Macron, la stratégie du silence en question
Le chef de
l'Etat n'a pas pris la parole depuis les violences du 1er décembre, laissant
Edouard Philippe en première ligne. Jusqu'à quand?
Une sévère reprise
en main. Moins de 48 heures après l'annonce d'un moratoire sur la hausse de la
fiscalité sur les carburants, l'Elysée a tranché dans le vif: exit la
suspension pendant six mois de la taxe carbone, la mesure est tout simplement "annulée" pour 2019. Ce geste
envers les "gilets jaunes", aux airs de désaveu pour Edouard
Philippe, n'a toutefois pas été annoncé publiquement par Emmanuel Macron.
L'information a été dévoilée mercredi soir par la présidence de la République
et confirmée dans la foulée par le ministre de l'Ecologie François de
Rugy.
La dernière
intervention d'Emmanuel Macron remonte à samedi. En déplacement à Buenos Aires
pour le G20, Emmanuel Macron s'était borné à dénoncer les violences commises à
Paris, à écarter tout "recul", puis avait refusé de répondre aux
questions des journalistes. Depuis, silence radio. Le président de la
République privilégie les déplacements -très verrouillés- sur le terrain, sans
prise de parole, sur le thème de l'ordre public. Dès son retour d'Argentine
dimanche, il est allé constater les dégâts autour de l'Arc de Triomphe - en partie sous les huées-, a rencontré les pompiers et les
forces de l'ordre et s'est fendu de deux tweets pour les remercier de leur
action le 1er décembre.
Cette semaine
s'inscrit dans cette lignée. Lundi: déjeuner surprise avec les CRS . Mardi:
visite non annoncée à la préfecture incendiée du Puy-en-Velay, la encore
chahutée par des gilets jaunes. Confronté à la plus grave crise depuis le début
de son quinquennat, le président tente de restaurer sa posture
régalienne par l'image et laisse son gouvernement en première ligne.
Ciblé par une partie de la majorité, Edouard Philippe se place en
bouclier du président de la République. Voire en fusible, conformément aux
institutions de la Ve République. Le chef de gouvernement a reçu lundi les
chefs de parti, a annoncé mardi un moratoire sur plusieurs mesures, notamment
fiscales, avant de défendre ce recul mercredi à l'Assemblée nationale. A lui,
encore, de mettre les mots sur la colère sociale qui gagne le pays. "Il
prend tous les coups", résume un député de la majorité.
Un président en
surplomb, un Premier ministre dans la mêlée. La répartition des rôles obéit à
une logique institutionnelle. Elle cadre moins avec la crise actuelle: Emmanuel
Macron est la première cible des "gilets jaunes" et le niveau inédit
des violences pourrait justifier une intervention présidentielle. Dans la
majorité, certaines plaident pour une prise de parole du chef de l'Etat.
"Le président de la République va devoir s'exprimer, a affirmé ce mardi
sur BFMTV la ministre de la Cohésion des territoires Jacqueline Gourault. Je
suis persuadé qu'il y a dans ce pays une demande de justice sociale plus grande
et un besoin d'ordre et de respect des institutions."
Calmer la grogne
populaire et rassurer France silencieuse: le défi relèverait de la
responsabilité directe du chef de l'Etat, estiment plusieurs voix de la
majorité. "Le discours d'Emmanuel Macron du 27 novembre [sur la transition
énergétique] n'a pas été bien entendu par les Français, glisse la députée LREM
des Hauts-de-Seine Lauriane Rossi. Le président doit s'adresser directement aux
Français sans trop tarder. Il y a certes les gilets jaunes mais aussi des
Français choqués par les violences, qui ont à coeur que le président apporte
une réponse."
Pour dénouer la
crise, un député LREM souhaite un "dialogue direct" entre le
président et les gilets jaunes. Quitte à convoquer la dernière campagne
présidentielle. "Emmanuel Macron excelle dans le dialogue et dans le
face-à-face. Ça avait payé à Whirpool dans l'entre-deux-tours. Il est bon dans cette
configuration, et moyen derrière un bureau. Il gagnerait à être plus
visible." L'absence d'interlocuteurs identifiés rend toutefois complexe
cette hypothèse. En témoigne le camouflet infligé par certains gilets jaunes à
Edouard Philippe, qui ont séché un rendez-vous à Matignon. "Si Emmanuel
Macron tend la main aux gilets jaunes et que personne ne répond, ce sera
interprété à nouveau comme une humiliation, juge le député LREM des Yvelines
Fabien Gouttefarde. Il faut préserver l'institution présidentielle."
Une prise de
parole présidentielle n'est enfin jamais sans risques. Il s'agit d'un fusil à
un coup. L'échec est interdit. A 72 heures de l'acte 4 de la Mobilisation des
gilets jaunes, l'incertitude règne sur l'ampleur des manifestations samedi et
l'Elysée dit redouter "une très grande violence". Dans ces
conditions, le chef de l'Etat pourrait attendre de voir la tournure des
événements avant de s'exposer. "S'il parle avant samedi et que ça
dégénère, il aura parlé pour rien", estime le patron des sénateurs LREM
François Patriat.
Emmanuel Macron, président de la Ve République française
"Les gens souligneraient qu'il ne tient
pas son pays", abonde le député de l'Eure Bruno Questel. Maîtriser le
tempo et ne pas intervenir à contretemps: cette exigence est essentielle pour
Emmanuel Macron. "Ce n'est pas absurde d'attendre de voir comment ça va se
passer samedi. Il faut attendre de voir quelle tournure ça va prendre",
conclut la députée de l'Hérault Coralie Dubost. Dans cette logique, un cadre du
groupe LREM prône une intervention en surplomb. "Sa parole est nécessaire
pour rappeler les valeurs républicaines et le fonctionnement des institutions."