Un niveau de violence « jamais atteint dans les dernières décennies »
Le préfet de police, Michel Delpuech,
a fait le point dimanche des émeutes de samedi, dont l'intensité a choqué les
Parisiens, les élus et les commerçants.
Après le chaos, la désolation. Mais
aussi l'indignation et les questions. Marqué par une escalade de la violence et
des destructions spectaculaires, l'acte III
de la mobilisation des gilets jaunes a rassemblé quelque 136.000
manifestants samedi dans toute la France, selon le ministère de l'Intérieur. Ce
week-end, une troisième personne est morte en marge de la mobilisation, à
Arles, dans les Bouches-du-Rhône, après un accident de voiture dans un bouchon
provoqué par un barrage de «gilets jaunes».
Dimanche matin, la fumée noire qui planait sur Paris
s'était dissipée. Mais la capitale
s'est réveillée balafrée par les scènes de violence et de destruction
qui se sont propagées jusqu'à la nuit tombée, en marge de la manifestation des
«gilets jaunes» sur les Champs-Élysées. «Nous n'avons pas connu une telle
violence depuis mai 1968 à Paris», s'est indignée la maire de Paris, Anne
Hidalgo, dimanche, à la sortie d'une réunion de crise avec les maires
d'arrondissement. «Atterrée», «choquée», elle a évoqué «une crise majeure» et
dénoncé le manque de dialogue avec la place Beauvau. «À aucun moment et malgré
nos demandes réitérées, les élus parisiens n'ont été conviés à travailler
directement avec le ministre de l'Intérieur», a-t-elle déploré.
«Des maires d'arrondissement ont été
alertés par des habitants que des entrées d'immeuble et des parkings avaient
été utilisés les jours précédents la manifestation pour y cacher des barres de
fer, des armes improvisées. Ces informations n'ont pas été utilisées par le
ministère de l'intérieur», précise Colombe Brossel, adjointe (PS) chargée de la
sécurité à la mairie de Paris, taclant au passage «les failles du dispositif».
«Ils ont planqué des pioches. Ils avaient du matériel prêt pour taper sur les
policiers et déceler les pavés», abonde Jeanne d'Hauteserre, la maire LR du
VIIIe arrondissement, qui estime que «tout le périmètre à l'extérieur des
Champs-Élysées n'a pas été suffisamment protégé».
Le bilan du 1er décembre est lourd. Le ministère de
l'Intérieur a recensé 263 blessés, dont 81 membres des forces de
l'ordre. Dans Paris embrasé, les affrontements qui se sont poursuivis jusqu'en
début de soirée ont fait plus de 133 blessés, dont 23 dans la police.
Un manifestant blessé en arrachant la grille d'entrée des Tuileries était
toujours dans le coma dimanche. La police a arrété 682 personnes dont 630 ont
été placée en garde-à-vue. Dans la capitale, 412 personnes ont été
interpellées et 378 placées en garde à vue. «Un niveau jamais atteint dans les
dernières décennies» a commenté dimanche le préfet de police, Michel Delpuech,
lors d'une conférence de presse. Ce dernier a également déploré une «violence
extrême et inédite» contre les forces de l'ordre avec «des jets de marteaux»,
ou de «billes en acier» ou de «gros boulons».
Samedi, alors que la plus belle
avenue du monde était quasiment déserte, cadenassée par un système de filtrage
strict, des heurts ont éclaté aux alentours puis se sont diffusés dans au moins
sept arrondissements. Raids éclairs ou guerre de position avec les CRS, la
violence avait plusieurs visages. Au milieu des fumigènes, des «gilets jaunes» «pacifistes»
observaient, sidérés, ce déferlement. Certains regrettaient de ne pouvoir faire
passer leur message dans ces conditions tandis que d'autres jugeaient que «le
vrai responsable, c'est Macron». Les VIIIe, XVIe et XVIIe arrondissements ont
été les plus touchés. Mais le Ier, IIe, IVe et IXe portent également les
stigmates des affrontements et des actes de vandalisme.
C'est à l'Arc de triomphe, lieu de mémoire et de tourisme
emblématique de la ville, sanctuaire de la tombe du Soldat inconnu, que les affrontements
ont débuté dès le matin, avant de gagner les rues avoisinantes. L'image du
monument pris d'assaut, tagué de slogans tel que «Macron démission» ou «les
gilets jaunes triompheront» est devenu le symbole de l'expression de la colère
des «gilets jaunes» dans le monde entier. «Ils ont même uriné sur le comité de
la flamme!», a dénoncé la maire du VIIIe. L'intérieur de
l'Arc de triomphe a lui aussi été dévasté. Le moulage de la tête de
Marianne y a été brisé.
Mais la liste des saccages est évidemment bien plus longue
après les multiples scènes d'émeutes de samedi. Destructions avenue de la
Grande Armée, barricades improvisées avenue Foch, véhicules en feu avenue
Kléber, saccage de l'avenue Paul Doumer en moins d'une demi-heure, pillage de
magasins de luxe rue de Rivoli, voitures de police brûlées rue du Faubourg
Saint-Honoré… En tout, une centaine de voitures ont été incendiées - 27
carcasses ont été dégagées dès dimanche matin selon le premier bilan de la
mairie de Paris - et au moins une quarantaine de magasins dévastés ou pillés.
Près de 190 départs de feu ont été éteints par les sapeurs-pompiers pendant la
journée. Dans la capitale, le coût des réparations, déjà chiffré à un million
après la précédente mobilisation des «gilets jaunes», s'élèvera à plusieurs
millions. La mairie de Paris se désole de la dégradation de l'image de la ville
à l'étranger, désastreuse pour le tourisme. «Je suis scandalisé que l'on vienne
s'en prendre aux personnes et aux biens, déplore Remy Makinadjian, président du
comité Georges-V, qui rassemble une partie des établissements du “triangle
d'or”. «Nous sommes très inquiets pour les fêtes de fin d'année. Un
acte IV est inenvisageable.»