Les dangers d’Al-Shabab sur la sécurité de la Corne de l’Afrique
Ali Bakr
« Il est impérieux de mettre en place une stratégie
intégrale à travers laquelle coopèrent les forces internationales et régionales
afin de soutenir le gouvernement somalien pour reconstruire l’Armée nationale
somalienne, tout en menant une confrontation idéologique».
L’activité croissante du
Mouvement des jeunes moudjahidines (Al-Shabab) en Somali
e au cours des dernières
années révèle qu’il ne représente pas uniquement un danger pour la situation
interne du pays, mais aussi pour la totalité de la région de la Corne de
l’Afrique. En effet, ledit mouvement aspire à élargir son pouvoir à l’extérieur
des frontières somaliennes, vu qu’il est le bras d’Al-Qaïda en Afrique de
l'Est. Et, Al-Qaïda œuvre récemment à se propager et à s’élargir dans plusieurs
régions du Continent Africain après avoir retrouvé son influence en Afrique du
Nord et de l’Ouest. Il cherche à construire un réseau pouvant relier les
groupes dispersés en Afrique : à commencer par Al-Qaïda au Maghreb islamique
(AQMI) constitué de différents groupes, passant par les groupes relevant
d’Al-Qaïda en Libye, au Mali et au Niger, et finissant par le Mouvement des
jeunes moudjahidines en Somalie. Celui-ci veut devenir un pont de communication
avec Al-Qaïda au Yémen. En effet, la politique actuelle est la propagation du
mouvement et non le contrôle des lieux. C’est d’ailleurs ce que fait Daech pour
éviter de se concentrer dans un lieu de sorte à être facilement ciblé et
éliminé.
C’est ce qui impose une
importante interrogation sur les caractéristiques du Mouvement somalien des
jeunes moudjahidines ainsi que sur les facteurs éminents de leur force,
les motifs de l’intensification de leurs activités, et les retombées de tout ceci
sur la sécurité de la Corne de l’Afrique et de manière générale sur la région
de l’Afrique orientale.
I- Les caractéristiques les plus importantes des jeunes moudjahidines
Malgré la multiplicité des
groupes armés en Somalie, le groupe armé des jeunes moudjahidines demeure le
plus grand et le plus puissant dans le pays. Il s’est manifesté la
première fois sous ce nom en 2006 après le contrôle de la capitale somalienne
Mogadiscio, des régions du centre et du sud de la Somalie par l’Union des
tribunaux islamiques. Suite à cela, le mouvement a annoncé qu’il ne
« combat plus pour la résistance, mais qu’il mène un djihad armé ».
Sur le terrain, le Mouvement a pu réaliser de grands exploits jusqu’à ce que le
tiers de Mogadiscio soit soumis à son contrôle de 2009 à 2011. Certains
rapports estiment que la force militaire du Mouvement des jeunes moudjahidines
- d’après les estimations des groupes d’observation relevant des Nations Unies
- est d’environ 5 000 combattants (1). On peut déterminer les caractéristiques
du Mouvement ainsi que les facteurs de sa force à travers les points
suivants :
La large propagation : Le Mouvement des
jeunes moudjahidines se caractérise par une large propagation au sein de la
Somalie. En effet, le Mouvement se propage dans près de 18 régions dont 9 dans
le sud du pays à l’instar d’Oddur, Jawhar, Garbaharrey, Mogadiscio, Merca et
Kismayo. Même s’il est souvent chassé de ces régions, il y revient rapidement à
nouveau. A titre d’exemple, il a contrôlé récemment de grandes superficies de la
ville de Balad (sud) le 7 mars 2018 et qui étaient antérieurement sous le
contrôle des forces gouvernementales. Il avait également déjà envoyé quelques
éléments sur les côtes nord-est du pays, précisément dans la ville de Jeread
contrôlée par le Pount (dénommé Puntland) au milieu de 2017 et ce pour bâtir un
fief dans cette région. Ce fief serait une alternative sécurisée à laquelle le
Mouvement peut recourir en temps de crises, et ce pour protéger ses leaders et
ses éléments en temps de raids aériens dont ils font l'objet dans le sud et le
centre du pays, il s’agit des régions qu’ils considèrent comme
« exposées ».
De même que les
combattants du Mouvement ont pu le 4 août 2017 contrôler entièrement la ville
stratégique de « Lego » qui se situe sur la route entre Mogadiscio et
Baidoa après le retrait des forces ougandaises, ce qui démontre que le
Mouvement veille à se propager dans un certain nombre de régions afin de
renforcer sa présence et son influence.
La force de la structure
organisationnelle : Le Mouvement des jeunes moudjahidines
dispose d’une structure organisationnelle puissante qui sauvegarde la
hiérarchie. En dépit de l’absence de documents précis sur cette structure, il
est convenu de reconnaître quatre ailes principales, en tête desquelles figure
le «Conseil consultatif» du Mouvement (Majlis Al-Chourah) présidé par un
émir. Quant à la deuxième aile, « Al-Da’wa » (la prédication), elle
est responsable du recrutement de nouveaux membres. Quant à l’aile
« Al-Hisbah », elle représente la police religieuse. Son rôle
est de surveiller et de maintenir le respect des us et coutumes islamiques,
d’après la vision du Mouvement. La quatrième aile, l’aile militaire, est quant
à elle responsable d’entraîner militairement les jeunes, d’exécuter des
attaques terroristes et des opérations d’assassinat (2).
Le bon financement : Le Mouvement
des jeunes moudjahidines jouit de bonnes sources de financement qui lui
permettent de bien dépenser sur ses activités et sur ses combattants. Nombre de
rapports indiquent que ces sources sont diversifiées. Parmi les plus
importantes figure l’appui des tribus somaliennes, notamment celles auxquelles
appartiennent certains leaders du Mouvement, étant donné qu’elles les aident
dans le commerce, l’élevage de bétail et la production agricole. Le Mouvement
reçoit également des financements de certaines associations caritatives et des
tierces personnes de l’extérieur de la Somalie qui sympathisent avec lui. Ces
financements sont en général transférés à travers ce qu’on appelle « Al-Hiwalah »
(virement bancaire), aussi cet argent est reçu à travers des canaux bancaires
ordinaires. S’ajoutent à cela les sommes obligatoirement collectées auprès des
commerçants et les taxes. En plus, il y a l’argent obtenu à travers la
piraterie et les rançons payées pour libérer les otages (3).
La violence excessive : Ce qui
caractérise le Mouvement des jeunes moudjahidines et qui le distingue des
autres mouvements d’Al-Qaïda c’est « la violence excessive ». Il est
décrit comme étant le plus féroce et le plus sanguinaire. Cela est évident à
travers ses opérations atroces et successives qui ne distinguent pas entre
civil et militaire. Parfois, il tue des centaines durant une seule opération
militaire. C’est l’exemple de l’attentat mené à Mogadiscio par une voiture
piégée le 14 octobre 2017 et qui a causé la mort de 358 personnes et près de
228 blessés. Deux semaines plus tard, il a mené un double attentat à la voiture
piégée au centre de la capitale qui a causé au moins la mort de 17 personnes.
Les coalitions
tribales : Le Mouvement des jeunes moudjahidines est parvenu à
créer d’importantes coalitions avec nombre de tribus, notamment celles
auxquelles appartiennent les leaders du Mouvement, ce qui lui a permis de
poursuivre son activité. Dernièrement, il a créé une coalition avec quelques
groupes de la tribu de Murusade, permettant grandement de le renforcer.
C’est ce qui a poussé le gouvernement somalien à nommer Hassan Ali Khayre,
fils de cette même tribu, au poste de Premier ministre le 23 février 2017 (4) pour
couper la route à cette coalition vu qu’elle peut constituer un péril pour le
gouvernement somalien fragile. Malgré cela, ce dernier cherche à mettre en
place un état de stabilité et à réduire les opérations terroristes ascendantes.
II- Les caractéristiques de l’accroissement des activités du
Mouvement
Depuis début 2006, le
Mouvement des Jeunes moudjahidines connaît un accroissement remarquable de ses
activités sur plus d’un plan. Sur le plan des attentats terroristes internes,
cette période a connu une montée inédite des attaques, notamment les attentats
à la voiture piégée à l’instar de deux attaques qui ont secoué la capitale
Mogadiscio le 24 février 2018, en visant le palais présidentiel et un hôtel de
la capitale somalienne faisant ainsi 45 morts entre civils et militaires et
près de 36 blessés.
Cibler les civils
constitue également l’un des plus importants changements enregistrés dans les
opérations du Mouvement depuis début 2017, le rendant plus sanguinaire
qu’auparavant. En effet, ces opérations causent la mort des centaines de
personnes suite à l’utilisation des voitures piégées dans des lieux publics
sans distinction entre civils et militaires. Aussi faut-il citer l’exemple de
la voiture piégée qui a explosé dans une des rues les plus animées de
Mogadiscio le 17 mars 2017, provoquant la mort d’au moins 15 civils, outre 17
blessés. En outre, des civils sont ciblés avec préméditation comme c’était le
cas à Jamaame au nord de Kismaayo où deux personnes ont été exécutées le
11 août 2017 sous prétexte de collaborer avec les forces gouvernementales.
Cela montre que le Mouvement n’accorde plus d’intérêt au regard du peuple
somalien à son égard et révèle en même temps un sentiment de supériorité
exagéré éprouvé par le Mouvement.
D’autre part, le Mouvement
se concentre à cibler les forces africaines. Il y a l’exemple de l’attaque qui
a visé le site des forces ougandaises à proximité de la ville de Bulomarer au
début du mois d’août 2016, provoquant la mort d'un certain nombre de soldats.
Al-Shabab a également exécuté un soldat kényan qui est tombé entre ses mains,
et l’opération d’exécution a été dévoilée via une émission audiovisuelle
baptisée « la vérité amère » en 2017.
La nature des dernières
opérations du Mouvement- notamment celles qui ciblent les civils - révèlent un
changement remarquable de leurs idées. En effet, cibler les civils de cette
manière est effectué par les groupes purement takfiristes comme Daech et ses
différentes branches qui accusent ceux qui refusent de les appuyer de
mécréance. Par conséquent, ils se permettent de les tuer, même les femmes et
les enfants, bien que cela soit opposé aux idées d’Al-Qaïda adoptées par
le Mouvement des Jeunes Moudjahidines. D’après eux cibler les innocents n’est
toléré qu’en cas de force majeure.
Cela signifie que le
Mouvement s’oriente vers l’idéologie « takfiriste ». Par la suite,
quelques responsables et quelques groupes s’en sont séparés comme Mokhtar Abou
Mansour qui se sont rendus - avec des centaines de ses adeptes - au
gouvernement somalien en août 2017, à cause des idées takfiristes qui dominent
chez les moudjahdines (5).
D’autre part, l’activité
du Mouvement ne s’est pas limitée au plan militaire, mais va aussi au-delà,
dans la médiatisation du mouvement pour se créer des racines historiques et
idéologiques et pour prouver qu’il n’est pas une simple organisation locale,
mais qu’elle s’adosse plutôt sur une autre plus grande, Al-Qaïda. Pour ce
faire, le Mouvement a publié des documents qui enregistrent son histoire,
notamment « La marche de la résistance du cheikh Mokhtar Abou
Zobeir » qui avait été publié pour la première fois en juin 2017. Toujours
est-il important de savoir qu’il s’agit absolument du documentaire le plus
important qui aborde l’histoire du Mouvement, sa création et ses leaders éminents.
La publication a dévoilé
la personnalité de l’ex-leader du Mouvement Ahmed Abdi Godane, connu aussi sous
le nom de Mokhtar Abou Zobeir qui avait été tué lors d’une attaque de
drone le 1er septembre 2014. C’était la personnalité la plus mystérieuse.
Rarement, il apparaissait en public. Nul ne connaissait les caractéristiques de
sa personnalité à part les personnes proches de lui. La publication ne s’est
pas limitée à ce stade, elle est encore allée plus loin en dévoilant d’autres
leaders éminents méconnus par beaucoup de personnes, notamment pour ce qui est
de leur visage, de leurs caractéristiques ou encore de leur rôle. Parmi ceux-ci
figurent Mohamed Ismaïl Youssef et Ibrahim Nalayi qui ont opéré dans le ciblage
des forces américaines en Somalie. Il en est de même pour Abou Talha Tarek
Al-Soudani qui a pris part à la planification de l’explosion de l’Ambassade des
Etats-Unis à Naïrobi (Kenya) et de celle de Dar es Salaam (Tanzanie) en août
1998. Notons également le leader éminent du Mouvement Mahmoud Sntiri (6).
Il semble qu’Al-Shabab
veut - via la publication de ce document - montrer qu’il est le Mouvement le
plus fort qui s’est le plus sacrifié en faveur de la religion, et ce en passant
en revue son rôle militaire face aux forces américaines et gouvernementales.
Par ce faire, il vise aussi à attirer le plus grand nombre de jeunes à
l’intérieur et à l’extérieur de la Somalie, d’autant plus qu’il œuvre à
recruter de nouveaux éléments à la lumière des dernières expansions et
propagations après voir contrôlé un grand nombre de régions en plus d’autres
qu’il a pu reconquérir pour renforcer sa présence dans le pays et imposer
grandement son contrôle.
La publication « la
marche de la résistance » ainsi que d’autres publications indiquent que le
Mouvement a une grande capacité de réalisation qui serait au même degré
médiatique de Daesh souvent caractérisé par un professionnalisme médiatique
supérieur à Al-Qaïda. Pour ce faire, le Mouvement a diffusé les témoignages des
leaders qui ont connu sa création, dans un ordre chronologique qui raconte le
lancement et la création de cette entité. Cela a été réalisé en présentant la
vie de son émir Abou Zoubair depuis sa naissance, puis son éducation, son
voyage en Afghanistan, son lien (lui et ses compatriotes somaliens) avec
Al-Qaïda, et ses grandes figures telles que Oussama Ben Laden et Ayman
Al-Zawahiri, etc. Ensuite sont évoqués son retour en Somalie et la poursuite de
la marche via l’action armée jusqu’à ce que le Mouvement ait atteint ce degré
de force et de puissance.
III- Les arguments du
Mouvement pour accroître ses activités
Il semble qu’il y a un
certain nombre de motifs qui poussent les jeunes moudjahdines à accroître leurs
activités militaires et médiatiques et à se propager géographiquement durane la
dernière période, et qui va en parallèle avec l’ascension générale d’Al-Qaïda
dans le Contient noir. Les motifs les plus importants peuvent être déterminés
comme suit:
1.
Elargir le contrôle et le pouvoir : La montée des attaques du
Mouvement des jeunes moudjahidines contre le gouvernement somalien et les
soldats (de la force de l'Union africaine en Somalie - AMISON), en plus des
groupes dissidents du Mouvement, révèle clairement qu’il cherche à monopoliser la
scène. En plus, il vient en tête de la scène de violence dans tout le pays tout
en élargissant son contrôle via l’expansion et la propagation dans de nouvelles
régions, notamment celle du littoral qui constitue l’une des lignes
stratégiques les plus importantes qu’il aspire à contrôler dans ces derniers
temps. L’objectif est d’avoir la mainmise sur les zones côtières liant la
Somalie au Kenya riches en ports stratégiques.
2.
Exploiter le retrait des forces africaines : Les jeunes moudjahidines
cherchent, en intensifiant leurs attaques, à exploiter le retrait récurrent des
forces éthiopiennes de certaines régions dans la dernière période. Le retrait
le plus connu est celui de la ville de Halgan dans le centre de la Somalie, le
Mouvement avait annoncé qu’il s’était emparé de la ville en octobre 2016. Par
conséquent, il parvient à combler le vide qui peut être laissé par le départ
des forces africaines, d’autant plus que le site dont se sont retirées les
forces éthiopiennes n’était pas le premier en son genre. En effet, elles
s’étaient déjà retirées de deux autres sites, l’un dans la ville de Moqokori et l'autre dans la localité d’El-Ali.
C’est pourquoi, le Mouvement cherche - via ses opérations - à contrôler
davantage de terres pour recouvrer son influence (7).
3.
Arrêter la série de scissions :
En accroissant ses activités, le Mouvement vise à maintenir la loyauté de ses
éléments à l’égard de l’actuelle direction. Parmi les critères de compétence
des leaders auprès de l’Organisation terroriste, qui réclame « la loyauté »
figure la capacité de mener le plus nombre d’attaques susceptibles de conduire
à une bonne propagation géographique, en plus de la propagande médiatique
susceptible de maximaliser son rôle et de diffuser ses idées sur la plus vaste
étendue. C’est ce à quoi aspire la direction actuelle pour créer une cohérence
organisationnelle, notamment après la multiplication des cas de scissions ces
dernières années. S’ajoute à cela l’apparition de groupes de combats loyaux à
Daech qui menace le premier rang occupé par le Mouvement en Somalie. Par
conséquent, l’accroissement de l’activité interne du Mouvement peut conduire
grandement à la création d’un état de confiance au sein de la direction
actuelle du Mouvement et donc éviter toute éventuelle scission dans l’avenir.
4.
Déjouer le projet de Farmajo :
Al-Shabab œuvre, via l’accroissement de ses activités et de ses attaques
terroristes, à déjouer le projet du président somalien Mohamed Abdullahi Farmajo
qui a pris le pouvoir en février 2017. Il endosse un projet ambitieux visant à
éliminer toutes les organisations terroristes dans le pays, notamment le
Mouvement des jeunes moudjahidines, en le combattant et en resserrant l’étau
autour de son financement, et ce en reconstruisant les institutions de l’Etat
avec en tête l’institution militaire. En plus de la constitution des coalitions
tribales opposées à celles du Mouvement. Au vu de ces stratégies,
l’intensification des attaques d’Al-Shabab à partir du début de 2017 vise à
déjouer ce projet, sachant que ce dernier pourrait créer un état de stabilité
dangereux pour le Mouvement. En effet, les organisations terroristes ne peuvent
vivre que dans un environnement d'effondrement et d'instabilité (8).
5.
Contrer le pouvoir de Daech : Depuis
l’apparition de Daech en Somalie, via une faction dissidente d’Al-Shabab forte
de près de 600 éléments et présidée par l’ancien leader Abdulqadir Mumin, le Mouvement le considère comme un danger
menaçant son pouvoir surtout que Daesh cherche à élargir son pouvoir et à
séduire de nouveaux éléments au sein du Mouvement. Même si Daech n’a pas réussi
jusqu’à présent, cela affecte la place du Mouvement dans le pays. C’est
pourquoi, il s’est focalisé au cours de la dernière période de contrer Daech et
de l’éliminer au plus vite surtout que ce dernier a cherché à propager ses
idées parmi les jeunes somaliens, et ce en comptant sur l’attractivité de
l’idéologie daechiste et le symbole du califat qu’il adopte. Pour cette raison,
le Mouvement trouve que le meilleur moyen de contrer le pouvoir de ce groupe
est d’intensifier ses activités et ses attaques terroristes. Car, l’idéologie
extrémiste est basée sur le fait que le plus violent mérite d’être suivi
puisque cela signifie qu’il a plus de foi et qu’il est davantage engagé dans le
jihad pour Dieu. D’ailleurs, la branche de Daech en Somalie n’a pas réussi à
faire des opérations d’envergure comme celles d’Al-Shabab.
IV- Les conséquences de l’intensification des activités
des jeunes moudjahidines dans la Corne de l’Afrique
Il est
évident que l’intensification des activités des Shabab, qui va de pair avec
l’ascension et le fort recul de Daech, aura des retombées directes sur la
sécurité de la Corne de l’Afrique et sur la région de l’Afrique de l’Est de
manière générale, surtout à la lumière de la persistance d’Al-Qaïda à élargir
sa présence dans ces régions, ce qui pourrait dans l’avenir mener à de fortes
frappes contre des sites internationaux et régionaux. D’autant plus que le
Mouvement sait qu’il sera la deuxième cible après l’élimination de Daesh en
Irak et en Syrie. Ainsi, l’intensification des activités du Mouvement
s’inscrit-elle dans le cadre de son désir de renforcer l'influence d’Al-Qaïda
dans la Corne de l’Afrique en raison de son importance stratégique d’abord pour
sa proximité avec Al-Qaïda du Yémen qui pourrait créer une coopération entre
les branches d’Al-Qaïda de sorte à menacer un grand nombre de forces régionales
et internationales dans la région. A la lumière de la concurrence entre
celles-ci à consolider leur présence dans la région, les conséquences qui en
découlent sont les suivantes :
1.
Menacer les intérêts américains : Al-Qaïda
considère que les Etats-Unis sont son premier ennemi, en plus des autres pays
occidentaux depuis sa naissance en août 1988 sous le nom de
« Front islamique mondial pour le Jihad
contre les Juifs et les Croisés ». D’ailleurs, il est
considéré comme étant l’unique organisation terroriste à avoir bâti son
idéologie sur l’animosité envers les Etats-Unis. Ainsi, a-t-il déterminé très
tôt ses objectifs à travers un avis religieux promulgué par Oussama Ben Laden
et son adjoint Ayman Al-Zawahiri. Ledit avis religieux est émis de la manière
suivante : « Tuer les Américains et leurs alliés civils ou militaires
est un devoir de tout musulman et dans tous les pays dans la mesure du
possible, jusqu’à ce que soient libérées de leurs occupants la Mosquée
d’Al-Aqsa et la Kaaba (Mosquée Sainte, Al-Masjid Al-Haram en arabe). Et ce,
jusqu’à ce que leurs armées quittent le sol islamique, en étant brisées et
incapables de nuire à tout musulman » (9). Puisque le Mouvement des jeunes
moudjahidines constitue le bras d’Al-Qaïda en Afrique de l’Est, il est normal
que le fait de cibler les intérêts des Etats-Unis dans cette région soit en
tête de ses priorités militaires, tant que faire se peut. En d’autres termes,
l’intensification de l’activité du Mouvement signifie l’intensification des
attaques ciblant les intérêts américains. C’est ce que révèlent les
déclarations du général Thomas D. Waldhauser, chef du Commandement américain pour l'Afrique, «Africom» à la Commission des forces armées de
la Chambre des représentants des Etats-Unis le 7 mars 2018 lorsqu’il
a dit : « Le Mouvement des jeunes moudjahidines constitue une menace
pour la Somalie et les intérêts des Etats-Unis dans la région » (10). Cela pourrait peut-être expliquer le fait que les
Etats-Unis aient mené des dizaines d’attaques aériennes contre les sites du
Mouvement au cours des dix dernières années, provoquant la mort de 300 parmi
ses membres. De même que l’administration du président Donald Trump a décidé
récemment d’intensifier les frappes contre ledit Mouvement en donnant au
commandement américain pour l’Afrique de vastes pouvoirs pour mener des frappes
aériennes intensifiées et précises en vue de priver le Mouvement de refuges
sûrs à travers lesquels il peut attaquer des citoyens américains ou encore les
intérêts américains dans la région, a annoncé le Pentagone le 30 mars 2017.
2.
Cibler les intérêts des pays du
Golfe : Le réseau d’Al-Qaïda voue une
animosité envers les pays du Golfe de manière générale, notamment l’Arabie
Saoudite et les Emirats arabes unis. En effet, il a créé une branche en 1998
qu’il a nommé Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA). Dans sa
définition de la péninsule arabique, l’organisation se refaire à la définition
d’Al-Asmai : Elle va « de la campagne de l’Irak jusqu’à Aden en
longueur, et de Tihama jusqu’aux extrémités des pays du Levant en
largeur ». Autrement dit, tous les pays du Golfe sont dans le cadre de la
péninsule arabique (11). Bien que le Mouvement ait limité au cours des
dernières années ses activités au Yémen, il continue néanmoins à nourrir une
grande animosité envers les deux pays, a révélé Qasim Al-Rimi, leader d’Aqba
dans une publication le 30 avril 2017 dans laquelle il a incité
ouvertement les branches d’Al-Qaïda contre les deux pays. D’où l’ascension du
pouvoir des Shabab dans la région de la Corne de l’Afrique peut affecter les
intérêts des Emirats arabes unis et de l’Arabie saoudite, à la lumière de la
présence de leurs intérêts économiques et militaires dans la région. De même
que le rôle joué par les deux pays dans la guerre contre le terrorisme, dont le
récent soutien à la force africaine commune du G5 Sahel (Mauritanie, Mali,
Burkina Faso, Tchad, et Niger) qui avait été annoncé au sommet de Paris en
décembre 2017 pour faire face aux organisations terroristes propagées dans le
Sahel et le Sahara. Les contributions de l’Arabie saoudite et des Emirats au G5
Sahel sont respectivement de l’ordre de 100 millions et 50 millions d’euros.
D’ailleurs, leurs contributions ont dépassé de loin celles de certaines
puissances éminentes au sein de l’Union européenne comme la France, et les
Etats-Unis. Cela peut provoquer le sentiment d’hostilité des branches
d’Al-Qaïda à la lumière de la communication qaïdiste. Ce qui donne aux jeunes
moudjahidines une forte motivation pour cibler leurs intérêts de manière
directe la Corne de l’Afrique, surtout si l’organisation mère d’Al-Qaïda incite
à le faire, indique l’ex-directeur du renseignement somalien, Bashir Mohammed
Jamea Gopi. Dans ses déclarations, Gopi a dit que le réseau d’Al-Qaïda planifie
des attaques contre les pays du Golfe à partir de la Somalie et du Yémen suite
à la connexion avec son allié Al-Qaïda à la péninsule arabique au Yémen, la
présence d’éléments humains des pays africains et le financement indispensable
qui est chiffré à des centaines de millions de dollars provenant des ports
qu’il contrôle »(12).
3.
Menacer les navigations maritimes internationales : L’intérêt porté à la
région de la Corne de l’Afrique est dû à de nombreuses considérations :
entre-autres, la région dispose d’issues maritimes distinguées, que ce soit sur
la mer Rouge, sur le Golfe d’Aden ou l’Océan Indien. Ces routes sont une artère
vitale pour le transport de l’énergie pétrolière des pays du Golfe arabe vers
les pays d’Europe et les Etats-Unis. Chaque année, 12 millions de conteneurs de
marchandises passent par le détroit de Bab Al-Mandab (Porte des Lamentations),
en plus des pétroliers. Il s’agit de l’un des plus importantes voies
commerciales internationales. C’est pourquoi l’ascension du pouvoir d’Al-Shabab
constitue un danger pour la navigation maritime internationale en raison de
leur capacité à resserrer l’étau autour du déplacement des navires dans le
Golfe d’Aden et à travers le détroit de Bab Al-Mandab, ce qui constitue
une menace pour le transport du pétrole qui représente le nerf principal des
économies des pays du Golfe et de l’Occident, notamment à la lumière de la crainte
croissante du projet expansionniste du Mouvement ne souhaitant point s’arrêter
avant d’avoir contrôlé toute la Corne de l’Afrique. Cela signifie que le danger
prend de l’ampleur dans la région de la mer Rouge, surtout au nord de la
Somalie, le Pount (ou la République du Puntland) non-reconnu
internationalement. Tandis que les Shabab cherchent à s’y propager, cela
pourrait leur donner l’occasion de se déplacer à Djibouti, qui représente la
partie la plus faible mais en même temps la plus importante parce que le pays
dispose d’un débouché sur le détroit de Bab Al-Mandab, outre son rôle
logistique dans la crise du Yémen (13).
4.
Menacer les pays voisins : L’ascension d’Al-Shabab
va certainement se refléter de manière directe sur la sécurité des pays voisins
vu qu’elle va les pousser à mener des attaques terroristes sur leurs
territoires. Il est à noter que, avant de se concentrer ces dernières années
sur la Somalie, le Mouvement visait les pays voisins par des attaques
terroristes diverses, spécialement le Kenya qui avait été la cible. D’ailleurs,
l’attaque terroriste menée par les combattants du Mouvement le 2 mars 2018 au
nord-est du Kenya et qui a fait 5 morts dans les rangs de la police s’inscrit
dans une série d’attaques externes excessivement violentes et sanglantes. A
l’exemple de l’attaque contre le centre commercial Westgate à Naïrobi, capitale
du Kenya, le 21 septembre 2013 provoquant au moins la mort de 72 personnes dont
61 civils, 6 soldats kényans, et 5 agresseurs, en plus de près de 200 blessés.
Le Mouvement a également perpétré, en avril 2015, un attentat contre
l’Université de Garissa dans le nord-est du Kenya, faisant 147 morts dont près
de 70 étudiants et quatre du côté des assaillants qui ont pris part à
l’attaque. Outre des dizaines de blessés. Al-Shabab a aussi exécuté une série
d’attaques contre la ville côtière de Mpeketoni qui a fait plus de 100 morts.
D’ailleurs, ledit Mouvement a recommencé à cibler les forces internationales à
travers une série d’attaques. La plus célèbre a eu lieu en 2015 causant la mort
de deux soldats suite à une attaque armée et à la bombe.
5.
Consolider la présence qaïdiste en Afrique de
l’Est : Le Mouvement des jeunes moudjahidines, étant le bras du
réseau d’Al-Qaïda, veut exploiter ses opérations internes afin de consolider la
présence d’Al-Qaïda en Somalie pour s’élargir d’une part en Afrique orientale
et d’autre part pour élargir son pouvoir qaïdiste de par le monde. Cet
élargissement vient notamment à cette phase marquée nettement par le recul de
Daech en Irak et en Syrie en raison des durs coups des forces de la coalition
menaçant désormais l’organisation structurelle de Daech. Par conséquent, en
intensifiant ses opérations le mouvement va renforcer sa présence en Afrique de
l’Est qui est dotée d’une importance stratégique d’une part, et à proximité
d’Al-Qaïda du Yémen d’autre part. Ce qui peut créer un état de coopération
qaïdiste dans cette région.
En conclusion, à la lumière de tout ce qui précède,
l’activité ascendante du Mouvement des jeunes moudjahidines
constitue un vrai danger qui menace la sécurité et la stabilité
de la région de la Corne de l’Afrique, notamment les intérêts
des grands pays occidentaux, en plus de certains pays du Golfe
surtout qu’ils ont des intérêts militaires et économiques dans
cette région. Cela impose de mettre en place une stratégie
intégrale de coopération entre toutes les forces régionales et
internationales en vue d’éradiquer le mouvement. Le point de
départ serait de soutenir et d’aider le gouvernement somalien à
reconstruire son armée, vu qu’elle aura la plus grande
responsabilité d’affronter Al-Shabab pour les éradiquer du sol
somalien. Parallèlement à la confrontation militaire,
la confrontation idéologique non moins facile est de mise.
Ainsi la confrontation serait globale. Sans cette stratégie,
le Mouvement des jeunes moudjahidines va continuer à
menacer cette région et peut-être tout le continent africain dans
l’avenir.
1- Fondation du Mouvement des jeunes moudjahidines
httpp://www.islamist-movements.com/2372
2- Interrogations autour
de l’avenir de la Somalie à la lumière de l’escalade des attaques du Mouvement
d’Al-Shabab, le site « El-Emirat Al-Youm »
www://www.emaratalyoum.com/politics/reports-and-translators/2017-11-20-1.1045718
3- Interrogations sur l’avenir de la Somalie à la lumière
de l’escalade des attaques du Mouvement d’Al-Shabab, le site « El-Emirat
Al-Youm »
www://www.emaratalyoum.com/politics/reports-and-translators/2017-11-20-1.1045718
4- Les valeurs et les principes communs entre le
président et Hassan Khaïri pour lesquels ce dernier a été nommé au poste de
Premier ministre, Centre de recherches et d’études de Mogadiscio, goo.gl/Vom4gb
5- Influences des scissions au sein du Mouvement des
jeunes moudjahidines en Somalie- Site du Magazine de la Politique
internationale
http://www.siyassa.org.eg/News/15424.aspx
6- La marche de la résistance, un énorme document publié
par le Mouvement des jeunes moudjahidines sur son émir Cheikh Mokhtar Abou
Zoubeir, l’Agence d’informations Al-Shehada, gpp.gl/ANi5P7
7- Nouvelle phase : Causes pour lesquelles les
Etats-Unis ciblent le Mouvement des jeunes moudjahidines, Centre des études et
de recherches avancées de l’Avenir.
goo.gl/eNriiN
8- Le président Farmajo et le défi du terrorisme... les
points de force et de faiblesse, site du Magazine de la Politique
internationale
http://www.siyassa.org.eg/News/12013.aspx
9- « Guide des mouvements islamistes dans le
monde », numéro 1, édition 3 mars 2006, le centre des études politiques et
stratégiques d’Al-Ahram, Le Caire, p.73.
10- Commandant des forces américaines en Afrique :
Le Mouvement des jeunes moudjahidines constitue un danger pour la Somalie et la
région, Site de la Nouvelle Somalie.
Goo.gl/Y1MRpE
11- Ali Bakr : « Stratégie pour affronter le
réseau d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique- étude comparée avec le cas
égyptien- Centre d’études Al-Mesbar, Octobre 2007, Dubaï, Emirats arabes unis,
p. 136.
12- Le Mouvement des jeunes moudjahidines et les dangers
qu’il représente pour la sécurité du Golfe.
goo.gl/XG7Yq9
13- Le développement d’Al-Qaïda et de Daech en Somalie,
lecture des conséquences et des résultats, site d’Al-Rased
http://www.alrased.net/main/articles.aspx?selected_article_no=7685