Libye: le maréchal Haftar tente de prendre Tripoli
L’opération menée par les forces de l’est compromet le processus de
l’ONU.
C’est une offensive militaire risquée mais un sabotage politique évident. Jeudi après-midi, Khalifa Haftar annonçait qu’il marchait vers Tripoli. Vendredi dès l’aube, il se voyait infliger un revers. Une «humiliation», comme Jalel Harchaoui, chercheur à l’institut Clingendael à La Haye, qualifie les événements.
L’Armée nationale arabe libyenne (ANL)
d’Haftar a été repoussée par la force de protection de Tripoli, une coalition
de milices agissant sous couvert du Gouvernement d’Union nationale (GNA),
reconnu par la communauté internationale. Des images présentant des hommes du
maréchal prisonniers avec armes et véhicules circulaient sur les réseaux
sociaux. Leur authenticité n’a pas été confirmée.
Nul doute qu’Haftar n’en restera pas là, mais
ses adversaires sont en état d’alerte. Ils ont baptisé la contre-offensive
«Ouadi Doum 2», en référence à la défaite en 1987 du militaire, alors officier
de Mouammar Kadhafi, dans la bande d’Aouzou, à la frontière avec le Tchad. Khalifa
Haftar y avait été fait prisonnier.
Cette fois encore, le maréchal pourrait
perdre beaucoup. «Khalifa Haftar a 25.000 hommes sous son commandement. Misrata
(fief révolutionnaire, à 200 km à l’est de Tripoli, qui possède la plus grande
force armée du côté du GNA, ndlr) en a 20.000 et recevra du soutien. Il suffit
d’un rien pour que Khalifa Haftar se retrouve en situation de siège. Ses
troupes ne sont pas chez elles et auront besoin de ravitaillement», estime
Jalel Harchaoui.
Selon lui, l’homme fort de l’est libyen, qui
a réussi une belle avancée dans le sud en début d’année, espérait rassembler
autour de sa personne. Sur le papier, le scénario était facile: face à lui, le
GNA, soutenu par des milices divisées, n’a qu’une vague influence sur une zone
limitée de l’ouest libyen. En place depuis 2016, il a fortement déçu la
population qui estime que sa situation ne s’est guère améliorée.
«Je quitte la Libye avec le cœur gros et
profondément inquiet. J’espère qu’il est possible d’éviter une confrontation
sanglante à Tripoli et dans les environs»
Antonio Guterres, secrétaire général des
Nations unies
Mais sur le terrain, Khalifa Haftar, que ses
partisans présentent comme le «De Gaulle libyen», subit déjà des défections.
«Khalifa Haftar avait obtenu des allégeances politiques, notamment à Zaouïa (50
km à l’ouest de Tripoli, ndlr). Mais elles se sont effritées dès qu’il est
reparti en campagne militaire», explique Jalel Harchaoui.
Depuis des semaines, il était question de
former un gouvernement uni entre Khalifa Haftar et Faez Serraj, premier
ministre du GNA basé à Tripoli, après presque 5 ans de divisions. «Mi-mars,
Haftar pouvait tout avoir. Tout le monde s’allongeait par terre devant lui et
se préparait à un gouvernement sous son influence. Mais il a voulu plus et a
donné du temps à ses ennemis, divisés jusque-là, pour se rassembler» analyse le
chercheur.
Les perspectives d’un règlement politique
s’éloignent alors même que l’ONU devait organiser, les 14 et 16 avril, une
conférence nationale chargée d’établir une feuille de route menant à des
élections. Cet événement semblait être la dernière carte de l’envoyé spécial
des Nations unies en Libye, Ghassan Salamé. Si le porte-parole de l’ANL a insisté, sur l’intérêt de
la conférence nationale, il est probable qu’après l’offensive, ses adversaires
refusent de s’y présenter. «L’ANL voudrait arriver comme une fleur à la
conférence nationale, en vainqueur. Le paradoxe, c’est que l’entité la plus
volontaire à participer est celle qui bafoue l’ONU», souligne Jalel Harchaoui.
En Libye depuis mercredi, le patron de l’ONU,
Antonio Guterres s’est contenté de tweeter, après avoir rencontré Khalifa Haftar vendredi: «Je quitte la Libye avec
le cœur gros et profondément inquiet. J’espère qu’il est possible d’éviter une
confrontation sanglante à Tripoli et dans les environs.» Les ministres des
Affaires étrangères du G7 ont quant à eux appelé à la cessation «immédiate» de
«tous les mouvements militaires vers Tripoli». Vendredi soir, de violents
affrontements ont eu lieu autour de l’ancien aéroport international. Le Conseil
de sécurité, qui s’est réuni en urgence, a lui aussi demandé aux forces
d’Haftar de stopper leur offensive.