Gabon: ce que révèle le putsch manqué
La tentative de coup d'État militaire a tourné court mais dévoile les maux du pays des Bongo.
Si la vaine tentative de coup d'État déclenchée ce lundi avant l'aube à Libreville fut bien le fait de jeunes officiers, sa dramaturgie aura revisité tous les stéréotypes du putsch "vintage". Rien n'aura manqué. Ni le communiqué martial et grandiloquent lu au micro de la Radio-télévision gabonaise (RTG), conquise dans la nuit, par un gradé inconnu -le lieutenant Kelly Ondo Obiang, "commandant adjoint de la compagnie d'honneur de la garde républicaine"-, flanqué de deux cerbères en treillis de combat, béret vert, gants noirs et fusil d'assaut en travers du thorax. Ni les références incantatoires à la "patrie" qu'il urge de "sauver du chaos", à la "démocratie en péril", aux "intérêts supérieurs de la nation" et à l'impératif de "dignité", nom de code de l'opération. Ni enfin l'annonce de la création d'un conseil national de restauration, au demeurant mort-né.
Tout indique en effet que ce pronunciamiento artisanal a échoué. A en croire Guy-Bertrand Mapangou, le porte-parole du gouvernement, "le calme est revenu" et "la situation est sous contrôle". Mieux, quatre des cinq membres du commando brièvement maître de la RTG auraient été arrêtés, tandis que le dernier membre du quintette cherchait le salut dans la fuite. Feu de paille ? Pétard mouillé ? Une certitude : le vibrant appel au soulèvement lancé par les insurgés, et adressé tant aux militaires qu'à la jeunesse, n'a semble-t-il guère recueilli d'écho.
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Il n'empêche. Ce coup d'éclat avorté trahit le profond malaise dans lequel s'enlise le Gabon, petit "émirat" pétrolier du golfe de Guinée aux mains de la dynastie Bongo -le père, Omar, décédé dans une clinique barcelonaise à l'été 2009, puis son fils Ali- depuis plus d'un demi-siècle. Malaise intensifié par l'absence de l'héritier, victime le 24 octobre dernier à Riyad (Arabie saoudite) d'un sérieux accident vasculaire cérébral (AVC), aujourd'hui en convalescence dans un hôpital de Rabat, chez son ami le roi du Maroc, Mohammed VI.
Dès le début de son propos, la figure de proue des putschistes, qui revendiquait par ailleurs le titre de président d'un Mouvement patriotique des jeunes des forces de défense et de sécurité inconnu au bataillon, avait pris soin de souligner combien le message de Nouvel An d'Ali Bongo Ondimba, diffusé le 31 décembre, a "renforcé nos doutes sur sa capacité à assumer les lourdes tâches liées à sa fonction".
De fait, le bref et laborieux monologue, censé rassurer ses compatriotes, a quelque chose de pathétique : élocution hasardeuse, regard vide et fixe, immobilité de la main droite... Bongo Jr a beau annoncer alors son prochain retour au pays, tout indique qu'il ne recouvrera pas de sitôt ses facultés physiques et intellectuelles.
Un AVC qui laisse des traces
L'épisode de l'AVC a par ailleurs mis en lumière le dévoiement chronique d'institutions confisquées par une caste soucieuse de perpétuer son emprise. Plutôt que de constater la vacance du pouvoir, la Cour constitutionnelle, dirigée par une ex-compagne de Bongo-père, a choisi de transférer l'essentiel des prérogatives du chef de l'État au Premier ministre et au vice-président. Et ce au prix d'une douteuse acrobatie juridique. Il ne s'agissait là, il est vrai, que du énième avatar de la dérive d'une démocratie elle aussi gravement malade.
Car Ali Bongo occupe la magistrature suprême depuis près d'une décennie sans jamais avoir été vraiment élu. Tout indique qu'en 2009, il fut proclamé vainqueur au mépris de la vérité des chiffres. Quant à sa "réélection", en août 2016, elle résultera d'une fraude arithmétique d'anthologie, perpétrée dans la province du Haut-Ogooué, fief familial.
Déficit de légitimité
Certes, le régime est parvenu entretemps, à l'usure, à fragmenter l'opposition, jusqu'à isoler le véritable gagnant du scrutin, Jean Ping, un ancien baron du système Bongo saisi sur le tard par le démon de la dissidence. Reste qu'Ali n'a jamais réussi à apurer son déficit de légitimité.
D'autant que la grogne sociale s'en mêle. Dépendante d'un pactole pétrolier déclinant, anémiée par la dégringolade des cours du brut, l'économie gabonaise végète, tandis qu'éclosent partout conflits du travail, grèves et débrayages, reflets d'une rancoeur également patente dans la fonction publique, l'enseignement et sur les campus des universités.