Paris : réveil douloureux autour de l’Etoile
Au lendemain de ce
samedi de « guérilla » et de « chaos », les habitants et les commerçants
estiment n’avoir jamais connu une telle violence.
Des regards
effarés, l’épuisement des uns, la colère des autres, l’incompréhension de tous.
Ce dimanche dans le quartier de l’Etoile, entre l’avenue Kléber (XVIe), la
Grande-Armée (XVIIe) ou même la très résidentielle avenue Foch, panser les
plaies de la soirée de samedi s’avérait impossible.
Trop d’épaves brûlées à enlever, de
vitres de cafés et de commerces à calfeutrer sous du contreplaqué, d’expertises
à mener dans les décombres de magasins saccagés. Habitants ou commerçants, tous
partagent un désarroi qu’ils n’ont « jamais connu à ce niveau-là », ainsi
qu’estime l’un d’eux, spectateur dépité du ballet des dépanneuses venues
enlever les carcasses de voitures calcinées. « Anarchie », « guérilla urbaine
», « apocalypse », les mots touchent à l’extrême mais « ce qu’on vient de vivre
aussi », estime ce Parisien.
Le spectacle de désolation qui se joue
encore sur le trottoir de l’avenue de la Grande-Armée en est une illustration.
La brasserie de La Belle Armée, ravagée de l’intérieur, a partiellement brûlé,
la façade éventrée d’un magasin d’optique attend d’être protégée, un magma de
deux-roues et de châssis de voitures enveloppe le quartier dans un relent
carbonisé…
Et devant la
pharmacie de l’Etoile, c’est l’abattement. « Quand j’ai vu les images et que
j’ai compris que les casseurs étaient à la Grande-Armée, vers la pharmacie de
ma sœur, je suis tout de suite venu, raconte Marc. Je me suis garé vers
l’avenue Foch et je vous jure qu’en remontant à pied vers la pharmacie, pendant
10 secondes je suis retourné 30 ans en arrière : c’était la guerre. Une
violence inouïe »…
Marc Hallak et sa sœur Imane, dont
l’officine a été saccagée, et a échappé de peu à l’incendie, sont d’origine
libanaise. Ils ont vécu la guerre dans leur pays et ces souvenirs leur sont
revenus comme un boomerang. Du jamais-vu, jamais ressenti. « Franchement c’est
l’incompréhension, s’en prendre à une pharmacie, un lieu au service des gens,
ce n’est pas justifiable ! C’est impardonnable… »
Samedi après-midi,
Imane n’a eu que le temps de fermer les portes en pressentant « l’assaut ».
C’était trop tard, « Ils ont fait exploser l’entrée, tout saccagé et ont
mis le feu à des cartons à l’intérieur. C’est une grande chance que le feu
n’ait pas pris », raconte son frère. Elle est « découragée » et tient à peine
debout, de fatigue et de désespoir. En 13 ans, son officine a déjà essuyé
plusieurs saccages, lors de 3e mi-temps de foot et même par une voiture folle,
encastrée dans la vitrine il y a quelques années… « Je travaille 60 heures par
semaine, là c’est trop », murmure-t-elle.
« Jusqu’où cela
ira-t-il ? » s’interroge une passante, en avouant elle aussi « une grande
tristesse et de la désolation ». « C’était l’anarchie, je n’ai même pas pu
rentrer chez moi, raconte pour sa part Lili, une habitante de la rue Lauriston
toute proche. J’étais porte Maillot vers 16 heures et la police m’a dit de ne
pas remonter, j’ai dû aller dormir chez des amis. Quel chaos ». Sur le
trottoir, des Gilets jaunes sont aussi là pour « donner un coup de main » et
ils sont écœurés. « Il faut aussi le dire, que des Gilets jaunes sont là pour
aider, pas pour casser », martèle l’un d’eux.
Un peu plus loin dans une contre-allée
de l’avenue Foch, le chaos est aussi violent mais plus silencieux. A la place
de la file de voitures garées le long de pavillons à visiophones et alarmes,
une file d’épaves en cendres, roues en l’air. Les riverains promènent leurs
chiens en évitant les obstacles. « Je n’ai pas de mots », lâche l’un d’eux, «
il y avait même des pavés, mais que faisaient des pavés ! », lance une autre. «
Moi j’ai de la chance, ma voiture est garée juste après l’endroit où ils ont
arrêté de cramer… » commente un habitant de l’avenue Kléber.