Bilan du 16e anniversaire de l’intervention occidentale en Irak : chaos, islamisme, terrorisme
En 2003, après une grande
campagne de désinformation, les Etats-Unis envahissaient l'Irak. 16 ans plus
tard, le géopolitologue Alexandre Del Valle dresse le bilan - catastrophique -
de cette opération.
Le 20 mars 2003, malgré
l'hostilité de Paris, de Moscou et de Pékin, Washington lança unilatéralement
l'opération «Irak Freedom» contre l’avis du Conseil de sécurité des Nations
unies. Le régime de Saddam Hussein chuta rapidement, mais l'Irak sombra durablement
dans le chaos. En février 2006, après l'attentat contre un mausolée chiite de
Samarra, au nord de Bagdad, une interminable guerre civile éclata en Irak,
elle-même permise par le démantèlement de l’Etat irakien et de son
administration, puis par l’installation par les Américains, à Bagdad, d’un
pouvoir chiite revanchard, qui, en humiliant et persécutant les sunnites,
poussèrent les tribus et les cadres sunnites déchus du régime baassiste dans
les bras d’Al-Qaida et d’autres groupes islamistes sunnites jihadistes.
Plus encore que la première
intervention de 1990-1991, la guerre anglo-américaine en Irak de 2003, permise
par une immense campagne de désinformation médiatico-politique planétaire,
confirma le caractère néo-impérial et unilatéral de l’hyperpuissance
étatsunienne, prête à violer le droit international, à ignorer les décisions
des Nations unies et à démanteler la souveraineté d’Etats souverains qui ne
l’ont pas agressé dans le seul but de servir des intérêts stratégiques et
géoéconomiques. Ironie du sort, c’est aujourd’hui «l’Etat profond» américain,
ses 17 agences de renseignements, ses juges, ses médias et ses hommes
politiques démocrates comme républicains néoconservateurs (qui ont approuvé
toutes les guerres néo-impériales de Washington : Bosnie, Kosovo, Afghanistan,
Irak I et II, Libye) qui accusent aujourd’hui la Russie post-soviétique de
propager partout dans le monde des «fake news» et d’influencer les élections
aux Etats-Unis ou ailleurs en Europe.
Irak II : retour sur la plus
grossière opération de désinformation géopolitique du XXe siècle
Pour rappel, afin de
justifier moralement et politiquement le renversement du régime de Saddam
Hussein, le gouvernement américain accusa l’Irak baassiste de détenir «des
armes de destruction massive» (chimiques et bactériologiques) qui auraient pu
être utilisées plus tard contre des minorités (kurdes, chiites, etc) et des
intérêts occidentaux. Il suggérait également, sans fournir pour autant aucune
preuve, que le régime de Saddam Hussein entretenait des «liens avec Al-Qaida»,
qui aurait carrément trouvé refuge en Irak après avoir été délogé de ses bases
afghanes après l’intervention de la coalition internationale voulue par
Washington en représailles aux attentats du 11 septembre 2001.
L’Irak faisait alors partie
de l'«Axe du Mal» (remake de «l'Empire du mal» de Ronald Reagan), qui supposait
que le régime de Saddam aurait été impliqué dans les attentats du World Trade
Center de septembre 2001… Pourtant, au lendemain des attaques du 11 septembre,
George W. Bush s’était fait livrer un rapport des services – via sa
conseillère pour les questions de sécurité, Condolezza Rice – qui assurait
clairement qu’aucun lien n’avait existé entre l'Irak et Al-Qaïda. Malgré cette
évidence (Ben Laden avait même proposé aux Etats-Unis en 1990 ses «services»
djihadistes afin d’aider l’armée américaine à renverser Saddam), James Woolsey,
qui dirigeait alors la CIA, évoqua auprès du président américain un «mariage
très fructueux entre Saddam Hussein et Ben Laden».
L’immense
intox planétaire fut découverte quelques années plus tard : le général
Powell le regrettera amèrement
En 2002, le vice-président
Dick Cheney affirma durant une tournée mondiale que Saddam Hussein «développait
des armes de destruction massive», une intox largement co-diffusée par le
Premier ministre britannique d’alors, Tony Blair. Ce dernier alla jusqu’à
présenter, quelques mois plus tard, un rapport plein de fake news de
55 pages «démontrant» que l'Irak développait des armes chimiques, bactériologiques
et même nucléaires, pouvant être «opérationnelles d'ici un à cinq ans»… Au
Conseil de sécurité de l'ONU, Hans Blix, auteur d’un précédent rapport
contraire, et Mohamed ElBaradei, à la tête des inspecteurs de l'ONU, avaient
pourtant assuré que rien ne pouvait corroborer ces allégations. Malgré cela, le
5 février 2003, Colin Powell, alors secrétaire d'État américain, tenta de
convaincre le Conseil de sécurité des Nations unies de la «légitimité» d'une
intervention militaire en Irak en mentionnant des «écoutes téléphoniques» et en
brandissant des «photos satellitaires» et même une fiole supposée contenir de
l'anthrax... L’immense intox planétaire fut découverte quelques années plus
tard : le général Powell le regrettera amèrement, et George Bush et Tony
Blair eux-mêmes reconnurent qu’ils avaient accusé à tort l’Irak de collusion
avec Al-Qaïda et de détention d’armes de destruction massive.
La CIA plaida coupable, mais le mal
était fait
D’après l’aveu même de la
CIA, qui plaida coupable, les informations colportées par les dirigeants
anglo-saxons étaient mensongères et les analystes responsables de l’intox
furent accusés d’avoir «bâclé» leurs conclusions. Un rapport officiel d'enquête
publié en 2005 parla même de la plus «préjudiciable faillite du renseignement
de l'histoire américaine». En février 2011, un agent nommé Rafid Ahmed Alwan
al-Janabi (alias «Curveball», proche de la CIA) avoua au journal The
Guardian que c’était lui qui avait inventé de toute pièce l’intox dans
le but de convaincre les États-Unis de renverser Saddam Hussein.
N’oublions
pas à cet effet que Dick Cheney en personne avait été président en 1995
d'Haliburton
Plus personne ne nie
aujourd’hui que la diabolisation de Saddam par George W. Bush et Tony Blair
puis que l'intervention militaire anglo-américaine qui s’en suivit contre
l’Etat irakien ne visait pas du tout à instaurer la démocratie, mais plutôt à
renforcer la main-mise anglo-saxonne sur les hydrocarbures du Golfe
arabo-persique, d’où aussi l’idée de faire surgir un Kurdistan indépendant sur
les ruines de l’Etat irakien bassiste. Pour les néo-conservateurs du clan Bush
jr, liés aux milieux d'affaires et pétroliers, le but était, dans le cadre de
la compétition mondiale pour le contrôle des routes et de la commercialisation
du gaz et du pétrole, à évincer de la région la Chine, la Russie et les
Européens (France en tête). N’oublions pas à cet effet que Dick Cheney en
personne avait été président en 1995 d'Haliburton…
Le mépris des
néo-conservateurs américains pour les instances internationales se manifesta
cyniquement lorsque la conseillère de George Bush à la Sécurité nationale, Condoleeza
Rice, déclara à la veille de cette deuxième guerre anglo-américaine contre
l’Irak que «les Etats-Unis sont prêts à répondre militairement à la menace
représentée par l’Irak, même en cas de rejet par le Conseil de sécurité de
l’ONU, d’une résolution des Etats-Unis autorisant la guerre». Dans le même
sens, le président américain George W. Bush jr, en annonçant le début des
hostilités contre l’Irak, prétendait que son but consistait à «désarmer l’Irak,
libérer son peuple et défendre le monde contre un grave danger», promettant
ainsi de surmonter les «dangers» qui menaçaient l’Amérique et le monde et
«d’apporter la liberté» à d’autres. Quant à Richard Perle, néoconservateur très
influent au sein l’équipe de Bush junior, il décrivit cette guerre comme «le tsunami
de la liberté qui déferle sur le Moyen-Orient». L’idée affichée était de
remodeler entièrement le Moyen-Orient en renversant tous les régimes
nationalistes-arabes liés à la Russie, à la Chine et aux Etats européens les
moins atlantistes. En fin de compte, cette seconde guerre du Golfe, bien plus
unilatérale que la première, fut condamnée par le Secrétaire général de l’ONU,
Kofi Annan, qui déclara, le 8 février 2003, que «toute décision de désarmer
l’Irak par la guerre doit être prise par les Nations Unies (ONU) et seulement
si toute autre alternative a échoué».
La «flypaper strategy» ou la guerre des
apprentis-sorciers
Rétrospectivement, les
experts s’accordent aujourd’hui sur le constat que la guerre d’Irak de mars
2003 a été un véritable désastre géopolitique pour l’ensemble de la région qui
en paie encore les conséquences directes, à savoir notamment l’émergence de
l’Etat islamique. On a même découvert a posteriori que
l’administration américaine a cherché à créer artificiellement en Irak une
«terre de djihad», afin notamment de détourner l’attention des terroristes
d’Al-Qaida du territoire américain puis dans le but de se concentrer dans leur
lutte contre le djihadisme sur un terrain plus proche que l'Afghanistan et plus
accessible comme l’Irak.