Reconstruire Notre-Dame : pour encourager les dons, une fiscalité avantageuse
Pour financer la reconstruction de Notre-Dame de Paris, des
personnalités et entreprises ont annoncé d'importants dons, encouragés par la
fiscalité française, qui permet aux mécènes de réduire fortement leurs impôts.
Au point de devenir injuste pour les petits contribuables ?
Au lendemain de l'incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris, les
promesses de dons d'entreprises et de personnalités pour financer sa
reconstruction atteignent plusieurs centaines de millions d'euros, à l'image de
François-Henri Pinault, président du groupe de luxe Kering (100 millions
d'euros), de l'homme d'affaires Bernard Arnault (200 millions d'euros), de
Total (100 millions) et de la famille Bettencourt-Meyers, actionnaire de
L'Oréal (200 millions).
De nombreux particuliers, associations et collectivités ont également annoncé leur participation à la "souscription nationale" voulue par Emmanuel Macron, afin de contribuer à ce chantier qui s'annonce long et difficile. Pour encourager ces dons, l'État a mis en place de longue date un traitement fiscal avantageux, qui n'est pas sans conséquence pour les finances publiques.
Quelles
déductions fiscales pour les dons ?
Depuis la loi Aillagon de 2003, les entreprises et les particuliers qui
investissent dans la culture ont droit à des réductions d'impôts. "Pour
les entreprises, la réduction d’impôt est égale à 60 % du montant du don
effectué en numéraire, en compétence ou en nature, et retenu dans la limite de
0,5 % du chiffre d’affaires H.T., avec la possibilité, en cas de dépassement de
ce plafond, de reporter l’excédent au titre des cinq exercices suivants",
indique le ministère de la Culture.
Pour les particuliers, "la réduction d'impôt est égale à 66 % des sommes versées, retenues dans la limite annuelle de 20 % du revenu imposable", et comme pour les entreprises, "si le plafond de 20 % des revenus est dépassé, le bénéfice de la réduction peut être reporté sur les 5 années suivantes", détaille le ministère.
Jusqu'à 90% des dons remboursés par la collectivité ?
Cette réduction fiscale peut même atteindre 90% lorsque le don concerne
l'achat de biens culturels considérés comme des "trésors nationaux"
ou présentant "un intérêt majeur pour le patrimoine national". La
remise est alors appliquée dans la limite de 50% de l'impôt dû par
l'entreprise. Mais ce taux de 90% ne peut en théorie pas s'appliquer à des
projets de restauration de grands monuments patrimoniaux, comme la reconstruction
de Notre-Dame, car il est limité aux objets "qui risquent de sortir du
territoire".
Il faut "que l'Etat décrète vite Notre-Dame 'Trésor national', de façon à ce que les dons faits pour sa reconstruction bénéficient de la réduction d'impôt de 90%", a malgré tout plaidé l'ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon, qui a donné son nom à la loi encadrant le mécénat, et qui travaille désormais comme conseiller culturel auprès de François Pinault, père de François-Henri Pinault et fondateur de Kering.
"Nous allons voir avec le gouvernement quel dispositif spécifique
nous mettons en oeuvre, mais bien évidemment l'Etat sera là auprès de tous nos
compatriotes pour reconstruire" et il "assumera ses
responsabilités", a affirmé sur France Inter le ministre de la Culture,
Franck Riester. Une source proche du dossier citée par l'AFP indique enfin que
des propositions ont été faites au président de la République mardi midi sur
cette question et que "cela impliquerait de changer la loi".
"A priori, les Français n’ont pas besoin de déduction fiscale pour donner pour Notre-Dame. Même les plus riches !", a affirmé dans Le Monde une source du ministère de l'Économie et des Finances. Gilles Carrez, député (LR) de la Commission des
finances, a également observé dans le quotidien qu'avec cette niche sur le mécénat, "c'est la collectivité publique qui va
prendre l'essentiel" des frais de reconstruction en charge, ajoutant que "c'est tout le problème de ce genre de dispositif : ça peut poser un problème budgétaire".
"Si on veut plus de justice fiscale, le mécénat n’est pas la meilleure des choses", abonde Joël Giraud, rapporteur (LREM) du budget, toujours dans Le Monde. "Les 300 millions de dons annoncés vont se traduire par 180 millions d’euros de réductions d’impôts à prélever sur les contribuables lambda", a ajouté dans un communiqué le député, qui s'était déjà opposé par le passé au dispositif français d'incitation au mécénat. Et il n'était pas le seul. Dans un rapport publié à l'automne, la Cour des comptes avait appelé à "mieux encadrer" le mécénat d'entreprise, en raison de son coût jugé excessif pour les finances publiques. Ce coût a été multiplié par dix en 15 ans, pour atteindre près de 900 millions d'euros par an, selon les magistrats financiers.