiffre en dizaines de
milliers (37 000, selon les dernières sources). Quelque sept mille cinq
cents familles sont concernées. L'OIM évacue au compte-gouttes les migrants
retenus dans des centres de détention, plus de trois mille. Le cessez-le-feu
exigé par l'ONU, deux heures par jour, afin d'évacuer blessés et
dépouilles, n'a pas trouvé acquéreur.
L'enlisement
des combats autour de Tripoli
Ce que Haftar envisageait
comme un raid éclair sur la capitale se solde aujourd'hui par une opération
escargot laissant derrière elle cadavres et blessés graves. Off, un diplomate
de passage à Tunis, note que « Haftar s'imaginait être accueilli avec des
fleurs par les Tripolitains ». Il a également « dramatiquement
sous-estimé la résistance des forces du gouvernement d'union nationale et
surestimé ses propres troupes ». Résultat : un enlisement sanglant
aux conséquences « multidimensionnelles ». À l'intérieur du pays et
potentiellement à ses frontières, nombreuses : sept pays sont concernés,
le Maghreb, le Sahel. Sans omettre la guerre d'influence qui se joue dans les
pays du Golfe.
« Haftar a reçu des feux verts »
Le 4 avril, l'homme
qui tient l'Est annonce passer à l'attaque de Tripoli au nom d'une lutte contre
« le terrorisme ». Dans le message audio publié sur Facebook, la
guerre est promue sous un certain angle. Il n'est pas question de prise totale
du pouvoir. À plusieurs reprises, dans son fief, le maréchal a livré le fond de
sa pensée devant des dirigeants occidentaux : « les Frères musulmans sont
plus dangereux que l'État islamique. » Provoquant chez certains ministres
européens des interrogations quant à la rationalité du militaire. « Il
veut diriger la Libye et
pourchasser les Frères musulmans, voilà le topo », résume notre diplo. La
date de l'offensive laisse perplexe. António Guterres, le
secrétaire général de l'ONU, fait escale à Tripoli, puis à Benghazi afin
d'appuyer les efforts de Ghassan Salamé, son haut représentant pour la Libye.
Ce Libanais madré bataille depuis un an pour monter une conférence nationale
dans l'objectif de parvenir à des élections. Elles devaient se tenir fin avril.
« Haftar a accéléré par crainte que la conférence aboutisse à un résultat
et le marginalise », poursuit notre fin connaisseur de la partie d'échecs
qui se joue depuis 2011. Et il a « obtenu des feux verts, gris ou jaunes
de plusieurs de ses soutiens ». Le maréchal a rendu visite aux Émirats
arabes unis, sous le couvert de « soins médicaux », et à l'Arabie
saoudite. L'axe Abou Dhabi-Riyad mène une guerre d'influence contre le Qatar
depuis l'été 2017. Au-delà de Doha, les deux pétromonarchies veulent
mettre à terre les Frères musulmans. Haftar tient le même langage. En accusant
le GNA d'être soutenu par le Qatar et la Turquie, « il légitime son
offensive contre cette Tripoli qui lui résiste ». Les soupçons de
livraisons d'armes de part et d'autre fusent sans preuve. En Méditerranée, très
haut dans l'espace aérien, des Awacs sillonnent.