Affaire Ramadan : en Suisse et au Qatar, de gros revers pour le théologien
A Genève, un rapport officiel
confirme sa conduite inappropriée avec d'anciennes élèves tandis qu'à Doha, un
ancien proche demande aux musulmans de ne plus le soutenir à cause de sa double
vie avérée.
Sorti de détention provisoire il y
a deux semaines, le théologien Tariq Ramadan, mis en examen pour trois viols en
France et en Suisse, n’en a pas fini avec les soucis. A Genève, un rapport
officiel remis aux autorités politiques du canton le 31 octobre, et
qui devrait être prochainement rendu public, confirme les conduites
inappropriées de Ramadan à l’égard d’élèves dans les années 80 et 90,
révélées en novembre 2017 par le quotidien la Tribune de Genève.
«Tariq Ramadan a eu des
attouchements, des propositions à connotation sexuelle avec au moins trois de
ses élèves mineures dans les années 1986, 87, 89», lit-on dans ce rapport que Libération a pu consulter.
Professeur très charismatique de français de 1984 à 2004 dans divers
établissements scolaires de Genève, il avait l’habitude d’inviter au restaurant
des élèves qu’il raccompagnait en voiture. Lors de leur audition en septembre
par les auteurs du rapport, cinq d’entre elles ont rapporté des faits
similaires.
Polémique
Après avoir dîné avec lui au
restaurant, l’une d’elles raconte «qu’il s’était arrêté sur un parking
isolé, l’avait embrassé et avait eu des attouchements sexuels à son égard». Selon
le rapport, Ramadan aurait aussi entretenu une liaison avec une ancienne élève,
âgée de 18 ans. Son petit ami a prévenu la responsable de l’établissement
scolaire où il exerçait sans qu’il y ait de suites. En revanche, selon le
rapport, le petit ami aurait été menacé de représailles par le théologien.
La révélation par la Tribune
de Genève du comportement de Tariq Ramadan à l’égard de certaines de ses
élèves a provoqué une polémique politique à Genève. Au printemps 2018, le
Grand Conseil (le Parlement cantonal) a ainsi demandé un rapport sur les abus
sexuels dans les établissements scolaires.
Mais pour Tariq Ramadan, les ennuis
ne se limitent pas à la Suisse. Un autre coup est venu du Qatar, le principal
bailleur de fonds du théologien qui finance sa chaire à l’université d’Oxford
et qui lui verse aussi de très généreux émoluments pour diriger le CILE, centre
de recherches sur l’éthique islamique rattaché à l’université de Doha. Mohamed
el-Moctar el-Shinqiti, analyste politique et intervenant très écouté sur la
chaîne Al Jazeera, a publié mercredi sur son blog un texte appelant les
musulmans à ne plus soutenir Tariq Ramadan, «accro au sexe avec un mépris
des personnes abusées et usant de tromperie envers les musulmans».
Réputé proche des autorités
politiques du Qatar, El-Shinqiti avait pris, à l’automne 2017, la défense de
Ramadan lorsque les premières plaintes pour viol avaient été déposées en
France. Sans trancher dans le volet judiciaire, il condamne maintenant
fermement le mode de vie du théologien, qualifié de «construction
illusoire». Il «menait une vie parallèle éloignée de la morale
islamique et de ses valeurs.» Ce n’était pas, ajoute El-Shinqiti, «une
tentation» ou une «faiblesse» mais un «choix conscient».
«Résilience»
Depuis le déclenchement de
l’affaire Ramadan, c’est la première condamnation publique émanant de milieux
musulmans au sujet de la double vie du théologien. Cependant, les révélations
sur ses conquêtes et ses pratiques sexuelles violentes l’ont déjà privé,
au fil des mois, de ses principaux soutiens.
Le texte d’El-Shinqiti a provoqué,
selon un de ses proches, «un tremblement de terre à Doha» où le
prédicateur dispose encore de soutiens. Sa version française commence à
circuler dans les milieux musulmans francophones. La stratégie de reconquête
lancée par Tariq Ramadan qui affirmait, dès la semaine dernière, avoir été détenu
en France pour des «raisons politiques» risque fort d’être
contrariée. Usant d’une tonalité très spirituelle, il a publié mardi soir,
sur Twitter, un texte où il reconnaît «ses erreurs» et «ses fautes»,
ajoutant que Dieu lui «a offert la purification et la résilience,
intérieurement et intimement.» A la manière de prédicateurs évangéliques
faisant repentance après des scandales sexuels, il affirme être sorti «grandi»
de l’épreuve et demande, très à demi-mot, pardon à ses anciens soutiens. Pour
nombre d’entre eux, cela ne sera pas suffisant pour effacer l’ardoise.