Publié par CEMO Centre - Paris
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La stratégie anti-terroriste algérienne est-elle applicable aujourd’hui ?

dimanche 10/juin/2018 - 12:53
La Reference
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Aboul Fadl Al-Isnawi

 

 

La stratégie anti-terroriste algérienne ne peut être généralisée dans l’état actuel des choses. Il est impossible de mettre en œuvre tous ses grands axes dans certains pays, car les circonstances et le contexte dans lesquels est né le terrorisme après le 30 Juin 2013 sont différents de ceux qu’a connus l’Algérie dans les années 1990.

 

Il y a près de vingt ans, le régime algérien du président Abdelaziz Bouteflika réussissait à appliquer la loi dite « de concorde civile et de réconciliation nationale », après un bras de fer avec les organisations terroristes qui ont pris les armes contre l'Etat, avant de renoncer finalement à la violence. Une violence qui a duré 10 ans, et qui a plongé l’Algérie dans un bain de sang.

 

A cette époque, la stratégie anti-terroriste algérienne comprenait deux phases : faire fermement face aux organisations terroristes, et engager un processus de réconciliation avec elles tout en les écartant de l’action politique. Ces organisations ont fini par accepter les termes de l'Etat algérien, à savoir rendre les armes avant de bénéficier de l'amnistie.

 

Mais peut-on aujourd’hui appliquer une telle stratégie pour contrer le terrorisme qui sévit dans les pays arabes et islamiques ? Peut-on intégrer ces groupuscules, qui sont radicalement différents des mouvements armés que l'Algérie a connus à la fin du siècle dernier, en ce qui a trait à leurs origines, et à leurs procédés de recrutement et de financement ?

 

La condition principale autour de laquelle a été bâtie la stratégie anti-terroriste algérienne, à savoir déposer les armes et quitter les montagnes avant toute négociation avec l'Etat - cette condition - s’est avérée être un obstacle à l'application de la stratégie algérienne dans les pays de la région, en proie au terrorisme depuis près de cinq ans. Il est certain que les organisations terroristes actuelles ne déposeront pas les armes. Car les pays qui les arment et les financent s’érigeront en rempart contre un tel scénario.

 

Avant de répondre à la question centrale qui est de savoir dans quelles mesures on peut appliquer la stratégie algérienne pour contrer un terrorisme, qui aujourd’hui, prospère dans certains pays, soulignons d’abord que cette stratégie ou « la solution politique » au problème terroriste, n’a été expérimentée nulle part, et est surtout prônée par les médias occidentaux. Ces médias ont un point de vue erroné qui consiste à dire que la lutte anti-terroriste en Egypte, en Libye et dans certains pays arabes et islamiques nécessite une intervention politique.[1]

 

Il suffit de souligner, pour confirmer la fausseté de cette vision et ses arguments fallacieux, qu'il n'y a pas un seul pays au monde qui ait adopté la solution politique face au problème terroriste, de l'émergence d’Al-Qaïda jusqu’à l’avènement de Daech. La stratégie anti-terroriste algérienne dont s’inspirent ces médias, n’a eu recours aux solutions politiques, qu’au terme d’une âpre lutte livrée par l’armée et les services de sécurité. Rappelons ici que la loi de concorde civile et de réconciliation nationale n’a été appliquée qu’aux groupes terroristes qui ont déposé les armes, et décidé de s'intégrer au sein de l'Etat. L'expérience anti-terroriste algérienne a combiné les approches rigide et souple de manière progressive et non subite [2].

 

Bien que cette stratégie algérienne ait contribué à mettre fin à la violence sanglante, perpétrée par les groupes armés, et à intégrer près de 15 mille djihadistes au sein de la société, elle ne peut pas être généralisée à tous les pays qui souffrent du terrorisme. En effet, certains facteurs rendent ineffective cette stratégie dans beaucoup de pays. Il y a d’abord les circonstances et le contexte très différents dans lesquels le terrorisme est né après le 30 Juin 2013. Soulignons aussi la complexité du phénomène terroriste, et le fait qu’il va au-delà des limites de l'Etat, et enfin il y a l'interaction entre les groupuscules locaux et les organisations transcontinentales (En Egypte les Frères musulmans coordonnent avec Daech). Ces facteurs paralysent également les visions qui s’inspirent de cette stratégie. En effet, chaque pays a ses caractéristiques et ses défis.

 

Etant donné ce qui précède, nous pouvons dire que la lutte contre les organisations terroristes dans certains pays de la région arabe et islamique, exige l'application du premier volet de la stratégie algérienne, et le report du second volet, qui consiste à intégrer socialement et politiquement, en une période indéterminée, les groupuscules terroristes.

La raison est que ces groupuscules refusent d’arrêter la violence, et l’usage des armes. L’autre raison est que l'un des facteurs clé de la réussite de l’expérience algérienne fait défaut, à savoir le rôle médiateur de certains groupes de l'Islam politique pour réduire la violence et soutenir l'Etat. En effet, certains groupes politiques islamistes en Algérie, comme le mouvement de la société pour la paix (MSP) ont été partenaires de l'Etat face aux groupes armés. Ils ont joué le rôle de médiateur pour réintégrer les militants et les appeler à déposer les armes [3]. Cette condition ne peut être réalisée à l'heure actuelle, car un grand nombre de groupes politiques islamistes sont devenus des organisations terroristes, et leurs membres ont pris les armes contre les institutions de l'Etat. C’est le cas de la confrérie des Frères musulmans en Egypte et des groupes de l'Islam politique en Libye.

 L’objet de cette étude est de savoir à quel point la stratégie anti-terroriste algérienne est valide, et dans quelle mesure elle est applicable aux organisations terroristes actuelles. Il s’agit aussi d’expliquer les fondements de la réconciliation algérienne, qui ont été le principal motif derrière l'acceptation par les organisations terroristes locales en Algérie, des conditions posées par l'Etat. De même, l’étude porte sur l’évolution des organisations terroristes dans les pays où certains auteurs occidentaux appellent à appliquer la stratégie algérienne ou des stratégies inspirées de celle-ci et leurs chances de réussite.

Dans ce contexte, l'étude cherche à répondre aux trois questions principales suivantes

- Quelles sont les caractéristiques de l'expérience algérienne de lutte contre le terrorisme des années 1990, et quels sont les facteurs qui ont contribué à sa réussite ?

- Quels sont les obstacles face à la généralisation de la stratégie algérienne dans les pays où le terrorisme est actif ? Une nouvelle stratégie inspirée de celle-ci est-elle possible ?

- Quelles sont les limites du modèle algérien dans l’environnement arabe et islamique, et quels sont les pays dont la situation interne est conciliable avec cette stratégie ?

 

L’étude est divisée en trois axes : le premier aborde la stratégie anti-terroriste algérienne des années 1990. Le deuxième porte sur les obstacles qui se dressent face à l'application de cette stratégie. Quant au troisième axe, il mesure la possibilité d'appliquer le modèle algérien dans certains environnements qui font face au terrorisme depuis 2013.

 

Le premier axe – la stratégie algérienne de lutte contre le terrorisme :

 

Avant d’expliquer la stratégie du président algérien Abdelaziz Bouteflika visant à réduire la violence armée, et à intégrer les mouvements islamistes au sein du régime, après les avoir épuisés militairement, nous devons d’abord aborder les mécanismes visant à rétablir la sécurité de même que les composantes de cette stratégie et les étapes de sa mise en œuvre.

 

La stratégie et son environnement

 

La crise a atteint son comble entre le régime du président algérien, Liamine Zéroual, arrivé au pouvoir en Novembre 1995, et les mouvements islamistes. Les manifestations de la violence politique étaient liées à la situation économique et sociale, ce qui a précipité l'Algérie dans une lutte permanente entre le régime politique et les mouvements islamistes. La violence et les massacres se sont intensifiés et sont devenus quasi quotidiens dans  les communes et les villages d’Algérie.

L’échec du comité de salut national a ravivé la crise. Ce comité a été mis en place en Juin 1994 en tant que mécanisme de rétablissement de la paix civile, mais il a échoué après la découverte d'une lettre d'Ali Belhadj, fondateur du Front islamique du salut (FIS), interdit en Algérie, adressée à l’émir du Groupe Islamique Armé (GIA), Sharif Kouasmi, qui a été tué lors d'un affrontement avec les forces de sécurité le 26 Septembre 1994. Dans cette lettre, Belhadj demande à Kouasmi de poursuivre la violence armée et assure qu’il rejoindra le GIA une fois sortie de prison. [4]

 

Après l’échec du dialogue national, la démission de Zéroual, le refus de la réconciliation par les groupes armés, et la détérioration de la situation au point que l’Algérie vivait au rythme des massacres, le pays a fait en 1999 ses premiers pas vers la fin du bain de sang en adoptant la loi sur la réconciliation nationale. Six ans plus tard, en 2005/06, l'Algérie a atteint la deuxième et dernière étape du processus de réconciliation en lançant la Charte de la paix et la réconciliation nationale, mettant ainsi fin à la violence folle. [5]

 

La loi sur la réconciliation nationale qui représente le premier volet de la stratégie algérienne flexible stipule que « Ne seront pas poursuivis par la justice les membres des groupes armés qui se rendent aux autorités dans un délai de six mois à compter du 13 mai 1999, qui n'ont pas commis de crime ayant provoqué la mort d'une personne, ou lui ayant causé un handicap, et qui n’ont ni participé à un viol, ni utilisé des explosifs dans un lieu public ou fréquenté par la population, ». 

 

Ceux qui ont commis de tels crimes ou qui y ont participé bénéficieraient d’un allègement des peines prononcées à leur encontre. Les personnes qui se rendent aux autorités dans un délai de trois mois bénéficieront, elles, d’un allègement plus grand. La loi a exclu les peines de mort ou de prison à vie pour les membres des groupes armés qui se rendent aux autorités dans un délai de six mois, quels que soient les crimes qu'ils ont commis. [6]

L'article 41 est l’un des plus importants de la loi. Il stipule que : « les dispositions de cette loi ne s’appliquent qu’aux membres des organisations qui ont décidé spontanément et de leur plein gré d’arrêter la violence, et se sont mis à la disposition de l'Etat ». Cet article a servi de base à l'amnistie décrétée par le président Abdelaziz Bouteflika en faveur des groupes armés en janvier 2000, c’est-à-dire trois mois avant la fin du délai fixé par la loi sur la réconciliation nationale [7].

 

Plus flexible, le deuxième volet de la stratégie algérienne, est celui de la réconciliation nationale et la Charte de la paix. Il s’agit là du plus important mécanisme utilisé par le président, Abdelaziz Bouteflika, pour amener les groupes armés à abandonner la violence, et à s’intégrer au sein de la société. Ce mécanisme a été mis en place après la libération des dirigeants du Front islamique du salut (FIS), ayant purgé leurs peines. La réconciliation et la Charte de la paix sont basées sur un règlement politique et pacifique de la crise. Elles abordent de nombreux dossiers qui n'ont pas été abordés par la loi sur la concorde civile et l'amnistie présidentielle qui l’a suivie [8]. Le plus important de ces dossiers est celui des détenteurs d'armes et celui des disparus.

L'Algérie a témoigné à cette époque d'une vague de protestations parmi les familles de ces disparus. La stratégie algérienne s’est occupée aussi du dossier des familles des terroristes emprisonnés ou tués, et de celui des personnes impliquées dans le soutien au terrorisme. Après la victoire du président Abdelaziz Bouteflika aux élections présidentielles de 2004, le chef de l’Etat a inclu au programme de son gouvernement le principe de la réconciliation nationale et a avancé l'idée d'une réconciliation globale [9].

 

Deuxièmement : Les étapes de la stratégie et les résultats de son application

 

Le président Abdelaziz Bouteflika a adopté une méthode progressive pour appliquer la partie flexible de la stratégie algérienne. Celle-ci fait suite à la partie ferme qui était basée sur une âpre confrontation avec les mouvements armés par l'armée et les forces de sécurité. Cette partie flexible commence avec la loi sur la concorde civile et l'amnistie, et se termine par la Charte de la paix et de la réconciliation nationale globale. Bouteflika a réussi à travers ce mécanisme à rassembler toutes les forces et courants conservateurs et islamiques algériens, qui rejetaient l'idée d'un dialogue et d’un arrêt de la violence. Bouteflika a donné forme à l'idée de réconciliation en promulguant la loi sur la concorde civile. Celle-ci a servi de cadre légal pour traiter le problème de la violence politique. Le chef de l’Etat algérien a décrété une amnistie générale en faveur de certains membres des groupes armés qui ont accepté la trêve de leur propre chef. [10]

La loi sur la concorde civile, dont l’application était la première stratégie de rejet de la violence et de réconciliation, a accordé une amnistie conditionnelle aux islamistes extrémistes disposés à se rendre à la justice, et à cesser la violence avant le 13 janvier 2000. Trois jours avant cette date, Bouteflika, annonçait une amnistie générale. Celle-ci englobait un groupe spécifique d’islamistes armés, qui ont accepté de déposer les armes et de démonter les structures auxquelles ils appartiennent. Beaucoup ont bénéficié de ce décret dont des membres de l’Armée islamique du salut (AIS) et de la Ligue islamique pour la da’wa.

 

 Ainsi, la promulgation de la loi sur la concorde civile et l'application rapide de ses dispositions a été le point de départ du processus de réconciliation de Bouteflika. Cette loi a joué un rôle majeur dans l'intégration d’environ 5500 membres des groupes armés (Front islamique du salut et Jihad islamique) impliqués dans des actes de violence, de vandalisme et de terrorisme, et qui ont volontairement cessé leurs attaques entre janvier 1999 et janvier 2000. [12]

 

Bien que la loi sur la concorde civile n'ait pas complètement éliminé le risque d'insurrection armée, et bien qu’elle ait donné lieu à une certaine réussite au niveau du dialogue entre le régime politique et les groupes islamistes armés, qui ont bénéficié de l’amnisitie, le président Bouteflika a répété pendant son premier et deuxième mandat que « c’est grâce à cette loi que 6000 pièces d’armement ont été restituées à l’Etat, et que l’Etat a pu rétablir la sécurité même partiellement, ceci suite à un accord avec ladite Armée islamique du salut (AIS). Bouteflika a toujours répété aussi que la concorde civile a permis d'éliminer toutes les tentatives sataniques visant à disloquer l'Etat algérien et a permis de mettre fin à l’effusion de sang et de restaurer la sécurité.

 

De ce qui précède, on peut dire que la réconciliation nationale a pris fin en l'absence d'un accord entre les mouvements islamistes sur la nature de leur relation avec le régime du président Abdelaziz Bouteflika. En effet, même les groupes armés comme le GIA et l’AIS étaient divisés sur l’attitude à adopter face au régime. Certains de ces groupes ont opté pour la réforme. Ils ont formé le courant dit « réformiste ». D’autres ont accepté l’arrêt de la violence, mais n’étaient pas satisfaits de la stratégie de réconciliation. Ils ont formé le courant dit Isti’ssali (de rupture). Notons que l'interaction entre ces deux courants politiques et le régime algérien était inexistante. L’interaction avec le régime du mouvement réformiste mené par Madani Mazoug, chef de l'aile armée du Front islamique du salut, s’est limitée à l’approbation de la réconciliation, mais Marzoug est resté loin de la scène. Quant aux groupes islamistes qui ont interagi avec le régime politiquement, et en sont même devenus partenaires au sein des gouvernements qui ont précédé le printemps arabe, ce sont les groupes de l'Islam politique dont les partis n'ont pas été dissous.

 

 

 

 

1. Communiqué de l’Organisme général de l’Information « Sinaï 2018, la couverture des médias étrangers, entre les mensonges des Frères et la réalité ». Site officiel de l’organisme http://sis.gov.eg/Story/159942?lang=ar [2] 22 Février 2018.

2. Nabil Bouebya Les mécanismes de rétablissement de la sécurité en Algérie sous Bouteflika, Journal des sciences humaines, num 41, sixième année. Printemps 2009.

3. Al-Hassan Baraka Les dimensions de la crise algérienne, les implications, les répercussions et les résultats. Maison Dar Al-Ouma pour l’édition et la traduction, Alger 2007.

4. Adam Qabi’ Le phénomène de la violence politique en Algérie 1988-1999 (thèse de doctorat, département des sciences politiques, université d’Alger, 2003, P 80.

5. Référence précédente P 82.

6. Mohieddine Omaymour Algérie, pays de la réconciliation et la réconciliation avec l’Etat, Al-Hadath Al-Arabi wa Al-Dawli, numéro 51. Avril 2006 p. 25.

7. Référence précédente p 26.

8. Khaled Al-Chayeb Le président Bouteflika et son bilan, Alger Dar Al-hikma 2004 p 63-69

9. Nabil Boueibya, référence précédente p 20.

10. Aboul Fadl Al-Isnawi L’interaction entre le régime politique et les mouvements islamistes en Algérie 1999-2003 (Thèse de magistère, Ligue arabe, Institut des recherches et des études arabes, section de sciences politiques 2014, p 94.

11. Référence précédente, p 96.

12. Abdel-Qader Imam Algérie, les initiatives de réconciliation nationale, dictats et contre conditions, numéro 9533, janvier 2005.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Deuxièmement - Les obstacles devant l'application de l'expérience algérienne, à l'heure actuelle

L'expérience algérienne est unique dans notre monde arabe et islamique. Ceci revient aux conditions dans lesquelles elle a eu lieu et à  la réconciliation réalisée entre ceux qui ont porté l'arme, tué, terrorisé et fait sauter des cibles, et entre l'Etat. C'est pour cette raison que dans cet axe, nous abordons les raisons derrière le succès de cette expérience. Ceci nous mène également à faire des recherches et à voir la possibilité de la répétition de cette expérience à la lumière de la conjoncture dans d'autres pays et dans d'autres régions du monde arabe et islamique. Ceci nous pousse aussi à clarifier les obstacles entravant sa généralisation.

Premièrement- Les facteurs de succès de la stratégie algérienne dans les années 90

La violence née en Algérie est due aux mouvements islamiques armés après l'annulation des résultats du premier tour des élections législatives en 1991. Ces mouvements  croyaient que, seule la force des armes, pourrait leur permettre de réaliser l'instauration de l'Etat islamique. Le succès donc réalisé pour mettre un terme à cette violence revient à de nombreux facteurs, dont quelques-uns sont clairs, puisque déclarés par l'Etat algérien et ses institutions, alors que d'autres demeurent cachés mais qu'on pourrait deviner en méditant sur l'expérience algérienne.

Par conséquent, la stratégie algérienne, en calmant le terrorisme et en desséchant ses sources, s'est alors basée sur deux volets complémentaires. Le premier a été le volet de la force, représenté dans la confrontation menée par les forces de sécurité et par l'Armée contre ces organisations. Ce qui a débouché sur l'encerclement progressif de ces organisations et la fuite de la plupart de leurs membres vers les villes et les monts. (1)

Quant au second volet, ce fut celui de la flexibilité. Il a comporté une opération d'intégration conditionnée. Ce processus a donc commencé après avoir déstabilisé ces organisations et après avoir réduit le niveau de leur violence. Le volet de la force a causé un échec au niveau de toutes les tentatives d'unification des mouvements islamiques armés au cours de cette période. La coopération était entre elles seulement et à ses plus bas niveaux.

Autrement dit, le régime s'est basé, dans sa confrontation avec les islamistes fondamentalistes, sur deux piliers principaux. Le premier était une répression tranchante à l'intérieur après la phase de la tolérance relative. Tandis  que le second pilier s'était focalisé sur l'intensification de la négociation apparente ou évasive, dans le but de boucler tous les débouchés sur la scène internationale face aux islamistes.

Pour clarifier et mieux expliquer cela, nous pouvons dire qu'il existe plusieurs facteurs ayant aidé aux succès de la stratégie algérienne de lutte contre le terrorisme. Des facteurs avec leurs deux dimensions, celle de la force et celle de la flexibilité. Ces facteurs peuvent être définis comme suit :

1- Le caractère local du phénomène du terrorisme en Algérie dans la période des années 90. Les groupes armés sur lesquels a été appliquée l'expérience algérienne ont été teintés d'origine locale. L'exemple le plus éminent d'une de ces organisations armées et qui ont subi un déclin avant l'accession du président Bouteflika au pouvoir, celle du Mouvement islamique armé (MIA), commandé par Abdelkader Chebouti. Le Mouvement a été

dissous après la mort de ce dernier en 1993. Egalement, un autre exemple, celui du Mouvement Pour un Etat islamique (MEI), commandé par Saïd Makhloufi, fondateur du Front du Salut, qui s'est séparé du parti en 1991. Ce Mouvement a aussi disparu après la mort de Makhloufi en 1997.

Quant aux mouvements armés qui sont demeurés des acteurs efficaces dans des périodes successives pour le président Bouteflika - et dont certains sont restés en confrontation avec le régime et n'ont pas pu pratiquer le travail politique, nous pouvons citer la Jama’a Islamiya, co-fondée par Mansour Meliani et Mohamed Allal en 1992. La Jama’a a évolué après la répression à l'encontre de ses deux leaders, et elle est restée active jusqu'en 2004. Citons également le Mouvement de l'Armée islamique du Salut, fondé en 1994 par des éléments du Mouvement islamique armé, et qui s'est lié au Front islamique du Salut, avec comme leader les deux combattants Madani Mezrag et Ahmed Ben Aïcha. Ledit Mouvement a été liquidé en l'an 2000. (2)

2- Le médiateur politique, représenté dans les groupes algériens de l'islam politique à l'époque, et qui était capable de présenter la vision du gouvernement aux groupes armés. Les mouvements islamiques modérés ont, sur un autre plan, rejeté la violence, et se sont alliés à l'autorité. Les deux mouvements : Hasm et Ennahdha ont appuyé Bouteflika à l'élection présidentielle, pour trois mandats successifs.

3- L'absence du rôle des tribunes médiatiques du terrorisme. Chose qui a aidé à l’assiègement de ce phénomène et a prévenu son extension vers l'intérieur, et son alliance avec d'autres organisations terroristes de passage dans l'Etat, tout comme ce qui s'est passé après 2013 dans la région arabe.

4- Le désir de réconciliation pour les parties, soient-elles des groupes armés assiégés ou le régime politique. Les mouvements armés ont reconnu les institutions de l'Etat et leur légitimité. Ils ont également accepté leurs conditions pour conclure la réconciliation. Par conséquent, nous pouvons souligner que les organisations qui sont entrées en rébellion armée depuis 1992, quelques-unes d'entre elles ont effectué une réconciliation avec le régime, sans participer avec ce dernier sur le plan politique. Tandis que les autres organisations ont continué à "légitimer" la violence armée contre le régime. D'autres mouvements ont connu la libération de leurs leaders, sortis des prisons, et ont fini par disparaître après la mort de ces derniers.

5- La position à l'intérieur et à l'extérieur vis-à-vis de la réconciliation. Le peuple algérien s'attachait à n'importe quelle initiative porteuse d'espoirs pour mettre un terme à la crise, et ce, à cause de la situation dramatique qu'il a vécue au cours de la période appelée "la grande sédition". Les positions des partis politiques sur la loi de la concorde civile et de la réconciliation nationale se sont ralliées sur un point axial, dont l'essentiel est le fait que la réconciliation est une demande populaire, et que les parties objectant contre, n'étaient qu'une minorité, et donc ne représentant rien face au pouvoir et à la force des prérogatives constitutionnelles du Président.

Quant à la position internationale vis-à-vis de la réconciliation, nous pouvons dire qu'elle s'est limitée à des organisations des droits de l'Homme, dont le seul intérêt était leur préoccupation de voir la réconciliation déboucher sur une privation des familles des victimes du terrorisme de leurs droits. Ces organisations craignaient aussi de voir pas mal de tranches sociales, qui ont été victimes du désastre national, passer sous silence. (3)

Deuxièmement - Les obstacles devant la généralisation de l'expérience à l’heure actuelle

Il serait peut-être impossible d'exporter le modèle algérien vers tous les pays arabes et islamiques, où les organisations terroristes locales ou transrégionales commettent des actes de violence, vu la particularité de chaque pays, ses habitudes et ses coutumes. Les obstacles majeurs face à la généralisation de l'expérience algérienne sont les suivants :

1- Le caractère mondial du terrorisme que connaissent à présent les pays de la région, des points de vue extension, prolifération et financement, ce que l'Algérie n'a pas connu lorsqu'elle appliquait sa stratégie. Le phénomène mondial du terrorisme revêt plusieurs aspects, dont le plus dangereux serait le financement à multiples sources et la coopération entre les services de renseignements internationaux, dotant les éléments terroristes d'informations pour faciliter leurs missions.

2- Perpétrer des attentats d'après le modèle mondial. Le terrorisme qui cible, à présent, certains pays arabes et islamiques, diffère de celui que l'Algérie avait affronté dans les années 90. Les terroristes ayant perpétré des attentats après 2014 se sont basés sur des plans conformément au modèle mondial qui se caractérise par l'offensive surprise et les attaques rapides, ainsi que par les embuscades et la pose de mines dans les zones montagnardes et les zones rurales, pour pouvoir tuer les hommes de sécurité et les officiers de l'armée. (4)

3- Les organisations terroristes actuelles refusent de déposer les armes, et donc cette condition manque, et à laquelle s'engageaient les organisations armées en Algérie. Cela signifie que les gouvernements des Etats exposés au terrorisme ne penseraient jamais à appliquer la deuxième partie de la stratégie algérienne, vu l'insistance de toutes les organisations terroristes actuelles - locales et internationales - à porter les armes face aux forces de l'armée, de la police et face aux civils.

4- Perte du rôle du médiateur politique et la transformation, à présent, des groupes de l'islam politique d'un médiateur en un partenaire dans les actes de violence (5). Cela pourrait être un facteur important pour accepter la suggestion d'une réconciliation avec les groupes de l'islam politique ayant commis des actes de violence ou avec d'autres groupes après 2013.

5- Le rejet populaire de l'idée de la réconciliation, c'est que la majorité des peuples des pays arabes et islamiques refusent l'idée de réconciliation avec le terrorisme, à partir d'une base juridique et constitutionnelle. En plus, la majorité de ces peuples qui s'exposent au terrorisme, sont d'accord avec leurs gouvernements d'opter pour la confrontation de force.

6- La propagation du phénomène des médias dirigés qui s'alignent sur le terrorisme et le radicalisme et qui suscitent à présent les troubles et le chaos. C'est là un volet contraire aux caractéristiques de l'environnement dans lequel a été appliquée l'expérience algérienne, et dont la plus importante était la fermeture des domaines médiatiques algériens lors de la crise. A présent, la chaîne Al-Jazeera et les chaînes des

Frères, qui diffusent leurs émissions à partir de la Turquie, sont des tribunes dangereuses qui aident à la prospérité du phénomène du terrorisme et à sa propagation et non pas à son assiègement. (6)

7- La mal-exploitation des questions des droits de l'Homme et des libertés de la part des organisations internationales et des médias occidentaux, et le fait de ne pas faire la distinction entre ce qui a trait aux droits de l'Homme et la réaction des gouvernements vis-à-vis des crimes terroristes. Egalement, citons la vision erronée de l'Occident quant au règlement politique du terrorisme, en le considérant comme une option alternative à la confrontation de force pour endiguer la violence. Et par la suite, cette vision occidentale contribue à faciliter la circulation des terroristes et leur propagation, tout comme elle aide à étendre ces mouvements au point qu'ils deviennent une entrave face à la possibilité d'appliquer la stratégie algérienne. Le succès de cette dernière se base sur l'absence, à l'époque, de l'appui international et régional au phénomène des groupes terroristes algériens et sur l'idée de limiter leur confrontation et leur encerclement à l'intérieur de l'Algérie. (7)

Troisièmement - Les limites des chances d'application (Les climats propices pour la mise en œuvre de la stratégie)

L’incompréhension notoire des causes internes que connaissent les pays, où sont commis des attentats terroristes, et qui sont perpétrés grâce à la coopération entre les groupes de l'islam politique qui ont opté pour la voie de la violence et les groupes djihadistes armés transfrontaliers, ce qui pousse beaucoup d'écrivains occidentaux à faire la propagande de la réconciliation politique avec les terroristes. Cela signifie l'application de la deuxième partie de la stratégie algérienne de lutte antiterroriste.

La réalité rend impossible l'application de cette deuxième partie, dans des pays comme l'Egypte et la Libye. Cette partie représentée notamment par l'entente et la réconciliation. Toutefois, il est possible d'appliquer le modèle algérien dans le cas du Mali.

Premièrement : Des environnements contradictoires (L'Egypte et la Libye)

Les évolutions dangereuses par lesquelles sont passés les Frères en Egypte, et leur enlisement avec des organisations terroristes internationales comme Daech et Al-Qaïda, marquent alors l'échec de l'application du modèle algérien en Egypte. Ceci s'explique par le fait que ce que l'Algérie avait connu dans les années 90 du siècle passé, diffère complètement de ce que l'Egypte avait connu après la révolution du 30 juin 2013. Ceci implique la différence entre les deux pays, en ce qui concerne les moyens de règlement du terrorisme.

En faisant la comparaison des circonstances algériennes qui ont précédé la loi sur la concorde et la réconciliation nationale, avec ce qui se déroulait en Egypte, 5 ans durant, comme violence sanglante commise par les groupes des Frères, cela nous mène au constat de l'invalidité de la stratégie algérienne en Egypte (8).

De surcroît, la relation qui lie les Frères et Daech, et l'appui des Frères aux crimes commis au Sinaï par Ansar Bayt Al-Maqdis, ainsi que leur alliance effective et officielle avec ce groupe, en plus de l'insistance de la Jama’a et des groupes terroristes l'appuyant, à ne pas déposer les armes et à poursuivre la violence sous toutes ses formes, tous ces facteurs mettent en échec la condition essentielle sur laquelle s'est basée la deuxième partie de la stratégie algérienne de lutte contre le terrorisme dans les années 90.

Ce qui est plus important et qui échappe à ceux qui appellent à la généralisation de l'expérience algérienne et à son application en Egypte avec ses deux parties, est le  le refus des Frères d'arrêter la violence et la poursuite, par ses ailes militaires comme le Mouvement Hasm et "Liwaa Athawra", de lever les armes face à l'Etat égyptien, ainsi que le refus par les Frères de reconnaître les institutions de l'Etat - tous ces faits révèlent que la violence des Frères et des organisations qui les appuient, que ce soit sur le plan local ou international, exige une confrontation de force de la part des forces armées et de la police.

En plus, l'entourage géostratégique de l'Egypte limite actuellement la confrontation du terrorisme au traitement sécuritaire seulement. La situation géographique de l'Egypte fait d'elle une cible tout le temps en plus des conséquences de la conjoncture libyenne sur l'Egypte. (9)

Parlant des probabilités de succès, en Libye, du modèle algérien, nous pouvons dire que l'Algérie et la Libye sont deux Etats bien différents, sur les plans politique et social. L'absence d'une armée officielle puissante en Libye sous l'ère Kadhafi, a poussé le régime libyen à dépendre, à l'époque, des factions armées supervisées par les fils de Kadhafi pour ainsi se substituer à l'armée. Kadhafi dépendait également des comités révolutionnaires et de la Garde révolutionnaire qui remplaçaient alors l'organe officiel de la Police. Cela a occasionné la perte, en Libye du facteur essentiel qui aide au succès de la stratégie algérienne de lutte antiterroriste, et qui est : l'absence des institutions sécuritaires officielles libyennes qui peuvent mettre en oeuvre la stratégie algérienne avec ses deux volets, la force et la flexibilité.

L'Algérie, dans les années 90 du siècle dernier, était un Etat qui possédait une armée où étaient absentes les appartenances tribales et familiales, alors que la Libye aujourd'hui, ne possède pas d'armée - en dépit des allégations des médias. La société libyenne est désunie et chaque partie ne veut pas être dominée par l'autre. Aussi, faut-il souligner qu'un appui apporté par des groupes armés à l'armée libyenne dans sa bataille contre le terrorisme, allonge la durée de la confrontation de force,  surtout que ces milices jouent ce rôle dans le but de réaliser des acquis politiques, via des partenaires de l'extérieur. (10)

De ce qui est susmentionné, nous pouvons déduire que l'absence d'une armée libyenne de consensus, ainsi que les acquis politiques réalisés par les milices armées - le mouvement salafiste en fait partie - cela les prévient de déposer les armes, qui constitue une phase antérieure à la négociation, suivie de la réconciliation puis de la stabilité, comme avaient fait les mouvements armés en Algérie.

La guerre civile qui se déroule actuellement en Libye et la guerre par procuration entre les pays, font perdre tous les facteurs pouvant aider à appliquer, sur cette terre, la stratégie algérienne de lutte contre le terrorisme.

Deuxièmement - le succès de la stratégie dans quelques modèles africains (Le modèle du Mali)

Il n'existe pas jusqu'à présent un modèle ou un programme idéal qui pourrait être généralisé pour lutter contre les organisations terroristes, bien que l'expérience algérienne soit un point d'élan utile pour faire évoluer de nouvelles initiatives de lutte contre l’extrémisme dans d'autres régions du monde, d'autant plus après son clonage et

son application au Mali, et dont les circonstances au début de l'an 2012, ressemblaient aux conditions politiques qui régissaient en Algérie dans les années 90.

En fait le Nord du Mali était tombé au cours de cette période sous la dominance des groupes armés liés à Al-Qaïda. En plus, un combat contre ces organisations militaires avait été dirigé en janvier 2013 par des forces françaises, qui ont réussi à chasser, vers les montagnes, la plus grande partie de ces organisations. Cette étape ressemble au volet de force de la stratégie algérienne. C'est pourquoi nous pouvons déduire que l'environnement financier est le seul qui aiderait à appliquer une stratégie clonée du modèle algérien, et c'est justement ce que le président du Mali, Ibrahim Boubacar Keita, avait confirmé fin 2017. Il avait alors annoncé le projet de réconciliation et d'amnistie, complètement copié de l'expérience algérienne.

Ce projet comporte une amnistie et une réconciliation avec tous ceux qui ont été impliqués dans une révolte armée, à condition que leurs mains ne soient pas entachées de sang, allusion aux groupes armés au Nord du Mali.

Ce que le président du Mali avait précédemment confirmé, révèle le clonage de sa vision de la stratégie algérienne, tout comme la réconciliation annoncée par le Mali, via un projet de loi sur "l'entente nationale”, dicte également des mesures exceptionnelles d'arrêt de poursuites judiciaires et l'amnistie à quelques-uns des protagonistes de la révolte armée en 2012. Ajoutons le programme de réintégration de tous ceux qui ont déposé leurs armes et se sont engagés ouvertement à rejeter la violence. (11)

En conclusion, nous pouvons souligner que la stratégie algérienne ne peut pas être généralisée à présent, et toutes ses bases ne peuvent pas être mises en oeuvre  dans certains pays, à cause de la différence entre les circonstances et les contextes où est né le terrorisme depuis juin 2013, et celles du terrorisme des années 90 en Algérie.

 

 

 

 

(1) Aboul Fadl Al-Isnawi - encyclopédie passée, page 104

(2) Dr Faten Youssef Al-Maadidi - Le mouvement islamique en Algérie, Centre de l'industrie de la pensée et des études et des recherches - Institution Al-Intichar Al-Arabi, Beyrouth- Liban. Première édition, page 112.

(3) Mohamed Boudiaf - L'avenir du régime politique algérien - une thèse de doctorat (Université Al-Azhar, faculté de sciences-po) 2008, page 178.

(4) Estimation d'une position, "La réalité du terrorisme en Tunisie", le Centre des études stratégiques et diplomatiques- Londres, mars 2018, sur le lien :

http://www.csds-center.com/archives/8072

(5) Mohamed Boudiaf- encyclopédie passée, page 160.

(6) Mariam Adli- "Les pratiques des médias arabes appuyant le terrorisme... ancrage de la culture de la violence", Journal égyptien Watani, mai 2014.

(7) Communiqué de l'Organisme général de l'Information, "Sinaï 2018 - une couverture médiatique étrangère entre les faussetés des Frères et les réalités des choses", encyclopédie ancienne.

(8) Diaa Rachwane, "L'Egypte et l'Algérie : la comparaison erronée", Journal Al-Masry Al Yom, mai 2015.

(9) Diaa Rachwane, "Une mission urgente pour l'étude des mouvements islamiques", Journal Al Masry Al Yom, juin 2016.

(10) Rencontre avec Kamel Abdallah, chercheur auprès du Centre des études politiques

et stratégiques de l'Ahram, Le Caire, le 8 mars 2018.

(11) Ahmed Aziz - "Le Mali sur les étapes de son voisin l'Algérie, pour la réconciliation",

L'Anadol, le 26 janvier 2018, sur le lien :

http://bit.ly/2FIV4Dk

 

 

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