Jawad Bendaoud: "À un moment, ça va péter"
Le "logeur
de Daech" maintient ne pas connaître l'identité des terroristes qu'il
avait hébergés après le 13-Novembre.
La pression est
montée progressivement au fil des questions du président de la cour d'appel de
Paris. Jusqu'à ce que l'homme en face de lui explose. Le visage se crispe, le
corps se tend, Jawad Bendaoud hurle et tape sur le pupitre en bois. "Je
n'ai plus rien à perdre. Sur la tête de mon fils. C'est pas un jeu pour moi.
Faut pas jouer avec moi. Vous me lancez des petites phrases depuis tout à
l'heure, vous me dites que j'ai changé de version. Oh monsieur le juge, vous
faites quoi là? A un moment, ça va péter. J'ai rien à perdre. Depuis huit mois,
je me démerde tout seul. Même le RSA, je le touche pas (il mime de cracher par
terre). Mettez-moi six ans, j'en ai rien à foutre."
Deux gendarmes
se sont avancés dans l'allée. Xavier Nogueras, l'avocat de celui que tout le
monde résume depuis trois ans à son prénom, s'est levé. Le conseil ne chuchote
plus, cette fois il lui intime de se calmer, le contient physiquement et le
force à s'asseoir. L'audience est suspendue mais Jawad Bendaoud continue à
s'énerver, il répète les mêmes phrases en boucle.
Depuis deux
heures et demi, le jeune homme de 32 ans qui comparaît pour recel de
malfaiteurs terroristes est debout face à la cour, moulé dans son jogging
rouge. Calmement mais sèchement, le président le pousse dans ses
retranchements, lui demande "pour la dixième fois" de ne pas
l'interrompre. Le magistrat exige qu'il soit "rigoureux" et qu'il ne
dise pas "une chose et son contraire dans la même phrase" car
"on est toujours d'autant plus crédible que l'on offre la même
version". "Je suis d'accord avec vous. J'ai été contradictoire",
reconnaît l'homme qui a fourni un logement à deux terroristes du 13-Novembre, Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh, dont il a toujours nié connaître l'identité.
"T'as hébergé le croque-mort de Daech"
"Jawad"
a réponse à tout. "Il est tout à fait normal de ne pas être cohérent dans
une affaire comme ça. (...) Tout le monde me fait passer pour le complice d'un
terroriste. Moi, je vais héberger un mec qui vient de Syrie et qui a tué 130
personnes? Le fait que les gens pensent ça, ça me rend fou. (...) On a du mal à
faire la différence entre moi, un être humain normal et un homme qui a tué 130
personnes." Il le jure, le rabâche à l'envi, tout est vérifiable, il n'est
pas un "menteur".
Le débit est
effréné, les apartés fréquents et les détails nombreux. Jawad Bendaoud n'est
pas un prévenu difficile à faire parler. C'est plutôt le contraire. Il faut réussir
à le cadrer et à canaliser le flot de ses pensées. Celles qu'il a déjà
martelées en février dernier lors de son procès en première instance, au terme
duquel il avait été relaxé.
Le 17 novembre
2015 au soir, quatre jours après les sanglants attentats de Paris, il accueille
dans son appartement du 3e étage de la rue du Corbillon à Saint-Denis deux
"frères mus" qui sont en réalité deux des terroristes,
"casquettes bleu marine avec le logo du PSG" sur la tête. Parmi eux,
Abdelhamid Abaaoud, l'un des coordinateurs des attaques. Dans une vidéo de mars
2014, le djihadiste belge présent en Syrie est apparu souriant à bord d'un
pick-up tractant des cadavres.
Des images que
Jawad Bendaoud reconnaît avoir vu des dizaines de fois en prison: "tout le
monde les regardait". Le "gros nez" et la bouche du combattant
le marquent. Mais le 17 novembre 2015, il ne le voit que "3-4
minutes" dans son appartement mal éclairé. Ce n'est qu'en garde à vue
qu'il fait le rapprochement, assure-t-il, lorsqu'un policier "blond aux
yeux bleus" lui aurait lâché: "T'es dans la merde. Tu sais qui t'as
hébergé? Le croque-mort de Daech."
Le 16 novembre
pourtant, lui rappelle le président, la photo du membre des commandos des
terrasses est diffusée dans la presse. "J'ai pas regardé la télé, je suis
formel, lâche ce mercredi celui qui a été arrêté devant les caméras de BFMTV. À
aucun moment, je n'ai vu la tête d'Abaaoud, à un aucun moment j'ai su que deux
mecs étaient recherchés." Sur son téléphone Samsung à 20 euros, il n'avait
"pas Internet". Il vient de passer le week-end "défoncé"
sous l'effet de la cocaïne, alors qu'il est "en pleine embrouille"
avec la mère de son fils et cette "fille du 91" qui lui dit qu'elle
est enceinte et qu'elle ne veut pas avorter.
"Je ne suis pas ici pour faire un comedy show"
Le délinquant
multirécidiviste de Saint-Denis pense alors avoir affaire à "des
voyous". A posteriori, il reconnaît que de nombreux signes, "assemblés",
auraient dû l'alerter. Mais, il y a "une différence entre trouver
quelqu'un de louche et un terroriste. Moi, on prononce ce mot-là, je ne quitte
pas la pièce, je quitte le 93", affirme-t-il.
Avant son
arrestation il y a trois ans, alors au téléphone avec son ex-compagne, il
évoque des "ceintures". Il a dû en entendre parler sur BFM.
"J'ai dit BFM? Ah non, dans la rue." De toute façon, de sa vie, il
n'a jamais vu d'explosif "même posé sur une table". Pas son
"domaine", ça ne "l'intéresse pas". Son ADN retrouvé sur un morceau de scotch ayant servi à un des
gilets explosifs des terroristes? "Je n'ai jamais participé à un scotchage
de détonateur, je n'ai même jamais donné un rouleau de scotch à Abaaoud",
jure-t-il.
"Ce que je
vous dis là, c'est pas des sketches. Je ne suis pas ici pour faire un comedy
show. Monsieur le juge, c'est que la réalité que je raconte", clame-t-il.
Comme le fait d'être en train de danser sur "Les Magnolias" de Claude
François le 13 novembre au soir quand les explosions du stade de France de
Saint-Denis retentissent. Le petit caïd du 93 qui a passé une partie de sa vie
derrière les barreaux est comme ça, sans filtre.