Abdelrahim Ali fait une interview avec George Malbrunot Auteur du livre « Les papiers du Qatar »
Malbrunot révèle dans ce premier et audacieux entretien les secrets de son livre
, et comment il a obtenu les documents. Il
explique ce qui l’a surpris ... et comment le financement qatari a atteint 80%
de l'Europe. Il nous rapporte aussi ce que vont faire les autorités
françaises et qu’a dit Macron à Tamim.
Il annonce également un nouveau film documentaire sur le Qatar qui sera
diffusé en septembre.
Je me suis lié d’amitié avec le plus célèbre journaliste et écrivain du
Figaro, George Malbruno, et aussi avec le correspondant de Radio France
International, Christian Chesnot, depuis que je suis arrivé en France et crée
un centre de recherches à Paris.
Je les ai rencontrés il y a deux ans. Malbrunot a effectué deux entretiens
avec moi, et a participé à plusieurs séminaires. Il a de même publié plusieurs
articles dans le magazine que j’ai l’honneur de publier à Paris. Je l’ai invité à se rendre au Caire pour suivre
les dernières élections présidentielles. Il y est resté plus de deux semaines.
C'est un journaliste têtu qui ne recule pas devant les difficultés. Nous
nous sommes beaucoup rencontrés et nous nous sommes écoutés. Soudain, Malbrunot
et Chesnot ont disparu et sont revenus un an après, avec ce livre. Lorsque je
lui ai demandé pourquoi il ne s'était pas montré au cours de la récente
période, il a pointé livre qu’il tenait entre ses mains et qu’il m’a offert : «
Qatar Papers ».
Ensuite, nous avons eu l’entretien suivant.
A : C'est votre troisième livre, êtes-vous devenu un spécialiste du Qatar?
G : Au contraire, ce fut une coïncidence. J’ai publié le premier livre en
2013 avec mon confrère, Christian Chesnot, sur le Qatar, intitulé Qatar, les secrets du coffre-fort
(Michel Lafon, 2013), qui portait sur la manière dont le Qatar s'est développé
et est passé d'un petit pays formé d'un groupe de pêcheurs à un pays riche.
Puis, nous avons publié notre deuxième livre intitulé : Nos chers émirs
(Michel Lafon, 2016). Il ne concernait pas seulement le Qatar, mais la région
du Golfe en général et les relations qu’entretiennent certains princes avec les
islamistes. Puis il y a eu ce livre : « Qatar Charity ». Nos livres ne
sont pas dirigés contre le Qatar comme pourraient le croire certains, mais nous
essayons de comprendre comment ce petit émirat a obtenu tout ce succès.
Nous avons donc consacré notre troisième livre à Qatar Charity qui est une
organisation non gouvernementale opérant en Europe, et nous suivons de près ses
activités dans le financement des institutions religieuses en Europe.
A: Pensez-vous que les tentatives du Qatar de répandre son idéologie dans
les pays européens, de s’ingérer dans les affaires de ces pays et de soutenir
les organisations extrémistes sont un succès pour ce petit émirat ?
G : Non ce n’est pas ce que je voulais dire. Ce que j’entends par histoire
à succès c’est la différence entre ce qu’était le Qatar il y a 40 ans et ce
qu’il est aujourd’hui. Le Qatar est une histoire à succès tout comme Dubaï. Les
financements effectués à travers la fondation Qatar Charity sont tous légaux.
Ce qui est dangereux cependant, c’est que ces financements sont occultes et il
y a beaucoup de suspicions à leur sujet. Nous avons travaillé sur cette
question en particulier, mais nous n’avons pas de position préalable vis-à-vis
du Qatar ni d’autres pays.
A: Depuis quand vous travaillez-sur ce livre?
A: Il a fallu deux années entières pour préparer ce livre. Un an pour
traduire les documents et un an pour l’enquête. Nous nous sommes rendus à
Lille, à Mulhouse et dans les villes où Qatar Charity investit. Nous sommes
allés en Suisse, en Grande-Bretagne, en Allemagne, au Kosovo et au Qatar.
Parallèlement au livre, nous avons préparé un documentaire qui sera diffusé en
septembre sur plusieurs chaînes européennes et arabes. Ce fut une grande
enquête de terrain. Il nous fallait vérifier et corroborer les informations que
nous avons obtenues, et également confronter les responsables avec ce double
langage qu’ils adoptent. Quand nous leur demandions : qui finance votre
mosquée, est-ce que ce sont les fidèles ? Ils disaient qu'ils ne recevaient de
l'argent de nulle part. C’est alors que nous leur présentions les documents que
nous avons obtenus. Ils finissaient par admettre qu'ils ont reçu de l'argent de
l'étranger, notamment de la fondation Qatar Charity.
A: Existe-t-il une relation entre le livre et le film documentaire ?
G : C'est la même chose, le documentaire est la version audiovisuelle du
livre. Bien sûr, il y a quelques différences, mais il est basé sur les mêmes
informations.
A: Quand le documentaire sera-t-il diffusé?
G: Entre juin et septembre sur la chaîne ARTE.
A: Je suis journaliste et je sais que ma question est difficile, car j’ai
dû y faire face à maintes reprises, mais je dois quand même la poser, et je
connais d’avance la réponse. Comment avez-vous obtenu ces documents?
G: Une personne anonyme nous a envoyé une lettre par la poste, avec une
clef USB et un mot de passe. Il nous a dit : voici des informations sur Qatar
Charity, faites-un quelque chose d’utile. C’est sur ces documents que nous
avons travaillé.
A: Quand est-ce que vous avez reçu cette lettre exactement?
G: C'était fin de 2016.
A : Vous avez parlé dans votre livre du financement occulte de certaines
activités de l’Organisation internationale des Frères musulmans. Existe-t-il un
danger pour l'Europe et que doit faire à votre avis l'Etat français et les pays
européens ?
G: Jusqu'à présent, il n'y a pas beaucoup de danger, mais notre livre est
un signal d’alarme, car il pourrait y avoir un danger à moyen terme. Nous avons
été surpris par l'ampleur du réseau financier qatari qui s’étend à 15 pays
européens et englobe 140 projets et entre 70 et 80 millions d'euros
d'investissements. Nous avons également été surpris par la nature des projets,
dont certains sont bien étranges comme la conversion d’une église en mosquée et
la création d’un centre islamique dans la ville de Jersey, qui ne compte que
400 musulmans. Les correspondances entre la fondation Qatar Charity et les
bénéficiaires du financement étaient également très intéressants. Qatar Charity
émettait des conditions et fixait des objectifs. Ils disaient par exemple : «
nous voulons ressusciter l'esprit islamique des communautés musulmanes en
Europe. Nous voulons encourager la prédication, soutenir l'éducation et construire
des écoles, etc. ». C'était passionnant car nous étions en train de découvrir
les véritables objectifs de Qatar Charity. Objectifs qui ne sont pas censés
être publics.
A : Pensez-vous que l'objectif de ce financement est d'islamiser ces
sociétés ou bien de les « frériser » ?
G : Nous avons constaté que 90% de l'aide fournie par Qatar Charity était
destinée à des associations proches de l'organisation internationale des Frères
Musulmans. Nous sommes allés voir les officiels ici en France et leur avons
demandé : Quel est l'objectif du Qatar ? En fait, le but du Qatar est
d'influencer le marché de l'Islam en Europe, à l'instar du Maroc et de
l'Algérie, qui ont joué un rôle historique dans ce domaine. Nous avons
maintenant également la Turquie et le Qatar. Qatar Charity veut ressusciter
l'esprit islamique au sein des communautés musulmanes, soutenir la prédication
et encourager l'éducation islamique en aidant certaines écoles. Tout cela est
clair. Ce sont les objectifs de l’organisation mentionnés dans les documents
que nous avons obtenus. Les Frères musulmans ne prendront pas le pouvoir en
France. Ils ne sont pas plus nombreux que mille. Il faut souligner aussi que ce
financement n’est pas destiné au terrorisme. Mais le danger réside dans le fait
que les associations qui reçoivent les fonds qataris appellent à l’Islam dit du
« juste milieux », prôné par Youssef Al-Qaradawi, Tareq Ramadan et Sayed Qotb.
Ces associations veulent adapter les lois françaises aux principes de l'Islam
politique. Par exemple obtenir le droit de porter le voile pour les filles à
l’école, et des horaires différents pour les garçons et les filles dans les
piscines. Une chose qui revenait toujours dans notre enquête est que cette aide
financière est destinée à construire des centres islamiques. Ces centres sont
de véritables mosquées de vie. On y trouve des salles de prière réservées aux
hommes et d’autres réservées aux femmes. Il y a des classes pour enseigner le
Coran et la langue arabe. Il y a aussi des centres d'affaires, des piscines et
parfois même des morgues. C’est l'Islam global de la naissance à la mort, celui
prôné par les Frères musulmans.
A: Il y a aussi l’enseignement des livres de Sayed Qôtb et de Hassan Banna ?
G: Nous avons trouvé effectivement dans les bibliothèques de ces centres
islamiques des livres de Youssef Al-Qaradawi et de Sayed Qôtb.
A: Dire que l'Europe est une société infidèle et endoctriner les jeunes
avec les livres de Sayed Qutb, n'est-il pas une invitation à former des cadres
terroristes ?
G : Ce n'est pas une invitation au terrorisme. Les services de
renseignement français nous ont dit que les responsables de ces mosquées jouent
le jeu du ministère de l'Intérieur. Ils préviennent le ministère quand ils
trouvent quelqu'un qui a une pensée pas très nette. Mais il y a une porosité
entre l’idéologie frériste et l’idéologie djihadiste. Il est arrivé qu’une ou
deux personnes qui fréquentaient ces mosquées aient glissées dans l'idéologie
djihadiste. Mais ce n'est pas un financement direct du terrorisme.
A: En tant que journaliste français, savez-vous combien de terroristes
issus de ces centres islamiques ont lancé des attentats à la bombe en France et
en Europe ?
G: Non je ne sais pas et ce n'est pas le but du livre.
A: Nous ne parlons pas du livre. Nous parlons d'un centre ou d'une école
qui, parfois, donnent naissance à des terroristes qui commettent des attentats
après y avoir étudié la pensée de Sayed Qôtb. Comment pouvons-nous ne pas faire
le lien entre ces centres et le terrorisme?
G : Ce n'est pas le sujet du livre.
A: j'apprécie votre position.
A: Quelle est l’information la plus importante qui vous a surpris en
travaillant sur ce livre ?
G : Comme je vous l’ai dit, c’est le volume du financement qatari. Il y a
140 projets. On transforme une mosquée en église à Alta, dans l'Arctique. Donc,
il y a de quoi se poser des questions. De plus, à Jersey, il n'y a que 400
musulmans. Pourquoi donc y construire un grand centre islamique ? Autre chose
qui nous a surpris. A Lille, il y a un lycée privé, l'école Averroès. Qatar
Charity a financé cette école à hauteur de plusieurs millions d'euros. A un
moment donné, les Qataris voulaient acheter l’établissement. C’est l’un des
responsables de l'école qui nous l’a dit. Ils ont mis beaucoup d'argent dans
cette école, alors pourquoi ne pas l’acheter ? Le volume du financement et la
très bonne organisation de Qatar Charity soulèvent bien évidement des
questions. Ils ont une très bonne organisation.
A: Avez-vous d'autres projets que le livre et le film?
G: Oui, un peu de repos.
A: Un journaliste a-t-il besoin de repos ? Un journaliste ne demande pas à
se reposer.
G: Ce qu'il faut dire, c'est qu'il y avait un certain prosélytisme en 2010
et 2011, mais à partir de 2017 avec le boycott imposé par l'Egypte, l'Arabie
saoudite, les Emirats Arabes Unis et Bahreïn au Qatar, Qatar Charity s’est
retrouvée sous pression pour réduire ses investissements. Le président Macron a
dit aux Qataris qu'ils devraient cesser leur financement. Lorsque le prince
Tamim l’a appelé une semaine après son élection pour le féliciter, Macron lui a
dit qu’il était prêt à conclure un partenariat stratégique avec le Qatar, mais
ne voulait plus ce financement à travers des associations qui ne sont soumises
à aucun contrôle en France. Je pense que depuis 2017, les Qataris ont fait des
efforts. Ils ont adopté une loi régissant le processus de financement. Les
associations qui financent comme Qatar Charity ne peuvent plus agir seules, et
doivent obligatoirement passer par le Croissant-Rouge et le Ministère qatari
des Affaires étrangères. Les autorités françaises affirment que le Qatar a
déployé de grands efforts depuis 2017, mais que la pression politique sur le régime
qatari doit continuer.
A: Le journaliste suisse du magazine Le Point, Jan Hamel, a publié
un article alarmant sur les tentatives Qataries de trouver des alternatives
pour financer les Frères musulmans et s’ingérer dans les affaires des pays
européens. Il a mentionné l’histoire de Ali bin Fattis Al-Merri et ses efforts
en France. Qu’en pensez-vous ?
G: Nous n'avons pas abordé cette question dans notre livre. Nous n'avons
aucune information à ce sujet.
A: Vous êtes un grand journaliste français et vous suivez certainement les
événements ...
G : Oui, mais il faut vérifier les informations.
A : Pensez-vous que le boycott du Qatar et les propos du président Macron
amèneront le Qatar à limiter son financement, ou bien les Qataris continueront
à financer les activités des Frères musulmans en Europe et en France?
G: Ils ont déjà commencé à réduire ce financement. Lorsque nous sommes
allés à Qatar Charity, quelqu’un nous a dit que l'organisation avait des
problèmes et qu'elle ne pourrait plus opérer comme avant. Ils ont par exemple
fermé leur bureau de Londres, mais ont ouvert un autre sous le nom de Nectar
Trust. Ils sont sous pression et ont réduit leurs financements, mais pas au
point d’arrêter complètement ces aides. Ce livre montre l'absurdité de la
situation en France. Il existe une communauté franco-musulmane qui vit dans des
quartiers pauvres, dans des lieux indécents. C’est ce qu’on appelle l’Islam des
caves. Ils ne reçoivent pas d'argent de l'Etat. Supposons que quelqu'un veuille
construire une mosquée, il collecte l’argent de la Zakat mais celui-ci ne suffit
pas. C’est alors qu’apparait un richissime saoudien, la maison de la Zakat du
Koweït, ou les financiers qataris. Tout est légal. Nous devons mettre fin à
cette situation ridicule. Donc, Macron veut arrêter le financement étranger et
disposer d'un financement interne pour permettre aux musulmans de France de
construire des mosquées décentes.
A: Avez-vous reçu des réactions des gouvernements français ou qatari au
sujet de votre livre ?
G: Oui, il y a eu des réactions sur Twitter, surtout que nous avons annoncé
le salaire versé par le Qatar à Tariq Ramadan, ce qui a fait le buzz sur
les réseaux sociaux.
A : Merci George, bonne chance et nous avons hâte de voir ce documentaire.