"L'Algérie s'est réveillée avec beaucoup de bonheur et de joie" car les gens se sont "libérés d'une lourdeur"
Fayçal Metaoui, journaliste pour le site d'information Tout sur l'Algérie, réagi samedi 9 mars sur franceinfo à la journée de manifestation qui a mobilisé vendredi plusieurs milliers de personnes dans tout le pays contre la candidature d'Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat présidentiel.
franceinfo : Comment l'Algérie s'est-elle réveillée samedi matin, au lendemain de cette mobilisation historique ?
Fayçal Metaoui : Les gens se sont mobilisés dans 40 départements, c'est du jamais vu dans l'histoire de l'Algérie. On n'a jamais vu autant de monde manifester dans la rue. L'Algérie s'est réveillée avec beaucoup de bonheur et de joie. Les gens avaient le sentiment de s'être libérés d'une lourdeur, de quelque chose qui pesait depuis longtemps. Il y avait beaucoup de femmes, de tous âges, des jeunes filles, des grand-mères, certaines portaient même des tenues traditionnelles, des roses : c'était le 8 mars, la journée internationale des droits des femmes. C'était également une fête pour dire non au pouvoir du président Bouteflika, non au maintien du statu quo. [...] Le président Bouteflika est toujours à Genève dans des examens médicaux qui se prolongent, et depuis son départ le 24 février dernier, nous n'avons aucune date sur son retour en Algérie alors que cette semaine sera une semaine cruciale. En effet, le Conseil constitutionnel, qui doit se réunir le mercredi 13 mars, doit décider de retenir les candidatures à l'élection présidentielle du 18 avril prochain. Ce sera donc déterminant, autant pour la population qui rejette le cinquième mandat que pour le pouvoir en place.
Des avocats en robes noires ont manifesté vendredi, cela rappelle le printemps arabe en Tunisie. Les Algériens s'en inspirent-ils ?
Il y a beaucoup de ressemblances. Les Algériens ont retenu pas uniquement la leçon de la Tunisie mais également de l'Égypte, de la Syrie, du Yémen, parce que le pouvoir en place tend à rappeler parfois ce qui s'est passé en Syrie, au Yémen et en Libye qui est un pays voisin, en disant si vous continuez comme ça il y aura des partis qui vont pousser l'Algérie vers la violence. Or, les Algériens savent très bien que c'est un discours qui ne passe plus, c'est un discours de menace. Les avocats, les journalistes, les universitaires, les étudiants sont devenus la locomotive de ce mouvement qui reste pacifique. On insiste sur cette question du caractère pacifiste et civilisé des manifestations puisqu'hier après la fin de la manifestation les jeunes ont ramassé les ordures et nettoyé les rues. Les Algériens ont bien compris que seul le combat pacifique peut avoir des résultats.
Quelle réponse peut apporter le pouvoir en place ?
Le pouvoir aujourd'hui est dans l'embarras et tout le monde le constate parce que l'opposition s'est réunie à deux ou trois reprises pour faire des propositions en disant qu'il ne faut plus maintenir le processus électoral actuel, c'est-à-dire l'élection présidentielle du 18 avril, parce que dans les conditions actuelles il n'est plus possible d'organiser un scrutin de manière sereine. Le pouvoir a plusieurs options et on nous dit qu'il y aura une réunion importante probablement demain ou après-demain, parce que demain il y a déjà un appel sur les réseaux sociaux pour une grève générale dans le pays.
Reporter la présidentielle est-il une option ?
Oui mais à ce moment-là, il faut amender la Constitution parce que la Constitution algérienne ne prévoit qu'un seul cas, c'est celui de la guerre. On peut aller vers le report de l'élection présidentielle, amender la Constitution, comme on peut voir un retrait du dossier de candidature de Bouteflika bien que lui et son entourage ne peuvent pas l'accepter parce que pour lui ce sera une humiliation. Troisième option, le Conseil constitutionnel qui est présidé par un proche du président refuse le dossier de candidature, comme cela a été demandé par les avocats il y a quelques jours. Et la quatrième option, c'est celle qui est proposée par l'opposition, c'est annuler le processus électoral, aller vers une période de transition avec un comité de Sages qui va gérer le pays pendant cette période. Il y a une cinquième option qui est l'application de l'article 102 de la Constitution, mais cela s'applique au président qui est dans une situation d'incapacité, selon les avocats.
Qui d'autre pourrait se présenter à l'élection présidentielle au sein du Front de libération nationale (FLN) ?
Il n'y a plus personne, pour être clair et franc. L'ancien personnel politique, c'est-à-dire la génération de l'après-indépendance de l'Algérie en 1962, est pratiquement dans un stade finissant. Et beaucoup de jeunes qui sont sortis, des milliers pour ne pas dire des centaines de milliers, appellent à changer, appellent à désigner un jeune président. Donc la relève sera vraiment compliquée parce que le FLN, qui est le parti de la majorité parlementaire, qui est un parti qui reste au pouvoir depuis plus de cinquante ans, est en crise très grave. On a vu des divisions à l'intérieur et personne n'arrive à émerger. Donc pour certains la solution est d'aller vers une période de transition pour faire émerger de nouvelles têtes qui pourraient éventuellement diriger l'Algérie plus tard.