Publié par CEMO Centre - Paris
ad a b
ad ad ad

Le débat sur le lien entre réfugiés et terrorisme

jeudi 13/décembre/2018 - 12:23
La Reference
طباعة

Les vagues d’émigration clandestine et de réfugiés vers les pays de l’Union européenne ont augmenté ces trois dernières années, des millions de personnes fuyant les guerres civiles au Moyen-Orient. C’est alors qu’un débat a eu lieu entre partisans et opposants à ce phénomène, les partis de gauche restant attachés aux principes des droits de l’homme et aux accords d’accueil des réfugiés, et ceux de droite ne voyant en ces émigrés qu’un danger pour l’Union européenne étant donné les conséquences sécuritaires et politiques de leur présence. Notons qu’en 2015, les pays membres de l’Union ont reçu 1,9 million de demandes d’asile, dont un demi-million provenant de Syriens, et un autre demi-million provenant d’Afghans, d’Irakiens, de Pakistanais et de Nigériens.

Or, les opérations terroristes en Europe ont augmenté en 2015 et 2016, parallèlement à l’augmentation des flux d’émigration, ce qui a eu des conséquences politiques, avec la montée de l’extrême-droite et du phénomène de l’islamophobie, qui a représenté un défi pour les autorités. La question qui se pose alors est de savoir s’il y a un lien entre ces vagues de migrants et les opérations terroristes en Europe ?

 

-     Y a-t-il un lien entre le terrorisme et la présence des réfugiés ?

Suite à la montée de l’organisation Daech au Moyen-Orient, parallèlement aux révoltes du Printemps arabe et aux guerres civiles, le nombre de réfugiés dans les pays voisins et en Europe a augmenté, et nombre d’études et de rapports ont discuté la présence de terroristes se cachant parmi les flux de réfugiés, ce qui a fait craindre une recrudescence des opérations terroristes à nombre de pays ayant ratifié l’accord de 1951 et le protocole des Nations unies de 1967 sur le statut des réfugiés. D’autre part, la relation entre les réfugiés et le terrorisme doit être appréhendée également dans le cadre plus large de la mondialisation.

On peut aborder la question du lien entre les deux phénomènes en se demandant si c’est le terrorisme qui cause l’émigration ou l’émigration qui cause le terrorisme, par le biais de facteurs intermédiaires comme les conflits et les guerres civiles, et il est possible d’y répondre selon les points suivants :

 

-     Le terrorisme politique, cause essentielle de l’émigration et des réfugiés.

L’organisation Freedom House a révélé que près de 129  Etats se trouvaient en phase transitoire post-communisme ; 74 d’entre eux étaient soumis à un régime démocratique à un degré ou à un autre, tandis que 54 connaissaient toujours un régime totalitaire, dont 40 faisant partie des dictatures dures[i].

Nombre de données publiées par les centres gouvernementaux et les organisations internationales montrent que la coercition politique est l’une des causes essentielles des flux migratoires illégaux et des réfugiés, comme cela est prouvé par le cas des réfugiés africains, qui viennent de pays aux régimes autoritaires. Ainsi, selon l’Institut pour l’économie et la paix, environ 92% de l’ensemble des opérations terroristes entre 1989 et 2014 ont eu lieu dans des pays où le terrorisme politique violent est répandu.[ii]

 

-     Les Etats fragiles comme facteur de terrorisme et d’exode des réfugiés

L’absence d’une autorité centrale forte jouissant d’un haut degré de légitimité auprès de secteurs importants de la société, et un gouvernement incapable de faire respecter la loi et l’ordre encouragent les organisations terroristes à exploiter le vide sécuritaire dans les territoires soumis ou non au pouvoir de l’Etat.

De même, le recul du monopole de la force exercé par l’Etat tend à encourager les milices armées à imposer leur contrôle sur certaines zones, ce qui conduit souvent à des pratiques terroristes comme l’épuration ethnique, qui mènent à l’exode interne ou externe. Depuis la fin de la guerre froide, on a vu de nombreux cas où les gouvernements centraux se sont effondrés. Ce fut le cas de la Somalie après le renversement du président Mohammad Siad Barre (1969-1991), à cause de nombreuses crises, ce qui a donné lieu à la montée du mouvement somalien des Chebabs et à la division du pays en plusieurs régions (Puntland, Somaliland, Jubaland et République fédérale de Somalie).

Ces évolutions ont provoqué des flux d’émigration importants à l’étranger, en particulier au Kenya, où se trouve le plus grand camp de réfugiés, celui de Dadab, avec plus de 300000 réfugiés en 2016. Et malgré la présence des forces des Nations unies et de l’Union africaine, le mouvement des Chebabs n’a pu être vaincu jusqu’à maintenant. Citons aussi l’Afghanistan (après 1992), et l’Irak (après 2003), qui souffrent tous deux du terrorisme et de divers types de conflits armés à vaste échelle[iii].

 

-     Le terrorisme d’acteurs non étatiques comme cause de l’émigration et de la demande d’asile

La présence d’organisations terroristes dans un Etat a pour résultat l’exode interne et externe des habitants, pour fuir les règles extrémistes imposées par ces groupes. C’est ainsi que lorsque l’Etat islamique en Irak et en Syrie proclama son prétendu califat à Mossoul durant l’été 2014, la plupart des habitants fuirent et leur nombre passa de 2,5 millions à un million. De même que nombre de ceux se trouvant dans d’autres régions sous le contrôle de l’organisation. Maya Yahya a indiqué que « l’invasion par Daech des territoires irakiens en juin 2014 a conduit à une amplification de l’exode fondé sur l’identité, et à une restructuration des terres sur une base confessionnelle et ethnique. Et l’année suivante, 2,57 millions d’individus ont fui, l’organisation ayant visé des communautés entières vivant dans les plaines d’Irak depuis des siècles. C’est ainsi que les chrétiens de Mossoul ont quitté leurs maisons, mais ils se trouvaient dans une situation meilleure que les Yazidis, les Chabaks, les Mandaïs, les chiites et les Turkmens[iv].

 

-     La guerre civile comme cause de l’émigration et du terrorisme

Entre 1946 et 2016, ont éclaté plus de 259 conflits armés, et malgré le recul des guerres coloniales et des confrontations militaires entre les pays, des guerres civiles ont éclaté, en général accompagnées d’interventions étrangères. Et alors que le nombre de conflits armés a diminué pendant plus d’une décennie à partir de 1992, ils ont éclaté à nouveau à partir de 2003, où l’on a vu entre 30 et 50 conflits continus chaque année. Et en 2015 ont eu lieu près de 37 conflits armés, dont environ 50% dans la seule région du Moyen-Orient, qui ont fait 170000 victimes.

Concernant la Syrie, la guerre civile est la plus sanguinaire depuis la fin de la guerre froide. Depuis 2012, le conflit a fait plus de 53% des victimes des guerres et conflits dans le monde, suivi par celui d’Irak (12%), et d’Afghanistan (12%). Et en 2014, les conflits dans ces trois pays ont fait plus de 80% des victimes de guerres civiles. Ces guerres civiles en Syrie, en Irak et en Afghanistan, avec l’augmentation des opérations terroristes qui en a résulté, ont provoqué l’exode d’un grand nombre d’habitants. Et entre 1978 et 1989, lorsque l’Union soviétique envahit l’Afghanistan, 6,2 millions d’Afghans se réfugièrent en Irak et au Pakistan, et la majorité d’entre eux restèrent dans les pays d’accueil, même après la sortie de l’Union soviétique d’Afghanistan[v]. 

L’invasion américaine de l’Irak entraîna près de 2 millions de réfugiés irakiens dans les pays frontaliers, et 1,7 million de déplacés internes en 2007. Dans le cas syrien, à la fin 2015, on comptait près d’1,4 million de réfugiés et plus de 5 millions de déplacés internes.

Or, le grand nombre de réfugiés dans les pays étrangers est à l’origine de crises économiques et sociales, en exerçant une pression sur les infrastructures du pays d’accueil. Et après la proclamation par Daech de son califat en Syrie et en Irak en 2014, l’organisation a exploité le grand nombre de réfugiés aux frontières européennes pour transférer ses opérations à l’intérieur de l’Europe.

Selon l’Institut pour l’économie et la paix, 88% des attaques terroristes ont eu lieu dans des pays qui souffrent de conflits violents, 11% dans des pays non impliqués dans des conflits armés à ce moment-là, et près de 0,6% dans des pays sans conflits et sans aucune forme de terrorisme politique. C’est pourquoi il est possible de considérer qu’il y a un lien entre le terrorisme lié aux conflits et l’exode des réfugiés. Et en considérant le nombre de victimes des opérations terroristes en 2014, la moitié de ces victimes sont tombées dans cinq pays, qui sont aussi ceux qui occupent les premières places dans l’Indice du terrorisme et des opérations armées : Afghanistan, Irak, Nigeria, Pakistan, Syrie. Notons aussi que dans ces pays sont tombées près de 78% de l’ensemble des victimes des opérations terroristes, et ont eu lieu environ 57% des attaques en 2014[vi].

 

-     Les camps de réfugiés comme cause du terrorisme

On trouve des camps de réfugiés dans plus de 125 pays, et alors qu’ils pensent qu’il s’agit pour eux d’un lieu de séjour temporaire jusqu’à leur retour dans leur pays à la fin de la guerre, la triste réalité est que l’âge moyen de ces réfugiés est de 17 ans. De même, ils pensent que ces camps sont des lieux sûrs loin du spectre de la mort et de la destruction, mais la réalité est toute autre, car ces lieux ne sont pas soumis à la surveillance de la police, et ils vivent dans la misère en attendant que les dirigeants politiques du monde prennent une décision leur permettant de retrouver une vie normale. Ces camps sont comme des prisons et fournissent un terrain fertile au terrorisme, car plus de la moitié des réfugiés sont des jeunes qui sont plus enclins à s’affilier aux groupes terroristes, et ces endroits ouverts facilitent le recrutement de terroristes et de guérilleros[vii].   

L’enrôlement dans les groupes terroristes est ainsi facilité par le fait que les camps de réfugiés sont en contact direct avec les combattants dans les zones de conflit, et l’idée de les rejoindre est plus attrayante pour beaucoup de jeunes réfugiés que la misère dans laquelle ils vivent, d’autant plus qu’ils ne peuvent avoir accès à l’éducation ou à un travail, et restent isolés dans ces camps pendant des années. Par exemple, lorsque des millions d’Afghans ont fui l’invasion soviétique dans les années quatre-vingts, ils se sont retrouvés dans des camps de réfugiés au Pakistan, qui sont devenus des lieux de recrutement des moudjahidines.  



[i] Freedom in the World, nxious Dictators, Wavering Democracies: Global Freedom under Pressure, freedom house, avilable on https://freedomhouse.org/report/freedom-world/freedom-world-2016

[ii] New peace economics analysis inside the latest Positive Peace Report 2018, Institute for Economics and Peace, avilasble on http://visionofhumanity.org/positive-peace/new-peace-economics-analysis-inside-latest-positive-peace-report-2018/

 

[iii] Koser, K. and Cunnigham, Migration, Violent Extremism and Terrorism: Myths and Realities, Global Terrorism Index 2017,  available on http://visionofhumanity.org/app/uploads/2017/11/Global-Terrorism-Index-2017.pdf

[iv] MAHA YAHYA, Refugees and the Making of an Arab Regional Disorder, carnegie middle east center, AVILABLE ON http://carnegie-mec.org/2015/11/09/refugees-and-making-of-arab-regional-disorder/ilb0

[v] International Organization for Migration, International Terrorism and Migration, Geneva: IOM, 2010 available on https://www.iom.int/jahia/webdav/shared/shared/mainsite/activities/tcm/international_terrorism_and_migration.pdf

[vi] Institute for  Economics & Peace, Global Terrorism Index 2015.Measuring and Understanding the Impact of Terrorism Sidney, AVILABLE ON http://visionofhumanity.org/

[vii] United Nations, Refugees victims of terrorism, not its perpetrators, High Commissioner tells, available on https://www.un.org/press/en/2001/GASHC3667.doc.htm

"