Rébellion de Wagner : Loukachenko, médiateur entre Poutine et Prigojine pour le meilleur et pour le pire
Le vassal Loukachenko a-t-il été dupé par le maître du Kremlin ? Après la négociation avec le chef de la milice Wagner, qui a permis de mettre un terme à la rébellion de celle-ci samedi 24 juin, Alexandre Loukachenko est devenu, de fait, le nouveau médiateur de Prigojine et Poutine. Cette nouvelle mission renforce certes le leadership du plus vieux dictateur d’Europe et lui permet de gagner des points auprès du Kremlin, mais ce rôle est loin de ne lui conférer que des avantages.
Cet accord conclu samedi tard dans la nuit avec les mercenaires de Wagner prévoit notamment que Prigojine quitte le territoire russe pour la Biélorussie. Le dirigeant biélorusse a confirmé ce mardi 27 juin que le patron de Wagner se trouvait bien en Biélorussie, ajoutant que Minsk bénéficiera de l’« expérience » des combattants de ce groupe paramilitaire. Loukachenko a également assuré avoir su convaincre Poutine de ne pas assassiner Prigojine, selon le Huffpost.
« Loukachenko n’est pas le président du Bélarus, c’est un imposteur, il n’a pas été élu en août 2020, avec moins de 15% des suffrages en vérité, mais a refusé de quitter le pouvoir, en ayant recours à une répression féroce. Nous ne savons pas si c’est lui qui a proposé sa médiation ou si Poutine, ou d’autres, lui ont proposé ce rôle », rappelle Marie Mendras, politologue au CNRS et professeure à Sciences Po, interrogée par LeHuffPost.
L’exil de Prigojine en Biélorussie est « forcé »par Poutine, pense également Katia Glod, chercheuse à l’European Leadership Network à Londres. Mais accepter de récupérer le patron de Wagner permet au moins à Loukachenko d’obtenir des concessions de la part du chef de l’État russe : « par exemple, éviter que le Belarus n’intervienne sur le terrain en Ukraine (Minsk s’y oppose depuis le début de la guerre, ndlr) ». La chercheuse estime aussi que la Biélorussie pourrait demander « une assistance financière ou une aide pour contourner les sanctions occidentales contre le Bélarus ».
Outre le fait qu’il pourrait désormais plus aisément négocier avec le Kremlin, Loukachenko redore en même temps son image, bien égratignée par 30 ans de règne autocratique. « Il s’affiche en homme d’État, en héros et en sauveur », juge Loïc Simonet, chercheur à l’Institut autrichien pour les affaires internationales (Oiip), à Vienne. « Son geste lui a valu les hommages appuyés des médias biélorusses à sa solde, qui ont mis l’accent sur virilité de l’échange téléphonique entre Loukachenko et Prigojine, et les remerciements officiels du porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov », abonde-t-il.
Prigojine est une « bombe à retardement » pour Minsk
Sans oublier qu’accueillir ce chef de guerre pourrait être un moyen pour le dictateur biélorusse de se constituer une « armée personnelle » afin de dissuader toute protestation contre lui ou toute menace potentielle à sa mainmise sur le pouvoir.
Malgré tout, « aider et accueillir Prigojine présente plus de risques que d’opportunités pour Loukachenko », juge Katia Glod, qui argumente : « Il est très inquiet du potentiel de Prigojine à déstabiliser la situation en Biélorussie, par exemple en achetant les services de sécurité biélorusses, en créant une autre milice en Biélorussie qui pourrait se rebeller contre lui. » C’est donc une « bombe à retardement » que Minsk a acceptée sur son territoire, appuie Loïc Simonet. D’autant plus, selon lui, que « la population biélorusse pourrait s’insurger contre la présence d’éléments indisciplinés (parmi les soldats Wagner, ndlr) à la réputation détestable de criminels de guerre ».