Publié par CEMO Centre - Paris
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En Tunisie, les réserves d’eau douce s’amenuisent entraînant des rationnements

lundi 08/mai/2023 - 11:32
La Reference
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L’eau ne coule plus la nuit à Mégrine, en banlieue sud de Tunis. Le rationnement dure depuis des semaines, mais Chiheb Ben Brahim et sa famille s’en accommodent. « On a pris l’habitude de mettre un seau dans les toilettes que je remplis l’après-midi et chacun a sa bouteille pour la nuit. C’est largement suffisant », assure le retraité du secteur touristique qui vit avec sa femme, ses enfants et sa belle-mère.
Le Grand Tunis n’est pas la seule région concernée. Pour répondre « au déséquilibre enregistré entre l’offre et la demande (…) à cause de la pénurie en ressources en eau et la persistance de la sécheresse pendant des années consécutives », la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (Sonede) a instauré le 31 mars un système généralisé de quotas et de coupures. Des rationnements justifiés, selon l’entreprise publique, par le faible niveau de remplissage – pas plus de 30 % en moyenne – de la trentaine de barrages que compte le pays
Située à 70 kilomètres de Mégrine et du robinet de Chiheb Ben Brahim, le bagarre de Sidi Salem abritait jusque-là la plus grande réserve d’eau douce de Tunisie. Cette mégastructure de béton, inaugurée au début des années 1980, a été bâtie sur l’oued Medjerda, un fleuve qui puise sa source dans l’Atlas algérien et se jette dans la mer Méditerranée au nord de la capitale tunisienne. En ce début de printemps, son remplissage a atteint le taux historiquement bas de 16 %.
Sur les rives du lac de retenue, le bleu de l’eau a laissé sa place à la couleur de la poussière aride. La cuvette ressemble désormais à une baignoire que l’on aurait trop vidée. « Tu vois le bosquet là-haut ? Avant, l’eau arrivait jusque là-bas, et là où on se trouve actuellement il y avait 5 à 6 mètres d’eau. Je n’ai jamais vu ça », témoigne Anis Gammar, en marchant d’un pas léger.
« L’état vétuste des infrastructures »
Agriculteur et gérant d’un camping, le quadragénaire a toujours l’œil rivé sur la météo. En 2022, le pays a connu l’automne le plus sec depuis 1950 après l’un des étés les plus chauds jamais enregistrés. Mais « cela arrivait avant et on avait quand même de l’eau. C’est aussi une question de gestion », pointe Anis Gammar.
Depuis son terrain familial situé en aval, l’agriculteur a une vue directe sur le barrage. « Il y a quelques années, il était ouvert une fois par jour en été et ils le fermaient pour l’hiver jusqu’au mois de mars. A partir de là, il commençait à rouvrir, ça dépendait des réserves d’eau », se souvient-il. Cette gestion des ressources permettait de garder un niveau d’eau élevé. Puis progressivement, après la révolution en 2011 souligne l’agriculteur, les autorités ont commencé à ouvrir davantage les vannes : « Deux fois par jour en été, et parfois même en hiver. Ce sont des milliers de m3 d’eau qui sont déversés à chaque fois. C’est logique qu’il n’y ait plus d’eau. »
Un avis partagé par la docteure en hydrogéologie Radhia Essamin, membre de l’Observatoire tunisien de l’eau, une organisation de la société civile. « Il n’y a eu aucune vision stratégique depuis des années, regrette la chercheuse. Il y a des fuites dont personne ne se préoccupe et dès qu’il y a de la sécheresse, le citoyen est le premier touché par les coupures. »
Dans un rapport publié en 2020, le ministère de l’agriculture estimait en effet que près de 32 % de l’eau était perdue sur le réseau de la Sonede et quelque 40 % sur les réseaux d’irrigation en raison de « l’état vétuste des infrastructures et [du] manque d’entretien ». « C’est de la mal-gouvernance et l’Etat doit prendre des mesures urgentes », insiste Radhia Essamin. Sollicité à plusieurs reprises par Le Monde, le ministère de l’agriculture n’a pas donné suite aux demandes d’interviews.
L’amenuisement des ressources
Si dans la capitale, le rationnement suscite l’émoi, le phénomène est déjà répandu dans plusieurs régions du pays. C’est « notamment le cas dans le sud et les régions intérieures où les coupures peuvent durer plusieurs jours », précise Radhia Essamin. L’un des projets de son organisation est une carte interactive permettant aux citoyens de signaler une coupure, une dégradation de la qualité de l’eau ou une protestation liée à cette ressource. En 2022, elle a recueilli 2 299 alertes, dont plus de 70 % liées à des coupures.
Originaire du gouvernorat de Médenine, territoire montagneux et aride où l’eau provient principalement des sols et du ciel, Radhia Essamin constate depuis des années l’amenuisement des ressources et les rationnements imposés. Une situation d’autant plus pénible que « plus de 250 000 Tunisiens n’ont toujours pas accès à l’eau et la majorité vit dans des zones rurales », déplore-t-elle.
Mais les quotas et les coupures décidés par les autorités risquent de ne pas avoir l’effet escompté. « Dès qu’il y a de la sécheresse, le citoyen est le premier touché par les coupures alors que 70 % de l’eau est utilisée pour l’irrigation. » Radhia Essamin pointe du doigt les cultures très gourmandes en eau comme les agrumes et les tomates. « Nous exportons notre eau sous forme de produits agricoles, or cette eau doit être dirigée vers notre souveraineté alimentaire. Il est prioritaire pour l’Etat de publier une carte agricole et tracer nos priorités pour l’irrigation. »
Anis Gammar, lui, privilégie les espèces habituées au stress hydrique : oliviers, grenadiers, figuiers… « La majorité des cultures qu’on a dans cette région ne nécessite pas d’être irriguée en hiver », précise-t-il. Dans le pire des cas, l’agriculteur pourra puiser l’eau de son puits, un vieux dispositif qu’il a nettoyé et réhabilité.

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