À qui profite vraiment la crise des Gilets jaunes ?
Il est indéniable que le mouvement des Gilets jaunes va s'inscrire comme un temps fort de l'histoire politique en France. Il faut donc essayer de comprendre quel est son impact sur le paysage politique et comment il peut éventuellement en redistribuer les équilibres. Plusieurs enquêtes ont été menées, et tant bien que mal, pour tenter de saisir la sociologie des Gilets jaunes, mais elles se heurtent toutes à un problème méthodologique central : on ne dispose pas d'une population de référence pour définir des échantillons fiables. Ce qui a d'ailleurs suscité de nombreuses critiques.
Une autre méthode, assise cette fois sur une représentativité nationale, est de prendre en considération non pas les Gilets jaunes mais les Français qui les soutiennent. Car le mouvement n'a d'importance que dans son effet sur la recomposition politique en cours puisque tout le monde ne peut manifester, ne serait-ce que pour des raisons pratiques ou professionnelles. On part donc ici d'une autre perspective : celle de comprendre l'effet de halo et de cristallisation politique des Gilets jaunes sur l'opinion au-delà de la seule composition des groupes de manifestants. On s'appuie ici sur la vague 10 du Baromètre de la confiance politique du Cevipof qui a été réalisée auprès d'un véritable échantillon représentatif de 2 116 Français entre le 13 et le 24 décembre 2018.
Un soutien fortement clivé sur le plan social
À la fin de décembre 2018, 59 % des enquêtés disaient soutenir le mouvement (dont 30 % « tout à fait » et 29 % « plutôt »), alors que 32 % ne le soutenaient pas (dont 17 % ne le soutenaient « plutôt pas » et 15 % « pas du tout »), 7 % étaient indifférents et 2 % ne savaient pas. L'analyse sociologique de ce soutien montre qu'il est très fortement clivé sur le plan social (voir tableau ci-dessous). On peut, en particulier, observer le contraste entre ceux qui le soutiennent « tout à fait » (636 enquêtés) et ceux qui ne le soutiennent « pas du tout » (314 enquêtés). Alors que les premiers appartiennent aux catégories socioprofessionnelles modestes et populaires à hauteur de 49 %, aux catégories moyennes à 43 % et aux catégories supérieures à 8 %, les seconds appartiennent aux catégories populaires à concurrence de 24 %, aux catégories moyennes à 49 % et aux catégories supérieures à 27 %.
Bien qu'il soit toujours difficile de tracer précisément les contours des catégories sociales étant donné le brouillage des frontières entre catégories moyennes et supérieures, il demeure que le mouvement reste surtout soutenu par une alliance de catégories populaires et moyennes contre les classes supérieures – ce qui semble bien réactiver une forme de lutte des classes. On peut encore illustrer cette opposition en lisant ces données par distribution entre catégories : 40 % des enquêtés appartenant aux catégories populaires soutiennent « tout à fait » le mouvement contre 15 % de ceux qui appartiennent aux catégories supérieures et 10 % des premiers ne le soutiennent « pas du tout » contre 26 % des seconds.