Le monde admire pour la première fois un trou noir
Un rond sombre au milieu d'un halo flamboyant : pour la première fois dans l'histoire de l'astronomie, une équipe de scientifiques a révélé mercredi la véritable image d'un trou noir.
C'est "une grande percée pour l?humanité!", s'est enthousiasmé depuis Bruxelles Carlos Moedas le commissaire européen chargé de la Recherche.
Présenté lors de six conférences de presse à travers le globe, le premier monstre cosmique à s'être laissé capturer a été débusqué au centre de la galaxie M87, à environ 50 millions d'années-lumière de la Terre.
"Une distance qu'on peine à s'imaginer", admet le chercheur français Frédéric Gueth, astronome du CNRS et directeur adjoint de l'Institut de radioastronomie millimétrique (IRAM), partenaire des recherches.
Depuis sa présentation, l?image est très commentée sur les réseaux sociaux, où de nombreux internautes ont vu dans le trou noir un donut, ou l??il du méchant du "Seigneur des anneaux", l?ignoble Sauron. "Il nous guette depuis des milliards d'années ce salaud", a tweeté @kaarlmarxx. "On va tous crever !", a lancé @z_trahm.
Les responsables de cette magnifique aventure scientifique: une collaboration internationale baptisée Event Horizon Telescope (EHT), qui regroupe une dizaine de radiotélescopes et d'observatoires répartis autour du globe, de l'Europe jusqu?au pôle sud, en passant par le Chili et Hawaï.
Combiner ces instruments comme s'ils étaient les petits fragments d'un miroir géant a permis aux astronomes de disposer, le temps de quelques observations, d'un télescope virtuel de la taille de la Terre, avec lequel "on pourrait lire, depuis New York, un journal ouvert à Paris", précise le chercheur.
- "jamais je n'aurais cru en voir un" -
L'image du trou noir, depuis si longtemps recherché, si souvent modélisé - et aussi fantasmé - fait l'objet de six articles publiés mercredi dans la revue Astrophysical Journal Letters. D'une dizaine de pages chacun, ils sont le fruit du travail d'environ 200 auteurs, de plus de 60 organismes scientifiques.
Si on parle de trous noirs depuis le XVIIIe siècle, aucun télescope n'avait encore réussi à en observer un, encore moins d'en capter le portrait.
"Jamais je n'aurais cru en voir un vrai de mon vivant", a déclaré à l'AFP l'astrophysicien CNRS, Jean-Pierre Luminet, auteur de la première simulation numérique d'un trou noir en 1979.
Un trou noir est un objet céleste qui possède une masse extrêmement importante dans un volume très petit. Comme si la terre était comprimée dans un dé à coudre. Ni la matière ni la lumière ne peuvent s'en échapper, quelle que soit la longueur d'onde. Revers de la médaille: ils sont invisibles.
Pour contourner ce handicap de taille, les astronomes ont donc cherché à observer le monstre par contraste, sur la matière qui l'entoure.
- fatigue, tension et bonheur -
La première observation groupée de l'EHT date du 5 avril 2017. Huit télescopes ont visé deux trous noirs: Sagittarius A* au centre de notre voie lactée et son congénère de la galaxie M87.
"Pour que tout fonctionne, il fallait que le temps soit clair partout sur le globe", raconte Pablo Torne de l'IRAM, qui se souvient d'un mélange de fatigue, de tension et de bonheur.
"Statistiquement les chances étaient vraiment maigres... et pourtant !", se remémore le chercheur qui a participé aux observations depuis la salle de contrôle du télescope de 30 mètres de Pico Veleta qui surplombe la Sierra nevada espagnole.
Trois autres observations suivront les 6, 10 et 11 avril.
Et ensuite ? Huit mois de stress! Lors de ce type d'opérations groupées, les observations se font à l'aveugle, les astronomes n'ont aucun moyen de savoir si cela a fonctionné.