Année noire pour l'Afghanistan qui craint encore pire en 2019
L'Afghanistan s'apprête à clore une année noire, marquée par des violences record, mais craint que 2019 ne soit pire encore avec la perspective d'un net désengagement militaire américain et d'une élection présidentielle à haut risque, reportée dimanche du 20 avril au 20 juillet.
La récente décision du président Donald Trump de réduire de moitié la présence de soldats américains en Afghanistan avant que les pourparlers de paix aient abouti a réduit à néant les espoirs de nombreux Afghans après 17 ans de guerre.
Cette annonce, que la Maison Blanche n'a toujours pas confirmée, est venue clore une année déjà terrible pour le pays, qui selon certaines estimations se classe désormais en tête des zones de conflit les plus dangereuses au monde, devant la Syrie.
"Cela devient pire chaque jour", constate Mohammad Hussain, étudiant en ingénierie électrique à Kaboul, devenue au fil des attentats talibans et du groupe Etat islamique l'un des lieux les plus à risque du pays pour les civils.
"Il y a quatre ou cinq ans, la sécurité était meilleure que maintenant. Même lorsqu'il n'y a pas d'attentats à Kaboul, on s'attend à ce qu'il se passe quelque chose", souligne-t-il.
Zabihullah Shirzad, 42 ans, propriétaire d'une entreprise de ramassage de déchets dans la capitale, assure ne pas se souvenir d'une année plus sanglante que 2018.
Quant à 2019, "nous verrons plus de tueries et de sang", prédit-il. "Je ne suis pas optimiste pour les négociations de paix".
Le pessimisme atteint des niveaux record parmi les Afghans, selon un sondage de l'institut Gallup publié en octobre.
Selon une récente étude de la Asia Foundation, plus de 60 % des sondés estiment que le pays va dans la mauvaise direction.
Ambulance piégée
Le nombre de civils tués a atteint un record au premier semestre de l'année. Quant aux forces de sécurité, elles sont décimées par les talibans.
L'année a également été marquée par certains des pires attentats à la bombe qu'ait connus le pays depuis 2001, comme celui qui a tué plus d'une centaine de personnes avec une ambulance piégée dans une rue bondée de Kaboul en janvier.
La stratégie agressive mise sur pied en août 2017 par M. Trump pour l'Afghanistan a également contribué au déchaînement de violence.
Selon des données compilées par les organisations américaines Armed Conflict Location et Event Data Project, le nombre de morts liées au conflit a dépassé les 40.000 cette année, soit presque autant que celles recensées en Syrie et au Yémen prises ensemble.
L'Afghanistan aura en outre été cette année le pays le plus meurtrier pour les journalistes avec 15 employés de presse tués dont deux de l'AFP, le photographe Shah Marai et le chauffeur Mohammad Akhtar.
Outre les violences, l'Afghanistan a aussi été frappé cette année par la pire sécheresse de son histoire récente, qui a contraint plus de 250.000 personnes à l'exil.
Des milliers de familles déplacées en situation d'extrême précarité ont dressé des tentes en périphérie des grandes villes, certaines en venant même à marier leurs jeunes filles en échange d'argent ou de nourriture pour survivre.
"Cela a été une très mauvaise année. La situation ne s'est pas améliorée du tout", résume Thomas Ruttig, co-directeur du réseau Afghanistan Analysts Network.
Guerre civile
Certains observateurs décèlent cependant des signaux potentiellement positifs pour l'année à venir.
Un cessez-le-feu inédit de trois jours en juin dernier entre talibans et forces gouvernementales a révélé un fort désir partagé de paix. Les antagonistes de la veille ont été vus se prenant en photo et mangeant des glaces ensemble.
Et la participation des insurgés aux négociations de paix avec des représentants américains ces derniers mois est un bon signe, veut croire Lotfullah Najafizada, directeur du principal groupe de télévision privé afghan, Tolo News.
"Je pense que l'Afghanistan va connaître un certain succès en 2019. J'espère que cela sera une année historique", a-t-il affirmé.
Davood Moradian, directeur général de l'Afghan Institute for Strategic Studies redoute pour sa part que le repli partiel américain - qui pourrait n'être qu'un prélude à un retrait total - ne se traduise par une guerre civile "à dimension régionale" s'il intervient avant un accord de paix.
Pour M. Ruttig, Washington ferait bien de donner la priorité au besoin de paix en Afghanistan face à son propre désir de rapatrier ses troupes et d'économiser de l'argent.
"Ils sont une partie du problème tout en pouvant être la solution", estime-t-il, qualifiant la politique américaine en Afghanistan de "dysfonctionnelle".
L'autre facteur de troubles pesant sur l'Afghanistan en 2019 est l'élection présidentielle, repoussée dimanche du 20 avril au 20 juillet, la date initialement prévue étant jugée irréaliste par de nombreux observateurs.
Le scrutin, auquel l'actuel président Ashraf Ghani compte se représenter, pourrait produire une nouvelle vague de violences comme celle qui a accompagné les élections législatives d'octobre dernier, dont la Commission électorale indépendante n'a pas toujours pas rendu publics les résultats définitifs.
Mais après tant d'années de souffrances, les Afghans sont devenus "plus endurants" et le pays tiendrait malgré tout, souligne M. Moradian.
"Beaucoup d'Afghans ont appris à vivre avec la douleur chronique de la guerre. Elle ne les empêche pas de mener une vie normale", conclut-il.